Marc Simoncini : « on court plus vite le ventre vide » #BESTOF

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Par Capucine Graby et Marc Simoncini Modifié le 14 août 2013 à 7h31

Le moral est au plus bas. Millionnaire il y a trois ans, ruiné aujourd’hui, c’est à n’y plus rien comprendre.

Le plus étonnant dans cette histoire, c’est que je commençais à être regonflé par l’aventure Meetic. Je n’ai qu’une peur, c’est que cette faillite ne vienne compromettre l’élan de mon nouveau bébé. Heureusement pour moi, ma bonne étoile ne me quitte pas. Acculé, j’appelle Thierry : "Comment ça va, Marco ? — Moyen, je suis ruiné. — Hein ? — J’ai suivi à la lettre les conseils de mes banquiers qui me proposaient de prendre des crédits gagés sur mes titres Vivendi. — Je ne peux pas croire que tu aies fait ça... — Si si, Messier a sauté, l’action est au plus bas, je suis foutu."

Thierry me propose de se porter caution à la banque, je lui donne ma maison en gage, je peux respirer, j’ai quelques mois devant moi pour rembourser les banques. Le bateau de Thierry me revient en mémoire, finalement il avait fait une folie, acheter un bateau un tel prix ! Et pourtant, même s’il a probablement perdu de l’argent avec cet engin, il en a infiniment moins perdu que moi... Comme quoi, la vraie folie était sûrement d’investir en Bourse, de prendre des participations tous azimuts dans ces jeunes pousses du Net qui pour la plupart ont explosé en vol, ou d’écouter les conseils de "professionnels".

Comme un malheur n’arrive jamais seul, c’est le moment que choisit le fisc pour me contrôler. Effarée par les montants que j’ai réussi à emprunter, l’inspectrice imagine probablement que j’ai des avoirs cachés donnés en gage aux banques. Le contrôle se déroule très bien, cette dernière constate que ma fortune n’est plus ce qu’elle était, et surtout, qu’on ne peut pas avoir plus mal géré son argent ! Elle en arrive même à me donner des conseils. En cas de redressement significatif je ne pourrai même pas le contester puisque je n’ai rien à donner en gage.

Ma vie est donc entre ses mains, si elle conteste les donations que j’ai faites à ma femme et mes enfants, je plonge. Ivre d’inquiétude, je ne dors pas pendant trois nuits. Au petit matin de la quatrième, le fax bipe et déroule son avis : "Absence de redressement fiscal." Je suis encore aujourd’hui persuadé que si je ne m’étais pas présenté démuni et azimuté, mon interlocutrice m’aurait probablement épinglé. Le fisc ne m’a pas donné le coup de grâce, j’ai quasiment perdu tout ce que j’avais réussi à gagner grâce à la vente d’i(France), mais bizarrement tout cela me rend plus léger, la dépression s’éloigne.



Meetic est désormais ma seule planche de salut, le seul moyen de pouvoir rembourser un jour mes dettes. J’avais besoin de toucher le fond pour retrouver un moteur. Je décide donc de miser ma vie sur cette entreprise, je bascule du mi-temps au 24 heures sur 24. Nous passons de trois à cinquante salariés et travaillons jour et nuit.

Christophe Salanon me rejoint, chez Spray il avait déjà travaillé sur un site de rencontres. Emmanuel Prevost sera le directeur technique, il ne dormira plus pendant de longues années, réussissant à gérer la croissance phénoménale du site (en 2010 l’équivalent du Stade de France était connecté chaque soir sur Meetic). Une partie de mon ancienne équipe d’i(France) nous rejoint. Sandrine Leonardi sera notre directrice financière, à cette époque elle ne sait pas que nous ferions sept acquisitions et une introduction en Bourse. Philippe Chainieux parti d’i(France) chez SFR nous rejoint pour lancer l’activité mobile de Meetic. Il fera passer la société de 30 à 500 salariés, deviendra directeur général puis PDG après mon départ suite à la vente de Meetic à l’américain IAC.

Un peu plus d’un an après ma banqueroute estivale, mon principal concurrent, le géant américain Match.com, commence à me faire les yeux doux. Il faut dire que Meetic explose, en France mais aussi déjà en Espagne ou en Italie. Hommes et femmes (50 % des inscrits online sont des femmes, ce qui est totalement révolutionnaire) plébiscitent ce site branché, glamour, festif, et qui peut changer leur vie...

Les avances d’un poids lourd du secteur ne me laissent pas indifférent, j’ai toujours des millions de dettes et vendre Meetic à ce moment-là pourrait peut-être m’aider à les rembourser. Au même moment le patron de Yahoo ! US décide de venir visiter quelques grands groupes français. Il s’interroge : quel est ce site sur lequel les jolies hôtesses d’accueil surfent à chaque fois qu’il visite une entreprise ? Ce site, c’est Meetic. Il demande alors au responsable des acquisitions de Yahoo ! de creuser pour voir si cela ne pourrait pas intéresser le portail américain.



Je décide donc de donner suite à ces demandes. Je donne rendez-vous dans le même restaurant londonien à deux heures d’intervalle aux deux groupes américains IAC et Yahoo ! Mon premier interlocuteur, Joe Cohen, dirige les activités internationales de Match.com. La discussion va bon train jusqu’à ce que mon deuxième rendez-vous arrive à la même table ! Je m’étais emmêlé les pinceaux avec le décalage horaire entre Paris et Londres, voilà mes deux acheteurs à la même table !

Je suis très gêné, je demande à Yahoo ! de patienter. Voyant qu’il y a urgence, au bout de quelques minutes, Joe Cohen me tend un post-it sur lequel il a griffonné: "40M$." 40 millions de dollars ! Il me suffit de dire oui et tous mes ennuis financiers s’envolent. En quelques secondes, j’ai la possibilité de rembourser mes dettes et d’être riche, à nouveau. Je suis tétanisé.

Je pense à tout ce que j’ai appris en termes de négociation aux côtés de Thierry lorsqu’il négociait pour nous la vente d’i(France) à Jean-Marie Messier. Je tente un pari fou, je reprends le post-it et j’y écris : "60." Joe Cohen le récupère, me jette un regard noir et le déchire.

Sept ans plus tard, je finirai par revendre les deux tiers de mes parts dans Meetic à Match.com. Meetic sera alors valorisée 500 millions de dollars.

grandeur et misere des stars du net

Extraits de "Grandeurs et misères des stars du Net" par Capucine Graby et Marc Simoncini. Editions Grasset (2012). 17,10 euros

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Capucine Graby est journaliste. Elle a notamment travaillé à BFM radio et au service économie d’Itélé.Marc Simoncini est entrepreneur. Il a fondé i(France), le site web de rencontres Meetic et, en mars 2012, Sensee, un site de vente de lunettes en ligne. Il est le co-fondateur de l’école des métiers de l’Internet, qui a ouvert en septembre 2011. 

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