Monsanto : le prix de la vie humaine

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Par Jacques Bichot Publié le 15 août 2018 à 5h00
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@shutter - © Economie Matin
289 millions $Un tribunal américain a condamné Monsanto à verser 289 millions de dollars à un plaignant.

Un tribunal américain a condamné Monsanto, la société productrice du Roundup, le désherbant à base de glyphosate, à verser 289 millions de dollars de dommages et intérêts à un plaignant, Dewayne Johnson, ayant contracté un cancer à cause, pense-t-on, de son travail : asperger deux années de suite de glyphosate sous forme concentrée les pelouses d’une école.

Le cancer a été diagnostiqué en 2014, et Johnson a intenté un procès en réclamant 400 millions de dollars.

Un article du journal Les Echos du 13 août relate cet évènement. Il insiste sur les conséquences que la décision judiciaire, si elle est confirmée en appel, aura sur l’avenir de Monsanto et de sa maison-mère (Bayer), sachant que près de 5 000 procédures analogues sont à l’examen aux Etats-Unis. Curieusement, l’article ne commente pas l’énormité de la somme demandée, comme s’il s’agissait là de quelque chose de normal. Pourtant l’OCDE a publié en 2012 un rapport sur le prix « statistique » de la vie humaine qui fait autorité. Ce rapport conseille d’utiliser, notamment pour les décisions à prendre concernant les travaux susceptibles d’éviter des morts accidentelles, un « prix de la vie humaine » allant, selon les pays, de 1,5 à 4,5 millions de dollars américains. Retenons le haut de la fourchette, et passons de 4,5 à 5 M$ pour tenir compte de la hausse des prix depuis 2012 : il reste que 289 M$, c’est plus de cinquante fois la « valeur de la vie statistique » estimée par l’OCDE.

Cette valeur sert à déterminer si un investissement, donc une dépense, susceptible d’éviter des accidents ou maladies mortels, est ou non rationnel. En effet, il serait anormal de consacrer à des travaux, dispositions ou recherches devant permettre d’épargner dix vies un budget qui, mieux employé, permettrait d’éviter cent décès. Il s’agit donc d’un montant destiné à éclairer les décisions des Pouvoirs publics : ceux-ci devraient par exemple faire ce genre de calculs avant d’engager des travaux permettant d’éliminer un tournant dangereux.

Les tribunaux font partie de cette « autorité judiciaire » à laquelle, en France, est consacré le titre VIII de la Constitution. Ne devraient-ils pas, pour respecter cette règle de bon sens qui s’applique à l’ensemble des pouvoirs publics, faire des raisonnements et calculs du même genre ? Cela semblerait logique. Or, supposons qu’une sur cinq des 5 000 plaintes relatives au glyphosate soit jugée fondée : Monsanto serait condamné à payer 289 milliards de dollars. Premièrement, il est douteux que l’entreprise puisse réunir une somme pareille, très supérieure à sa valeur marchande (Bayer l’a acquise il y a quelques mois 63 Md$). Deuxièmement, ne vaudrait-il pas mieux consacrer la majeure partie de ces 289 Md$ à des opérations permettant de sauver des vies plutôt que de donner aux victimes des sommes dont la centième partie suffirait pour qu’elles vivent dans le luxe et transmettent de coquets héritages ? Au « tarif » maximal de 5 M$ pour sauver une vie, cela ferait quand même 57 000 vies préservées ! Indemniser une personne de manière pharaonique plutôt que raisonnable, c’est condamner statistiquement à mort des dizaines de personnes inconnues qui auraient pu vivre plutôt que mourir si des entreprises telles que Monsanto étaient condamnées à des indemnités raisonnables auxquelles s’ajouteraient des amendes conséquentes destinées à financer la prévention des risques et l’amélioration des thérapeutiques.

Les magistrats ne sont pas forcément familiers de ce genre de considérations, et les lois ne leur permettent pas forcément d’agir de cette manière. Aux législateurs d’édicter les textes voulus pour limiter les indemnisations à des niveaux raisonnables et permettre de condamner à des amendes dont l’usage serait fléché sauvetage des vies humaines.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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