Le gouverneur de la Banque de France vient, le 10 avril 2016, de plaider pour un ministre des Finances de l’euro. Quelques heures après le referendum néerlandais qui a infligé un nouveau camouflet à l’intégration communautaire, cette cécité et cette surdité ne manquent pas de poser question. Plus que jamais, le divorce est consommé entre une opinion publique qui demande une pause dans l’intégration unioniste et le gouvernement profond qui n’en a jamais assez.
Pourquoi Villeroy de Galhau veut un ministres des finances de la zone euro
Les raisons qui poussent le gouverneur de la Banque de France à vouloir un ministre des Finances de la zone euro sont bien connues, et contenues d’ailleurs dans les manuels d’économie politique qu’il ingérait à Sciences-Po puis à l’ENA.
Les politiques économiques sont en effet composées d’un « mixte » entre politique monétaire (c’est-à-dire gestion des taux bancaires et de la monnaie) et politique budgétaire. Dans la construction maastrichtienne imposée par la Prusse, la politique monétaire est intégrée au niveau communautaire, de façon d’ailleurs indépendante, par la Banque Centrale Européenne. En revanche, les politiques budgétaires demeurent décentralisées.
Cette asymétrie politique pose un problème majeur au regard de l’optimisation de la zone monétaire unique, selon les théories économiques bien connues sur le sujet. En effet, une zone monétaire unique a besoin d’une politique budgétaire concertée à défaut d’être unique, notamment pour faire face aux chocs asymétriques. Concrètement, en cas de récession en Grèce et en Espagne mais de prospérité en Allemagne, les politiques budgétaires doivent se coordonner pour éviter une déstabilisation de la monnaie unique.
C’est précisément le sens du plaidoyer de Villeroy de Galhau, comme d’autres avant lui. Même François Hollande le dit. Cette dernière phrase éclairera tout le monde sur la pertinence et la vision à long terme de l’idée.
Les risques d’un ministre des finances unique
Si l’on comprend bien la rationalité du gouvernement profond dans cette affaire, tout occupé à appliquer les théories économiques, on ne dit pas assez, en revanche, les risques afférents à cette obsession de vouloir créer un ministre des Finances de la zone euro.
Le premier des risques consiste à supprimer toute véritable latitude économique dans les Etats membres. Cette latitude est déjà fortement entravée par le contrôle que la Commission exerce sur les budgets nationaux. La création d’un ministre des Finances irait plus loin: elle priverait les Etats membres et leur Parlement de toute liberté d’action.
Si l’on admet l’hypothèse que le vote du budget est la base de la démocratie, alors on déduit logiquement que la création d’un ministre des Finances de la zone euro revient à confisquer la démocratie au profit d’un gouvernement profond niché à Bruxelles.
Le second des risques est contenu dans le premier. Dès lors que le ministre des Finances de la zone euro aura les leviers budgétaires entre les mains, il ne lui restera plus qu’une seule personne avec qui dialoguer pour coordonner les politiques économiques: le gouverneur de la banque centrale européenne. Et comme celui-ci a un mandat fixé par les traités: maintenir l’inflation autour de 2% (et rien d’autre…), les politiques budgétaires deviendront les supplétives d’une politique économique sans imagination définie par le traité.
Autrement dit, l’idée du gouverneur de la Banque de France équivaut à supprimer toute démocratie, et à forcer les Européens à payer des impôts pour maintenir l’inflation à 2%.
Pourquoi le gouvernement profond fore droit
Alors que les peuples européens multiplient les signaux de refus, le gouvernement profond s’obstine sur une ligne contraire. L’Europe est aujourd’hui le théâtre d’un divorce très agressif entre les citoyens et leurs décideurs. Les citoyens ont beau protester, les élites continuent à forer droit.
Cette obstination qui, tôt ou tard, se finira mal et obligera à jeter le bébé européen avec l’eau du bain communautaire, s’explique largement par la surfinanciarisation du continent. A aucun moment, en effet, les élites européennes ne proposent un compromis qui pourrait être vertueux: plus d’intégration budgétaire contre un élargissement du mandat de la BCE à des objectifs « sociaux ». Ce compromis de bon sens permettrait pourtant d’arrondir beaucoup d’angles.
Le problème est que la BCE s’est « cornérisée » en faisant tourner la planche à billets à mille à l’heure sans aucun résultat sur l’inflation.
Face au gouffre, le gouvernement profond joue aux trois petits singes.
Article écrit par Eric Verhaeghe pour son blog