Mesdames, Messieurs,
Michelin et les gouvernements socialistes, c'est déjà une grande histoire. En son temps, déjà, Lionel Jospin premier ministre, confronté aux mauvaises nouvelles d'un plan social, avait dû concéder que l'Etat ne pouvait pas tout. Ce qui avait échauffé les oreilles de notre aile gauche et des syndicats que le monde entier nous envie. Lesquels, par représailles et avec le consentement des médias, avaient inventé ce raccourci terrible des « licenciements boursiers ».
Aujourd'hui, notre géant national du pneumatique annonce un plan social de 700 emplois sur son site de Joué les Tours. Mes amis politiques m'ont dit de réagir vertement. De m'offusquer. De critiquer l'actionnaire avide et irresponsable. De demander des comptes. De mettre en doute le professionnalisme, voire la probité, des dirigeants. Je n'en ferai rien, pour au moins quatre raisons.
Le patron de Michelin n’est pas un voyou
La première, c'est que j'ai déjà largement sur-réagi en juillet 2012 lors du plan social de PSA. Que n'avons-nous pas raconté, nous les politiques, et moi le premier, entraînant dans mon sillage le président de la République lui-même. Nous avons insulté les dirigeants de PSA, exigé une contre expertise et missionné un haut fonctionnaire de Bercy pour la mener. Las, nous avons dû nous rendre à l'évidence que le patron n'était pas un patron voyou et que le seul reproche qu'on pouvait faire à PSA, au fond, était de n'avoir pas su redéployer assez vite hors de France son dispositif industriel, comme l'a fait Renault dont nous sommes, nous Etat français, actionnaire.
La seconde c'est que Michelin, nous en avons conscience, est engagé dans une guerre économique mortelle. Les ingénieurs, commerciaux et ouvriers de bibendum combattent en première ligne cette réalité que nous observons dans nos études, nos colloques, nos conférences interministérielles. Malgré cela, je constate avec joie que Michelin continue d'investir en France. Qu'à bien y regarder, cette décision qui touche Joué les Tours est une partie d'un vaste plan qui vise à regrouper des forces pour accéder à la taille critique en France, sur des sites français et pour préserver l'emploi de salariés français. Je constate donc que Michelin n'oublie pas qui il est et d'où il vient.
La troisième raison, c'est que je ne veux pas être hypocrite. Je ne veux pas être de ceux qui condamnent les entrepreneurs qui cherchent à survivre en dépit d'un carcan bureaucratique et fiscal dont nous, les décideurs publics, sommes responsables. Je ne pourrais être à l'aise pour critiquer Michelin si, d'un autre côté, je refusais, au sein du gouvernement, tout programme de baisse radicale des dépenses publiques et donc de la pression fiscale. Ou encore si je ne contribuais pas à un changement d'état d'esprit des élites publiques françaises, si méfiantes à l'égard de cette entreprise privée qu'ils connaissent si mal et seulement, dans le meilleur des cas, par leur passage furtif au board d'une entreprise publique ou, pour les plus brillants de nos inspecteurs des Finances que le service de l'Etat n'attire plus, par leurs années folles dans les équipes de Goldman Sachs.
Michelin, une firme qui a su garder son identité
La quatrième raison, enfin, c'est que je suis fier que notre pays compte des entreprises comme Michelin. A l'heure où nous plaidons pour un capitalisme raisonné et une économie sociale et solidaire, je dois reconnaître que Michelin fait partie de ces firmes françaises qui sont devenus des géants mondiaux sans avoir renié ni leur indépendance, ni leur identité. Et dont les actionnaires, quoi qu'on en dise et sans doute parce qu'ils sont restés très liés à une lignée, n'ont pas sacrifié à la dictature de la rentabilité immédiate et du désir inextinguible de jouissance. Car je regrette qu'on soit passés, en quelques années, d'un capitalisme entrepreneurial qui, en osmose avec les valeurs chrétiennes, conférait une valeur morale au travail, à l'investissement à long terme, à l'ascétisme et à la satisfaction différée ; à un capitalisme financier qui privilégie la pulsion, la compulsion, le court-terme et la consommation effrénée.
Je suis d'accord avec François Michelin, lorsqu'il dit depuis sa modeste retraite d'Auvergne, que l'argent doit rester un serviteur, non un maître, et que le plus important c'est, dans toute aventure humaine, les hommes aux côtés desquels on construit, on apprend, et à l'aventure desquels on donne du sens, un sentiment d'appartenance et, plus que tout, la perspective de participer à une œuvre singulière, quel que soit son métier.
Pour toutes ces raisons, j'ai confiance dans la qualité du plan social que Michelin proposera aux salariés tourangeaux qui, malheureusement, ne pourront saisir les offres de mobilité. J'ai confiance dans nos champions industriels nationaux qui, même en difficulté, traitent correctement leurs collaborateurs.
Je soutiens, enfin, les efforts de ces entreprises qui cherchent à se battre dans la compétition mondiale, avec les forces mais aussi, parfois, les faiblesses que leur impose leur pays. J'encourage les dirigeants de Michelin à continuer de croire en la force du « produire en France » et je m'engage à ne pas faire d'eux des boucs émissaires médiatiques trop faciles. Et c'est sur ces bases, qu'enfin, j'ai foi dans notre redressement productif !
Je vous remercie.