Les ratés du « miracle » brésilien

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Par Christopher Dembik Publié le 18 juin 2014 à 2h31

Il y a encore trois ans, il faisait figure de meilleur élève parmi les émergents. Il était celui sur lequel tous les espoirs de nouvel ordre économique mondial reposaient, celui qui avait réussi en l’espace d’une décennie à substantiellement réduire l’extrême pauvreté et les inégalités par des programmes sociaux depuis imités dans plusieurs d’Amérique latine. C’était le modèle de développement économique pour l’ensemble de la région. Las, la machine s’est depuis grippée. Alors que l’attention de la communauté internationale se tourne vers le Brésil à l’occasion de la Coupe du Monde de football, le bilan économique des années Lula laisse sceptique.

2003 - 2014 : Le bilan inachevé de la Nouvelle Gauche

Le génie de Lula, leader de la Nouvelle Gauche modérée d’Amérique latine, c’est d’avoir su mettre à profit un contexte interne et externe très favorable pour sortir de l’extrême pauvreté en dix ans près de 30 millions de personnes, sur une population de 194 millions, via une multitude de mesures sociales, comme le relèvement du salaire minimum ou le programme Bolsa Família.

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Sur ses deux mandats, les inégalités de revenus, historiquement élevées dans le pays, ont atteint un plus bas de 50 ans en 2011, avec un indicateur de Gini tombant à 0.519.

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Ces résultats ont été permis par la hausse quasi-continue sur la période du prix des matières premières et, surtout, par l’assainissement économique rigoureux effectué par son prédécesseur, Fernando Henrique Cardoso. Figure contestée de l’histoire contemporaine brésilienne, c’est pourtant lui qui a permis les mesures sociales de Lula et en a même initié certaines qui ont été simplement poursuivies ou renforcées. Rendons-lui hommage!

Pour autant, le «miracle» brésilien parait, avec le recul, inachevé. Le parallèle est souvent fait entre la période faste des années 60-70 et les années Lula. A tort.

La croissance pendant la dictature militaire était en moyenne de 8.5% sur la période 70, s’accompagnant d’une refonte importante du modèle économique via une politique d’industrialisation massive. A l’inverse, le mandat de Lula s’est traduit par une croissance de 4% en moyenne par an, guère plus que sur la période chahutée des années 90, qui est insuffisante pour faire face au défi démographique brésilien. Surtout, elle reposait sur une rente inespérée liée à la conjoncture mondiale qui a servi d’excuse au gouvernement pour ne pas réformer le modèle de croissance basé sur la consommation intérieure. Le réveil, sans surprise, a été difficile.

Une économie en panne mais pas en crise

Le choc est survenu en 2011 lorsque la progression du PIB a fortement décéléré passant d’une année sur l’autre de 7.5% à 2.7%. Un arrêt brutal qui a surpris alors que le pays avait montré une résistance notable au plus fort de la crise mondiale. Les écueils du modèle de croissance brésilien, accentués par une politique économique erratique, sont apparus au grand jour :

  • Désindustrialisation et baisse de la compétitivité par rapport aux autres émergents que la chute du real n’a pas endiguée.
  • Déséquilibre de la balance commerciale alimenté par la politique de soutien de la demande intérieure et l’hypertrophie du secteur des services.
  • Hausse du coût de la vie, en particulier des prix alimentaires, qui constitue une déconvenue pour tous ceux qui sont sortis de la pauvreté sous l’ère Lula.
  • Les défis structurels et la croissance atone appellent des réformes mais dans un contexte social déjà troublé, celles-ci ne pourront être qu’impopulaires.

Mondial 2016 : Une opération de prestige très coûteuse

Le mondial de football pourrait toutefois apporter un bol d’air salutaire. Une victoire de l’équipe nationale en finale permettrait d’acheter la paix sociale avant l’élection présidentielle de l’automne qui s’annonce de plus en plus compliquée pour Dilma Rousseff.

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C’est bien le seul gain que peut espérer le Brésil de cette Coupe du monde. En effet, les études menées au cours des dernières années, dont celle de référence de Victor A. Matheson (2006)*, ont montré que l’impact économique des grands évènements sportifs reste marginal pour les pays qui les accueillent.

Avec un budget qui a atteint près de 11 milliards d’euros, soit une augmentation de 30% par rapport à la somme initiale, le Brésil s’est lancé dans un projet des plus coûteux. A titre de comparaison, l’Afrique du Sud avait consacré un montant trois fois inférieur pour le mondial de 2010.

Le Brésil va effectivement accueillir de nouveaux visiteurs à cette occasion mais l’effet d’éviction va conduire un nombre important de touristes à changer de destination, phénomène qui était observable lors de la Coupe du monde de 2002 en Corée du Sud (Matheson, 2006). C’est, au final, un jeu à somme nulle.

Par ailleurs, en dépit de l’effet keynésien incontestable, la construction de grands stades et d’infrastructures sportives ne permet pas de stimuler l’économie durablement lorsque ces investissements sont permis par une progression des dépenses publiques.

Dans le cas du Brésil, de meilleures alternatives de dépenses existent. A titre d’exemple, l’amélioration des infrastructures routières afin de réduire le clivage économique et de richesse entre les régions brésiliennes.

En définitive, on peut considérer que le pays s’est offert une opération de prestige à 11 milliards d’euros.

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Christopher Dembik est économiste chez SaxoBank.

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