Restauration : « Fait maison » versus « surgelés », la guerre du goût commence-t-elle aujourd’hui ?

Photo Jean Baptiste Giraud
Par Jean-Baptiste Giraud Modifié le 15 juillet 2014 à 5h27

On vous dit que ça va être simple... La mesure part d'un excellent bon sentiment, mais on se prépare une brouettée d'histoires cocasses avec cette nouvelle loi : Depuis le 13 juillet, un décret impose aux restaurateurs de mentionner sur leurs cartes si un plat est "fait maison" ou non. Plus précisément, seuls les plats "faits maison" seront distingués des autres, qui n'auront aucune mention. Ca risque vite de faire désordre sur la carte, puisqu'en fait de mention, c'est un petit logo (une espèce de petite maisonnette) qui distinguera les plats "faits maison" des autres. Fort bien.

Seulement voilà : Si vous commandez un plat "fait maison", vous pourriez être déçus, car le décret est tellement alambiqué qu'il permet en fait à un peu tout et n'importe quoi d'être affublé de la médaille, pardon, du logo !!! Le deuxième paragraphe du décret affirme en effet que "peuvent entrer dans la composition d'un plat "fait maison" les produits qui ont été réceptionnés par le professionnel, - épluchés à l'exception des pommes de terre, pelés, tranchés, coupés, découpés, hachés, nettoyés, désossés, dépouillés, décortiqués, taillés, moulus ou broyés ; fumés, salés, réfrigérés, congelés, surgelés, conditionnés sous vide". Si si ce n'est pas un mauvais copié collé, c'est le décret ! C'est "fait maison", même si cela arrive directement de chez Tricatel, surgelé, pourvu que vous le passiez au micro-ondes et le mettiez dans une assiette avec un peu de persil sur le bord ! On croit vraiment, mais alors vraiment rêver.

La suite du décret précise, pour ceux qui n'auraient pas bien compris, ce qui peut être labellisé "fait maison" : Les sauces livrées toutes faites par un "laboratoire", comme le fait une grande brasserie parisienne réputée pour son entrecôte et sa sauce, à telle point qu'il y a toujours deux heures de queue devant ? Oui oui, c'est fait maison, bien que la sauce sorte d'un bidon pas très ragoutant qui traîne par terre et n'est même pas mis au réfrigérateur. A quoi bon, le bidon va faire la soirée et de toute façon la sauce est chauffée !

Quel plat pourrait-être exclu de la labellisation "fait maison" ?

Et pourtant, Carole Delga, la gentille secrétaire d'Etat au Commerce et à la Consommation a expliqué doctement que ce décret devait servir à distinguer "l'acte de cuisiner par rapport à la cuisine d'assemblage". Ca se pose un peu la, d'autant que le décret semble dire tout et son contraire. Si l'on vous sert une entrecôte frites avec une sauce, et que la sauce est arrivée toutes faîtes de l'extérieur, d'un "labo", le plat pourra porter la mention "fait maison", mais quelque part sur la carte, le restaurateur devra "informer le consommateur" que "les fonds blancs sont conçus à l'extérieur". Pour ceux qui l'ignorent, les fonds blancs, mais aussi bruns ou fumets, ce sont les sauces, et le décret précise que le restaurateur peut se les procurer à l'extérieur sans que cela ne gâte la qualité de "fait maison" pour ses plats...

Et les frites mon brave monsieur, hein, les frites ? Ah heureusement que les brillants rédacteurs du décret en sont manifestement de grands consommateurs : Tous les légumes pourront arriver surgelés au restaurant, finir au micro-ondes ou dans une poêle, et être affublés du logo "fait maison" sauf.. les frites ! Pour qu'elles soient maison, il faudra que le sac de patates passe à l'éplucheuse et à la trancheuse (électriques). L'honneur et la gastronomie française sont saufs.

"Fait maison" un décret hypocrite et inutile

En résumé, si, demain, au restaurant, vous commandez un plat "fait maison", ne vous réjouissez pas trop vite. Il n'aura probablement pas grand chose de différent avec le plat d'avant le décret, mais surtout, les ingrédients entrant dans sa préparation, y compris les sauces, y compris la viande ou le poisson, y compris l'accompagnement, pourront avoir été préparés, assaisonnés et même cuits ailleurs (le décret mentionne bien "réfrigérés, congelés, surgelés, conditionnés sous vide") : ça sera du "fait maison". On en rit encore dans l'arrière cuisine...

Photo Jean Baptiste Giraud

Jean-Baptiste Giraud est le fondateur et directeur de la rédaction d'Economie Matin.  Jean-Baptiste Giraud a commencé sa carrière comme journaliste reporter à Radio France, puis a passé neuf ans à BFM comme reporter, matinalier, chroniqueur et intervieweur. En parallèle, il était également journaliste pour TF1, où il réalisait des reportages et des programmes courts diffusés en prime-time.  En 2004, il fonde Economie Matin, qui devient le premier hebdomadaire économique français. Celui-ci atteint une diffusion de 600.000 exemplaires (OJD) en juin 2006. Un fonds economique espagnol prendra le contrôle de l'hebdomadaire en 2007. Après avoir créé dans la foulée plusieurs entreprises (Versailles Events, Versailles+, Les Editions Digitales), Jean-Baptiste Giraud a participé en 2010/2011 au lancement du pure player Atlantico, dont il est resté rédacteur en chef pendant un an. En 2012, soliicité par un investisseur pour créer un pure-player économique,  il décide de relancer EconomieMatin sur Internet  avec les investisseurs historiques du premier tour de Economie Matin, version papier.  Éditorialiste économique sur Sud Radio de 2016 à 2018, Il a également présenté le « Mag de l’Eco » sur RTL de 2016 à 2019, et « Questions au saut du lit » toujours sur RTL, jusqu’en septembre 2021.  Jean-Baptiste Giraud est également l'auteur de nombreux ouvrages, dont « Dernière crise avant l’Apocalypse », paru chez Ring en 2021, mais aussi de "Combien ça coute, combien ça rapporte" (Eyrolles), "Les grands esprits ont toujours tort", "Pourquoi les rayures ont-elles des zèbres", "Pourquoi les bois ont-ils des cerfs", "Histoires bêtes" (Editions du Moment) ou encore du " Guide des bécébranchés" (L'Archipel).

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