Si la France chaussait d'autres lunettes, la grammaire de ses Ministères ne serait probablement pas la même. "La France est mondialisée dans son corps, pas dans sa tête", souligne Pascal Lamy dans Quand la France s'éveillera. Et cela transparaît aujourd'hui plus que jamais dans l'appellation et la répartition des portefeuilles résultant du dernier remaniement ministériel.
Trois illustrations au fil du dictionnaire
1/ Redressement productif : rétablissement d'une situation économique plus favorable par un redéploiement de la production sur le territoire.
Le nouveau gouvernement français autant que le précédent consacre la notion de "redressement productif" alors que la preuve est aujourd'hui faite que ce qui importe, pour un territoire, c'est d'attirer de la valeur, quelle qu'elle soit (servicielle, industrielle, humaine, etc.). De plus, ce sont les activités immatérielles en phase de pré-production ou de post-production qui génèrent le plus de valeur ajoutée. Par "redressement productif", le gouvernement ne laisse-t-il pas entendre, à tort, que les activités matérielles de production sont au cœur de la chaîne de valeurs ?
Derrière la notion de redressement productif, s'invite évidemment celle de l'attractivité. Pour en traiter, c'est l'art du grand écart qu'il faut aujourd'hui exercer entre Bercy et le Quai d'Orsay puisque le ministre de l'Économie, du Redressement productif et du Numérique se voit attribuer la compétence de "la politique de croissance et de compétitivité de l'économie française, d'investissements directs étrangers, d'attractivité du territoire et d'investissements d'avenir" et la secrétaire d'État chargée du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger celle de "la préparation et la mise en œuvre des mesures propres à faire connaître les atouts de la France à l'étranger et à attirer les investissements et les projets internationaux".
2/ Développement international (par défaut, internationalisation) : stratégie qui conduit les entreprises à se développer à l'échelle internationale (...) afin de tirer parti des avantages offerts par les différents pays. Avec le dernier remaniement ministériel, le développement international des entreprises est confié au ministère des Affaires Étrangères. La pratique de nombreux États consiste, pourtant, à exonérer celui-ci des considérations de politique étrangère. En février dernier, Pierre Moscovici, alors ministre de l'Économie, des Finances et du Commerce extérieur, félicitait indirectement une mission exploratoire du Medef en Iran en estimant que l'Iran est "un pari pour l'avenir". Demain, le propos sera difficile à réitérer par un ministre du Développement international qui est, avant tout, ministre des Affaires étrangères même si le Décret d'attribution (n° 2014-400) du 16 avril 2014 est neutre à ce sujet : "Outre ses attributions en matière d'affaires étrangères, le ministre des affaires étrangères et du développement international est compétent pour définir et mettre en œuvre la politique du développement international de la France, notamment au titre du commerce extérieur et du tourisme".
Dans la plupart des pays, en Europe et dans le monde, les portefeuilles des affaires étrangères et du développement international sont dissociés, qu'il s'agisse des États-Unis, de la Chine, du Canada ou de l'Allemagne en passant par les pays nordiques ou les pays émergents. Aux États-Unis, le Department of State (DOS) est – on ne peut plus – distinct du Department of Commerce (DOC). Dont acte.
3/ Affaires européennes : ensemble des questions relatives à la construction européenne, y compris les questions institutionnelles, à l'exception de la politique étrangère et de sécurité commune.
Dans le prolongement du Secrétariat général aux Affaires européennes (SGAE) et, désormais, rattaché à la Présidence de la République, le rattachement à l'Élysée du Secrétaire d'État aux affaires européennes n'eut-il pas également fait sens ? En Allemagne, la politique européenne fait partie des grands domaines de la politique gouvernementale en constituant une des six sections de la Chancellerie. La Norvège, non-membre de l'UE, dispose d'un ministre des Affaires relatives à l'Espace économique européen (EEE) et à l'Union européenne, rattaché au bureau du Premier ministre ; autre pays nordique, la Suède, dont le rapport avec l'Europe est plus complexe, dispose d'un ministère délégué, en charge des affaires européennes. Il n'y a guère qu'en France où l'on n'accorde pas à cette "magnifique aventure" qu'est l'Europe, pour reprendre ici les propos de Manuel Valls, la place qui lui revient pour longtemps encore, malgré les résultats de ces dernières élections européennes.
Changeons un instant de lunettes...
Somme toute, les termes sont bien souvent impropres à reproduire une réalité, surtout quand elle est nouvelle. Mais en chaussant d'autres lunettes pour la regarder, on parviendrait peut-être à rendre les faits moins têtus.
- un ministre de l'Attractivité et des chaînes d'activités, assisté d'un secrétaire d'État de la Marque France,
- un ministre de l'Économie numérique qui fasse basculer les entreprises – y compris les PME risquant d'être laissées pour compte – dans la digitalisation du monde,
- un ministre de l'Entreprise, comme en Suède, pour réconcilier les Français avec l'économie et ses entreprises et créer un dialogue permanent sur la RSE, le partage, le capital immatériel et humain...,
- un ministre de la Globalisation et du Développement international qui, en coordination avec le ministre de l'Économie et de l'Emploi et le Ministre de l'Attractivité, eut conjugué avec succès mondialisation, régulation et égalités [sociales],
- un secrétaire d'État, délégué du Président chargé de l'Europe et du Couple franco-allemand, etc.
Mais ce n'est plus de la grammaire, c'est de la conjugaison...
Au futur ou au conditionnel ? C'est selon son degré d'optimisme.