Le Ministre, la multinationale et la relocalisation industrielle (2)

Par Bertrand de Kermel Modifié le 5 mai 2020 à 8h16
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@shutter - © Economie Matin
11%La Chine représente 11% des exportations européennes.

Suite du dialogue entre le «ministre des relocalisations industrielles» du prochain gouvernement, et le Président d’une multinationale française délocalisée en Asie

Le Ministre. Puisque la crise actuelle nous contraint à repenser le commerce international, que proposez-vous concrètement ?

Le Président de la multinationale. Je vais me limiter à vous proposer quatre pistes de réformes qui me semblent prioritaires pour atteindre votre objectif précis : « relocaliser des entreprises en France ». Elles impliquent de modifier les actuels accords de libre échange.

1 Mettre sur un pied d’égalité le droit commercial, le droit fiscal, le droit social et le droit environnemental.

Aujourd’hui, aucun pays ne peut s’opposer à l’importation d’un produit sur son territoire, dès lors que les règles du commerce sont respectées, quand bien même le produit aurait été fabriqué dans des camps de travail forcé (en piétinant la charte de l’ONU de 1948, et les huit conventions fondamentales de l’Organisation Internationale du Travail) et au prix de graves dégâts environnementaux.

C’est immoral et c’est une source de concurrence déloyale inacceptable. Si vous voulez relocaliser des entreprises en France, les clauses sociales, et environnementales, doivent devenir contraignantes dans tous les accords de libre échange, et non plus facultatives comme aujourd’hui. Leur non respect doit être sanctionné au même titre que le non respect des clauses commerciales, et ceci même si les manquements n’ont pas d’effets sur les marchés.

Au plan social, il faut que les grands acteurs économiques qui embauchent ou sous-traitent dans des pays étrangers soient contraints, sous peine de sanctions, de veiller au respect des droits de l’Homme, des huit conventions fondamentales de l’Organisation Internationale du Travail (OIT), et au principe du «travail décent» proposé également par l’OIT. C’est bien le minimum et cela ne mettra aucune multinationale en faillite ! Au plan environnemental, nous parlons du respect des accords internationaux, rien de plus.

Si le gouvernement français ne veut pas, ne peut pas ou n’ose pas exiger cette réforme à Bruxelles, ce ne sera évidemment pas un problème pour moi. Mais je resterai en Asie, et la désindustrialisation de la France continuera.

2 Compenser immédiatement les émissions de gaz à effet de serre résultant des échanges mondiaux, pour, très vite, s’attaquer à la réduction de ces émissions de GES.

L’Europe a exigé et obtenu que le commerce mondial soit exempté de tout effort sur le dossier climat. Les 28 chefs d’Etats ont laissé faire. Ce scandale provoque également une concurrence déloyale. C’est intenable. Le transport maritime émet autant de gaz à effets de serre que l’Allemagne. (https://www.latribune.fr/entreprises-finance/services/transport-logistique/climat-le-transport-maritime-international-face-a-ses-responsabilites-774183.html) Le transport aérien est encore plus nuisible.

Pour une concurrence loyale avec les entreprises françaises opérant en France, il est indispensable d’assurer immédiatement la neutralité des émissions gaz à effets de serre résultant du commerce mondial.

3 Supprimer les systèmes d’arbitrage internationaux « investisseurs / Etats », encore dénommés ISDS et bientôt Cour d’arbitrage.

En tant qu’opérateur installé à l’étranger, je ne peux qu’approuver cyniquement ce système de tribunal privé, plus généreux que les tribunaux nationaux. En tant que citoyen et père de famille, je le déplore car il présente des défauts très graves notamment au niveau de la souveraineté des peuples. (Voir sa description sur : https://c7fd6082-6a40-46ae-8f4c-0773acb3edde.filesusr.com/ugd/146df5_514d74542ccd42cb9b592384924d4a7b.pdf).

Cet outil crée une concurrence déloyale pour les entreprises nationales. Imaginons une entreprise française exerçant son activité en France et payant ses impôts en France. Supposons qu’une loi européenne vienne à causer un préjudice à son secteur d’activité. L’entreprise devra s’adresser à la justice française pour obtenir compensation de son préjudice. Ses concurrents étrangers, eux, auront le choix entre la justice française et ce système d’arbitrage réservé aux seuls étrangers. Il sera forcément plus avantageux, sinon il n’a pas de raison d’être.

Résultat : au sein d’un même pays, on obtient deux jurisprudences différentes pour indemniser un même préjudice ! Et l’entreprise nationale est perdante. C’est totalement incohérent. Mon entreprise française n’a aucun intérêt à s’installer en France.

4 Exiger dans tous les accords un minimum de réciprocité des échanges

Pour être bénéfique à tous, le libre échange doit être à peu près équilibré. Si les échanges entre deux pays sont très déséquilibrés, le libre échange fera un gagnant et un perdant. Donald Trump a compris que les Etats Unis étaient largement perdants dans leurs échanges avec la Chine. Il a exigé un rééquilibrage, précisant que s’il n’obtenait pas satisfaction, il mettrait en place des droits de douane afin de réduire mécaniquement les importations chinoises, et rééquilibrer les échanges réciproques.

Du coup des entreprise américaines installées en Chine s’aperçoivent que leur implantation en Chine pourrait perdre beaucoup d’intérêt et examinent le scénario d’un retour aux Etats Unis. CQFD.

L’Europe refuse d’examiner ce sujet. C’est une incitation de plus à rester dans les pays à bas prix social, environnemental et fiscal, car cela ne présente que des avantages.

Dernier point, si vous me permettez : si le gouvernement français persiste à ratifier le CETA en l’état, il perdra toute crédibilité pour engager la moindre réforme, puisque le CETA scelle dans le marbre une stratégie exactement contraire à ce que je vous propose, donc incite aux délocalisation. Il faut ajouter le scandale de son chapitre huit (protection des investissements) dont le déséquilibre «droits devoirs» est total, l’interdiction de créer de nouveaux services publics irrecevable, et le délai de préavis de 20 ans en cas dénonciation de l’accord inacceptable. (https://www.economiematin.fr/news-coronavirus-accord-libre-echange-ceta-traite-vote-kermel)

Je n’ai pas abordé le dossier fiscal. Le libre-échange sans précautions a transformé l’Europe et la planète en «passoire» fiscale. Ce sujet est prioritaire. Les peuples ne comprennent pas qu’il s’englue en permanence. Sans doute existe-t’il de sérieux conflits d’intérêts pour expliquer cet enlisement. Si vous ne durcissez pas sévèrement les sanctions pour corruption, vous aurez bien du mal à réussir. Pour plus de précisions sur tout ce qui précède, permettez-moi de vous remettre ce document : https://c7fd6082-6a40-46ae-8f4c-0773acb3edde.filesusr.com/ugd/146df5_e3d5c6615fe642e0b53c46c8944abf80.pdf

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Ancien directeur général d'un syndicat patronal du secteur agroalimentaire, Bertrand de Kermel est aujourd'hui Président du comité Pauvreté et politique, dont l'objet statutaire est de formuler toutes propositions pour une "politique juste et efficace, mise délibérément au service de l'Homme, à commencer par le plus démuni ". Il est l'auteur de deux livres sur la mondialisation (2000 et 2012)

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