Il est classique et utile de distinguer les décisions dont le caractère est structurel de celles dont le rôle est seulement conjoncturel. Prenons un exemple relatif au réseau routier : l’organisation d’une course cycliste sur une partie de ce réseau requiert des aménagements spécifiques, qui sont mis en place pour une durée limitée. Chaque année, le Tour de France nous donne ainsi un bon exemple de mesures conjoncturelles en matière de circulation. En revanche, quand il s’est agi de relier la Grande-Bretagne à la France par un souterrain, la décision était typiquement de nature structurelle : le tunnel a grandement et durablement modifié le transit des êtres humains et des marchandises entre les îles britanniques et le continent.
Informatiser ne suffit pas à conjurer la sclérose administrative
Il arrive assez souvent que des mesures structurelles soient prises sous l’influence de la conjoncture. Par exemple, l’épidémie Covid a mis en évidence certaines faiblesses de l’organisation sanitaire et médicale, et les hôpitaux effectuent (ou seraient bien avisés d’effectuer) certaines modifications dans la façon dont ils fonctionnent.
Bien entendu, il ne saurait s’agir de réformes simplement médicales : les hôpitaux ont besoin, pour devenir plus efficaces, de rompre avec une organisation paperassière, sachant que la « paperasserie informatique » actuelle est tout aussi délétère que son ancêtre plumitive, si ce n’est davantage. Avoir largement remplacé l’encre et le papier par les électrons et les écrans n’a hélas souvent changé que les apparences ; l’administration hospitalière, et l’administration en général, ont besoin d’améliorer leur organisation, et il ne suffit pas pour cela de s’informatiser à outrance !
Nous avons besoin de réformes structurelles
Bien des circonstances peuvent requérir des mesures conjoncturelles : une épidémie, exemple actuellement incontournable, requiert des dispositions qui sortent de l’ordinaire, et qui ne sont pas destinées à durer indéfiniment. Pour ne pas tout mélanger, nous allons ici nous intéresser aux réformes ou créations dites « structurelles », assez différentes des mesures dites « conjoncturelles » qui forment une partie importante des décisions prises par les pouvoirs publics.
Les réformes structurelles requièrent une analyse économique sérieuse
La France, comme beaucoup d’autres pays, a mis en place, dans le domaine « social », des lois totalement absurdes. Le cas des retraites dites « par répartition » est particulièrement important. Nous acquérons en effet des droits à pension au prorata des cotisations que nous versons pour les retraités. Or il serait difficile de trouver une législation sociale plus en contradiction avec la réalité économique.
Celle-ci a été exposée il y a des décennies par le démographe Alfred Sauvy sous forme d’une simple phrase : « nous ne préparons pas nos pensions par nos cotisations vieillesse, mais par nos enfants ». C’est une vérité absolument certaine : en répartition, nos cotisations vieillesse servent intégralement (régime général) ou très majoritairement (régimes complémentaires, dont l’ARRCO-AGIRC est le plus important) à payer les pensions des retraités actuels ; elles ne peuvent pas en même temps servir, si ce n’est de façon marginale, à préparer les pensions des cotisants qui les versent ! Les cotisations sociales n’ont pas plus que nous le don d’ubiquité (être présent en même temps à deux endroits différents). Sachant que ces cotisations servent indubitablement à payer les pensions versées aux retraités actuels, il est rigoureusement impossible qu’elles profitent aussi aux cotisants actuels sous forme de « réserves » investies dans des activités productives.
Comprendre cela est très important. La plupart des législateurs font « comme si » les cotisations retraite versées par Mr Dupont préparaient réellement, économiquement, les prestations vieillesse dues à Mr Dupont : soit ces législateurs se trompent, victimes de leur ignorance, soit ils mentent. Les menteurs, s’il en existe, sont ceux qui ont compris comment fonctionnent réellement les retraites de la Sécu et de l’ARRCO-AGIRC, et décident néanmoins de valider législativement des règles sans rapport avec la réalité économique, laquelle est que les futures retraites sont préparées par la mise au monde, l’entretien et l’éducation des enfants, et non par les cotisations vieillesse.
Conséquences d’un tour de passe-passe législatif
Concrètement, la situation juridique ubuesque à laquelle nous sommes confrontés en matière de retraites dites « par répartition » provient d’une décision prise en 1941. Le régime d’assurance vieillesse français était alors confronté à de graves difficultés : l’économie française avait été laminée par la défaite militaire, l’Occupation et l’inflation, si bien que les réserves censées servir au paiement des pensions n’étaient pas, et de loin, suffisantes pour faire face aux obligations contractées en faveur des retraités. En vue de protéger les intérêts de ceux-ci, le régime de Vichy pratiqua une carambouille : pour verser des pensions il se mit à dépenser immédiatement, en « pay-as-you-go », les cotisations qui auraient dû (d’après les anciennes règles) être épargnées et investies pour préparer les pensions futures, et cela tout en inscrivant soigneusement ces versements sur les comptes de droits à pension des actifs cotisants, exactement comme s’il s’agissait d’un investissement.
Le mot magique : répartition
Un mot fut trouvé pour légitimer cette absurdité économique et juridique : « répartition ». C’est incroyable mais vrai : ce mot magique fut suffisant pour faire admettre par les Français actifs que payer de quoi verser des pensions à leurs aînés retraités constitue un moyen astucieux de se préparer une retraite confortable.
Adieu la logique et le bon sens : les personnes qui, à l’instar du démographe Alfred Sauvy, comprirent qu’il y avait une arnaque, ne furent pas écoutées. La plupart des citoyens gobèrent le bobard selon lequel payer les pensions de leurs aînés permettrait de leur verser ultérieurement de bonnes pensions. Un système de Ponzi – le célèbre escroc dont s’inspira ensuite Bernard Madoff – fut ainsi mis en place en tant que règle fondamentale des retraites par répartition.
A la décharge du législateur français, Il faut dire que la France ne fut pas le seul pays à se lancer tête baissée dans l’escroquerie la plus vaste jamais pratiquée sur notre planète : ce tour de passe-passe législatif obtint mondialement le succès le plus éclatant.