L’influence de la pauvreté réelle et supposée sur les résultats scolaires

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Par Andreas Schleicher Publié le 24 juillet 2014 à 2h29

Pour les enseignants, les chefs d'établissement et les systèmes éducatifs dans leur ensemble, l'un des plus grands défis à relever consiste à compenser le handicap socioéconomique dont peuvent souffrir les élèves. Or les données du PISA montrent que certains pays y parviennent beaucoup mieux que d'autres.

Examinons le graphique ci-dessus. L'axe des abscisses correspond au pourcentage de chefs d'établissement du premier cycle du secondaire qui déclarent que plus de 30 % de leurs élèves sont issus de familles défavorisées (1). L'axe des ordonnées représente le pourcentage réel d'élèves de 15 ans issus de familles modestes, tel que mesuré par l'indice du PISA normalisé à l'échelon international qui regroupe plusieurs indicateurs du handicap socioéconomique, parmi lesquels le revenu et le niveau d'études des parents, les ressources éducatives disponibles à la maison et d'autres ressources des familles (2). En d'autres termes, l'axe des abscisses illustre la perception qu'ont les chefs d'établissement du handicap socioéconomique au regard des normes nationales, tandis que l'axe des ordonnées montre la prévalence du handicap socioéconomique selon une analyse comparative internationale.

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Le Brésil, le Chili, la Malaisie, le Mexique et le Portugal se situent en haut à droite du graphique : leurs établissements scolaires comptent une forte proportion d'élèves défavorisés, conformément à ce qu'indiquent les chefs d'établissement. À l'inverse, on trouve en bas à gauche du graphique la Corée, le Danemark, la Finlande, l'Islande, le Japon, la Norvège et la République tchèque, qui comptent une faible proportion d'élèves défavorisés et où moins d'un chef d'établissement sur dix fait état d'un fort pourcentage d'élèves issus de familles modestes (3). Ces résultats n'ont rien de surprenant.

Cependant, le handicap socioéconomique réel et l'idée qu'en ont les chefs d'établissement ne coïncident pas toujours : aux États-Unis, 65 % des chefs d'établissement déclarent que plus de 30 % de leurs élèves sont issus de milieux défavorisés, ce qui est largement supérieur à tous les autres pays. Pour autant, l'enquête PISA montre que le pourcentage réel d'élèves défavorisés aux États-Unis ne s'élève qu'à 13 %, ce qui n'est que légèrement supérieur à la proportion observée en Corée et au Japon. Toutefois, dans ces deux pays, seuls 6 % et 9 % respectivement des chefs d'établissement font état d'une proportion comparable d'élèves défavorisés dans leur école. Autrement dit, le taux de pauvreté des enfants est globalement comparable dans ces trois pays mais les chefs d'établissement qui déclarent que plus de 30 % de leurs élèves sont issus de familles modestes sont six fois plus nombreux aux États-Unis. À l'inverse, en Croatie, en Serbie et à Singapour, plus de 20 % des élèves sont issus de milieux défavorisés, alors que 7 % ou moins des chefs d'établissement seulement font état d'un grand nombre d'élèves défavorisés.

Certes, un enfant considéré comme pauvre aux États-Unis peut être jugé relativement riche dans un autre pays, mais le fait que le problème supposé du handicap socioéconomique des élèves soit beaucoup plus important aux États-Unis – et en France – qu'il ne l'est en réalité donne aussi à penser que ce que les chefs d'établissement considèrent comme un handicap socioéconomique dans certains pays ne serait pas considéré comme tel dans d'autres.

Autre dimension cruciale : l'impact réel du handicap socioéconomique sur les résultats scolaires, illustré par la taille des points sur le graphique (4). Il s'agit ici de montrer dans quelle mesure le système éducatif d'un pays garantit l'égalité des chances face à l'éducation. En Finlande, en Islande ou en Norvège, on s'attend à ce que cet impact soit limité étant donné que ces pays comptent une très faible proportion d'élèves issus de milieux défavorisés : il est facile de garantir l'égalité des chances à l'école lorsque la richesse et l'éducation sont réparties équitablement au sein de la société. En revanche, les résultats les plus impressionnants sont obtenus par certains pays comme Singapour, premier du classement PISA, où, bien que le handicap socioéconomique soit important, l'impact sur les résultats scolaires est modeste. Ces pays semblent parvenir mieux que les autres à cultiver les talents de tous les élèves et à veiller à ce que chaque élève bénéficie d'un enseignement de premier ordre. À l'inverse, la France compte une proportion comparativement modeste d'élèves défavorisés mais les chefs d'établissement la perçoivent comme importante et les résultats scolaires y sont étroitement liés au milieu socioéconomique – plus étroitement en fait que dans tout autre pays à l'exception du Chili et de la République slovaque. D'une manière plus générale, les résultats montrent que le sentiment qu'ont les chefs d'établissement du handicap socioéconomique est plus étroitement corrélé à l'inégalité des chances face à l'éducation que ne l'est le handicap socioéconomique réel.

On peut aborder ce problème autrement : en Corée et à Singapour, plus d'un élève sur deux issu du quartile inférieur de l'échelle socioéconomique se situe dans le quartile supérieur du classement international du PISA. Au Japon, 45 % des élèves défavorisés présentent la même « résilience » et obtiennent de meilleurs résultats au test du PISA que l'on pourrait le penser au vu de leur milieu socioéconomique d'origine. En revanche, en France et aux États-Unis, seuls 20 % environ des élèves sont résilients, et un sur dix seulement en Israël.

Quelles conclusions tirer ? Le handicap socioéconomique représente un véritable défi pour les spécialistes de l'éducation dans le monde entier, mais dans des pays comme la France ou les États-Unis, le handicap supposé est bien plus grand que le handicap réel et il exerce une influence importante sur les résultats scolaires. Dans des pays comme Singapour, le handicap socioéconomique réel est bien plus important que ne l'imaginent les chefs d'établissement, mais le système éducatif semble parvenir à aider les élèves à le surmonter.

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(1). Plus précisément, il présente le pourcentage d'enseignants du premier cycle du secondaire qui travaillent dans des établissements où, selon le chef d'établissement, 30 % des élèves sont issus de familles défavorisées. Les données sont extraites de l'enquête TALIS (Enquête internationale sur l'enseignement et l'apprentissage de l'OCDE), représentative du corps enseignant des pays participants.

(2). Indice de statut économique, social et culturel (SESC) du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA).

(3). « Fort » correspond ici à une proportion d'élèves issus de milieux modestes dans l'établissement supérieure à 30 %.

(4). Mesuré ici par la variation (en pourcentage) des résultats en mathématiques expliquée par l'indice PISA de statut économique, social et culturel (SESC).

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Andreas Schleicher est à la tête de la Direction de l'éducation et des compétences de l'OCDE. Avant il a été à tête de la Division des Indicateurs et de l'Analyse, encharge des programmes PISA (Programme for International Student Assessment) et INES (Indicators of Education Systems programme).En 2003 il s'est vu descerner le prix Theodor Heuss pour son "engagement exemplaire en faveur de la démocractie" grâce à ses efforts d'incitation au débat public autour de PISA.

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