La nomination de Myriam el-Khomri au ministère du Travail est en soi un événement sympathique. Il en dit surtout long, et même très long, à propos des rapports entre le parti socialiste et le Travail.
Jean-Marc Germain écarté
Pendant plusieurs semaines, le candidat le plus sérieux au poste a semblé être Jean-Marc Germain. Député de la banlieue sud de Paris, mari d’Anne Hidalgo et apparatchik proche de Martine Aubry, Germain incarnait bien la tendance petit marquis du PS, qui adore s’entourer de gens nourris à ses guerres de couloir.
L’inconvénient majeur de Germain, c’était évidemment sa vision « aubryste » de l’économie, faite de réglementation, de certitudes mal acquises sur les entreprises, et sa détestation proclamée de la concurrence, ennemie de la solidarité. Dans une période où les normes applicables au travail sont de moins en moins acceptées par les entreprises, l’arrivée de ce « légaliste » aurait signé la mort d’un certain desserrement (tout relatif) de l’étau qui pèse sur la production, et le retour des courtisans qui font de la solidarité une profession de foi juteuse.
La gauche n’a plus aucune figure connaissant le travail
En dehors de la candidature de Jean-Marc Germain, le parti socialiste ne disposait plus d’aucune figure connaissant suffisamment le monde du travail pour s’imposer légitimement au ministère éponyme. Voilà un signe des temps tout à fait saisissant: le Parti Socialiste, submergé par les bobos parisiens, n’a pas été capable de générer une grande figure moderne capable de discuter avec les syndicats, de forger une vision de l’économie et des relations sociales susceptibles de faire un programme de gouvernement crédible.
Ce divorce entre le travail et la gauche est sans doute le meilleur symbole d’une crise historique où le Parti Socialiste se préoccupe plus de mariage homosexuel que d’émancipation des masses laborieuses.
Le symbole el-Khomri
Dans ce désert politique, la candidature el-Khomri ne rassure pas. Cette protégée de Bartolone qui ne connaît pas l’entreprise appartient à la sphère des femmes issues de la diversité dont les sections urbaines du Parti Socialiste raffolent tant: comme elles doivent tout à la machine PS, les éléphants sont sûrs qu’elles ne remettront pas en cause des règles du jeu qui leur profitent. Bien entendu, aucun éléphant ne reconnaît que ces règles du jeu, si elles profitent, notamment au titre des quotas imposés par la parité, à des femmes issues de l’immigration, contribuent aussi à stériliser le parti sur des sujets comme le Travail.
Myriam el-Khomri exerçait ses talents au secrétariat d’Etat à la Ville, le département des bonnes oeuvres gouvernementales pour les « quartiers ». Elle n’est pas parisienne, mais a fait carrière au parti socialiste de Paris, comme experte de la sécurité. En réalité, c’est une apparatchik. Tout un symbole pour la gauche: s’occuper du travail, c’est d’abord gérer une immense masse de chômeurs. Au fond, la politique de l’emploi en France n’est plus très loin de la politique de la Ville: comme on a renoncé au plein emploi, l’enjeu consiste simplement à rendre le chômage plus supportable.
Il fut un temps où la gauche pensait que l’homme se libérait par le travail. Cette idée-là n’est plus. Elle a cédé la place à une espèce d’idolâtrie des loisirs où l’enjeu consiste, au nom de la solidarité, à hypnotiser les chômeurs, indemnisés ou non, en rendant leur condition acceptable. Ce calcul-là se paiera cher.
Article publié sur le blog d'Eric Verhaeghe