Le mécanisme simple d'utilisation du chèque emploi service, inventé en 1994 et relancé par la loi de cohésion sociale du 26 Juillet 2005 (Plan Borloo), a dopé le marché des services à la personne. Derrière ce terme se cache en fait un faux-ami. En effet, les services à la personne peuvent être des réponses à des demandes ponctuelles : quelques heures de ménage, quelques travaux limités de jardinage ou encore quelques heures de soutien scolaire.
Dans ces cas-là, la défiscalisation initiale de 50 % du montant des frais engagés était une "niche" fiscale tolérée et tolérable. Là où la situation est plus compliquée, c'est lorsque les services à la personne représentent un emploi à temps plein notamment en matière d'assistance aux personnes âgées et aux handicapés. Dans ces deux derniers cas, il est clair que l'évolution de la démographie et de la lourdeur des pathologies dues au vieillissement justifient pleinement un système de défiscalisation mais bien évidemment il peut être collectivement coûteux et générateur d'inégalités suivant les revenus des personnes concernées.
Toutefois, nul ne peut nier que le maintien à son domicile d'une personne âgée est moins coûteux pour la société que son hospitalisation ou que son placement en institution spécialisée. S'agissant du droit commun, la réduction d'impôt est plafonnée à 50 % de 12.000 Euros de dépenses engagées soit 6.000 Euros par an. Ce montant passe à 7.500 Euros si la personne a plus de 65 ans et surtout à 10.000 Euros de réduction s'il s'agit d'une assistance à une personne handicapée.
Pour les personnes les plus fragiles qui ont le plus besoin d'aide, ces chiffrages laissent parfois une quote-part à payer car le nombre d'heures du salarié (ou de la salariée) vont au-delà de 12.000 Euros de rémunération charges comprises. D'autant, qu'innovation à compter du 1er Janvier 2013, il convient désormais de calculer les cotisations sur la base du salaire réellement versé (exit la notion de cotisations forfaitaires). Ceci représente une différence sensible pour tous les budgets.
Dès lors que l'ensemble des réductions d'impôts sont limitées à 10.000 Euros par an et dès lors que bien des rémunérations vont dépasser les 12.000 Euros (donc la barre symbolique des 50 % de défiscalisation), un mouvement est déjà observé de contournement de cet arsenal fiscal. De nombreux cas sont possibles : du chantage à l'emploi si la salariée n'accepte pas d'être payée en espèces sur la base du net (perte des droits sociaux), du panachage complexe entre quelques heures déclarées et la plupart des heures au noir, de la cessation d'activité par licenciement de la salariée et arrêt de son travail par la mère de famille.
Dans cette dernière hypothèse, on se rend compte du caractère délicat de la remise en cause d'un avantage fiscal qui peut plonger une "nounou" au chômage et la mère des enfants à redevenir "mère au foyer". Il s'agit là d'une double régression alors que le système initial a toujours été évalué comme créateur d'emplois. Pour probablement moins de 200 millions d'euros d'économies budgétaires, il a été procédé à une sorte de bouleversement sociétal qui va affecter la vie et la couverture sociale de dizaines de milliers de travailleurs et travailleuses.
Le proche avenir dira quel est le véritable bilan coûts-avantages de ces mesures mais il est légitime de craindre la présence d'une erreur d'appréciation tandis que la défiscalisation Outre-mer est sanctuarisée par clientélisme. Vu de Bercy, les choses paraissent parfois linéaires là où la vraie économie est d'évidence plus complexe à appréhender. Ici nous sommes potentiellement confrontés à une atteinte à la condition féminine et à une altération des droits des personnes les plus fragiles.
Au moment où les emplois d'avenir pourront être rémunérés en chèque service, la boussole semble décidément chercher le nord sur cette question des services à la personne.