Deux des principaux candidats à la présidence du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux et Patrick Bernasconi, ont décidé, jeudi 13 juin, de se retirer de la course pour se rallier à la candidature du troisième favori Pierre Gattaz. « L'équipe que nous constituerons tous les trois s'appuiera sur un conseil exécutif représentatif, notre instance de gouvernance, et sur la mobilisation des branches et des territoires, qui sont les composantes essentielles de notre mouvement », ont indiqué les trois dirigeants dans un communiqué commun, appelant à une « union pour les entreprises de France ».
Pierre Gattaz est le fils d'Yvon Gattaz, président du CNPF (Conseil national du patronat français) entre 1981 et 1986. Retour sur la vie de ce grand patron qui semble avoir su transmettre son savoir-faire à son fils.
Extraits de "Du CNPF au Medef : Confidences d'un apparatchik", de Bernard Giroux (Archipel)
Yvon Gattaz est également un homme obstiné, opiniâtre. Très tôt, il prit son bâton de pèlerin pour aller dialoguer, lui, le prince des entrepreneurs, avec le prince des politiques, j'ai nommé le président François Mitterrand. Ces entretiens furent plus constructifs qu'on ne l'imagine. Gattaz les a relatés dans un ouvrage passionnant écrit avec le journaliste et historien Philippe Simonnot. Sur ce point, je suis persuadé que le président socialiste apprécia que l'organisation patronale eût choisi comme interlocuteur un chef d'entreprise d'origine provinciale, peu marqué politiquement.
Sans faire injure à Yvon Chotard, son élection aurait pu donner l'impression, compte tenu de ses engagements politiques et à l'instar de ce qui s'était produit avec François Ceyrac, que le patronat demeurait un agent supplétif du RPR et de l'UDF.
Par ailleurs, Gattaz et Mitterrand, les deux provinciaux aux parcours si brillants, ne pouvaient que se humer favorablement. La réussite entrepreneuriale du premier était suffisamment probante pour que François Mitterrand écoute de plus en plus favorablement les remarques dénuées d'animosité et souvent pertinentes du président du CNPF. Ainsi Gattaz s'enorgueillit-il d'avoir obtenu de Mitterrand l'exonération de l'outil de travail dans le calcul de l'impôt sur la fortune.
Dans l'incontestable et paradoxal processus de réhabilitation de l'entreprise qui s'est mis en place au cours des années 1980, les échanges cordiaux mais sans compromis entre Mitterrand et Gattaz ont donc joué un rôle important.
Sur ce plan, nous partions de loin. Des tendances lourdes contribuent à faire de la France l'une des nations les plus rétives à l'esprit d'entreprise, à l'économie de marché et au capitalisme. Réalisée à la fin des années 2000 pour le compte de l'université du Maryland, une enquête de l'institut de sondage Globalscan a sidéré les observateurs. Seuls 36 % des Français estimaient que l'économie de marché, ouverte à la mondialisation, était le meilleur système pour l'avenir.
À titre de comparaison, à la même question, 43 % des Russes répondaient positivement, 65 % des Allemands, 71 % des Américains et... 74 % des Chinois. Tout contribue en France à expliquer cette réticence : notre histoire collective, la religion, le rôle de l'État, la centralisation, l'administration, l'histoire des idées. En d'autres termes, si les Français sont si réservés vis-à-vis du capitalisme et du marché, il faut en chercher les racines chez Jésus, Colbert, Napoléon, Karl Marx et Courteline. Bel aréopage !
Ce climat, sinon de confiance, du moins de considération mutuelle, ne s'instaura que progressivement. Le jour de son élection, le 15 décembre 1981, Yvon Gattaz s'était empressé d'indiquer l'esprit qui animait la nouvelle direction patronale :
— Nous n'élèverons ni le mur de l'argent, ni le mur de l'idéologie. Le patronat ne pratiquera pas une politique de la terre brûlée. Le CNPF sera une force de proposition constructive plutôt que d'opposition systématique... Le CNPF ne fait pas de politique, n'est pas dans l'opposition. Nous n'avons qu'un parti, celui de l'entreprise. C'est le parti du changement et le parti du progrès...
Lors de son premier entretien avec Mitterrand, le 8 janvier 1982, il récidivait :
— Nous serons des partenaires constructifs et fermes... Ni politique de la main tendue, ni politique de la main refusée, mais un dialogue franc, contradictoire et vigilant.
Bernard Giroux a dirigé pendant quinze ans le service de presse du CNPF devenu Medef. Depuis 2003, il a rejoint comme directeur des relations avec la presse l'Assemblée des Chambres françaises de commerce et d'industrie (ACFCI). Il enseigne dans les écoles de journalisme et de communication (EFAP, CELSA, ESJ, IEJ...).
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