Ne pas sortir de l’euro : bonnes et mauvaises raisons

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Par Jacques Bichot Publié le 4 avril 2017 à 5h00
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@shutter - © Economie Matin
180 milliards ?Selon l'Institut Montaigne, la sortie de l'euro coûterait à la France 180 milliards d'euros.

Disons-le tout de suite : je ne suis pas partisan de sortir de l’euro. Mais je suis agacé par l’empilement de mauvaises raisons auquel se livrent certains pour justifier cette position, dont je me réjouis qu’elle soit partagée par une majorité de Français.

Si l’on pouvait sortir de l’euro du jour au lendemain, en prenant un simple décret, le retour au franc ne serait peut-être pas une mauvaise chose. Les Français, en effet, sont un peu comme les Grecs : s’ils peuvent consommer plus qu’ils ne produisent, ils ne se gênent pas pour le faire, et le déficit commercial de la France ne les en empêche pas dès lors que notre pays peut s’endetter facilement et à bon compte, ce que permet l’euro.

Celui-ci constitue une bulle protectrice à l’intérieur de laquelle il est facile de faire distribuer de l’argent par l’État pour acheter des biens et services chinois et allemands sans avoir à produire et vendre l’équivalent à l’étranger. En revenant au franc, nous reviendrions à la dure mais stimulante réalité économique au lieu de nous endormir dans le confort douillet d’un cocon protecteur – jusqu’au jour où le cocon se cassera, par exemple parce que la dette publique sera devenue trop lourde.

Mais la sortie de l’euro nécessiterait des négociations interminables, qui absorberaient nos pouvoirs publics et les empêcheraient de se consacrer à l’énorme travail de réforme dont notre pays a besoin. Il faut, par exemple, sortir notre sécurité sociale du piège de l’État providence où l’ont enfermée une succession de dirigeants tous issus de la « droiche », comme disait Madelin avant que le Front National ne lance la formulation UMPS.

Il faut sortir notre administration de la léthargie où l’a plongée la possibilité pour ses cadres dirigeants et pour les ministres de faire bêtise sur bêtise – ou de ne rien faire – sans risquer la moindre sanction. Il faut rendre à la Nation l’armée, la police et la justice qui lui sont nécessaires pour ne pas subir la perte de son identité. Il faut donner à nos enfants l’éducation et la formation professionnelle dont ils sont sevrés. Il faut se débarrasser de la bureaucratisation européenne et de l’esprit gnangnan imposé par une conception caricaturale des droits de l’homme.

Bref, si nous faisons cela notre énergie réformatrice sera entièrement absorbée pour redonner à la France ce qui lui fait défaut depuis plusieurs décennies, ce que nous avons laissé en déshérence au profit de chimères à la mode. Comme nous ne pouvons pas tout faire à la fois, n’ajoutons pas au programme de redressement national déjà lourdement chargé une sortie de l’euro qui nous mettrait à dos tous nos voisins avant même que nous ayons commencé à négocier avec eux les choses importantes, comme par exemple l’endiguement des flux migratoires.

Ceci étant, le niveau des raisonnements concluant à la nécessité de rester dans l’euro est parfois consternant. Dans Les Echos du 22 mars, par exemple, une journaliste reprend le cas de la tannerie Gal, une petite entreprise qui fabrique de la sellerie de très haut de gamme, dirigée par une femme venue exposer son cas dans une émission consacrée à Marine Le Pen. Celle-ci n’avait pas su répondre à ce chef d’entreprise travaillant principalement à l’export et important la quasi-totalité de ses fournitures, et pourtant tout dans ce dossier donnait à penser que Nathalie Gal et ses 15 salariés n’avaient rien à craindre de ce changement en dehors de quelques frais inhérents aux opérations de change : payer les peaux scandinaves plus cher en francs, du fait de la baisse de cette devise, ne conduit en aucune manière à vendre les selles de luxe plus cher en euros ou en dollars, la préservation du tarif antérieur suffisant pour engranger davantage de francs.

Dans le même article, Sabine Delanglade s’inquiète pour les achats de machines importées d’Allemagne, d’Italie ou du Japon, renchéris par une baisse du cours du franc. Mais où est le problème ? Les ventes en euros, dollars, yens, et autres devises rapporteront davantage de francs, permettant de compenser la hausse (en francs, pas en devises !) du prix des produits exportés. Pour une bonne partie d’entre eux, les discours visant à noircir le tableau des conséquences probables d’une sortie de l’euro en matière de compétitivité internationale ne démontrent que la méconnaissance par leurs auteurs de mécanismes économiques pourtant assez simples.

La vérité est que la sortie de l’euro ne serait ni une catastrophe, ni une panacée. Ceux qui la prônent comme ceux qui la proscrivent sont trop souvent motivés par le désir de ne rien changer – voire de revenir en arrière, comme Marine Le Pen en matière de retraites. Or notre pays a surtout et terriblement besoin de réformes structurelles et managériales pour devenir plus efficace – seul moyen durable de devenir plus compétitif.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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