Tout se vend, tout s’achète : l’amour, le sexe, et maintenant la vie #BESTOF

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Par François-Xavier Bellamy Modifié le 20 août 2013 à 5h39

OPINION

En philosophie, rien ne mérite plus de reconnaissance que la générosité intellectuelle qui consiste à aller jusqu’au bout de sa propre pensée. C’est la cohérence d’une idée avancée jusque dans ses conséquences ultimes qui permet en effet d’en discerner le bien-fondé – ou l’inverse. Mais peu d’esprits en sont capables ; on reconnaît une idée à moitié convaincante au fait qu’elle trouve toujours de bonnes raisons de s’arrêter sur le seuil de son propre développement.

En ce sens, il faut dire un immense merci à Pierre Bergé. Voilà un homme honnête et franc, qui va jusqu’au bout de la vision du monde qu’il défend. Participant hier à la manifestation pour l’égalité, il n’a pas hésité à expliciter les conséquences nécessaires de cette revendication. Conséquences logiques, à la vérité…

Exiger l’égalité, c’est affirmer que « tous ceux qui s’aiment » (selon la formule de la pétition du PS, d’une généralité déconcertante) doivent se voir reconnaître le droit d’avoir des enfants. Fort bien. Le droit à l’enfant est donc acté, et prétendre le contraire serait une supercherie malhonnête.

Pour que ce droit soit effectif, l’adoption, on le sait très bien, ne suffira pas ; ne serait-ce d’ailleurs que parce que, comme d’autres exemples l’ont montré, la plupart des pays avec lesquels nous entretenons des conventions d’adoption n’acceptent pas d’envoyer des enfants dans des couples de même sexe, et rompront donc ces conventions.

Il faudra donc produire des enfants pour satisfaire ce droit. Admettons-le ; là encore, promouvoir le fait et s’émouvoir des termes n’aurait pas de sens. Mais comment faire ? Pour les femmes, c’est techniquement assez simple : la procréation médicalement assistée, qui jusque là servait uniquement de palliatif à l’infécondité accidentelle de couples hétérosexuels, sera généralisée pour suppléer à l’infécondité de fait de l’union homosexuelle.

Et pour les hommes ? L’égalité ne sera pas complète tant qu’une solution ne leur aura pas été ouverte… Et cette solution ne peut passer que par la gestation pour autrui. Autrement dit, la possibilité ouverte aux hommes de salarier une femme pour porter l’enfant désiré. Tout cela est d’une imparable logique ; admettre le premier principe du raisonnement, l’exigence d’une égalité absolue dans les faits de tous les couples, revient à en accepter ces conséquences. Ce qu’a fait Pierre Bergé avec une remarquable clarté :

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« Nous ne pouvons pas faire de distinction dans les droits, que ce soit la PMA, la GPA ou l’adoption. Moi, je suis pour toutes les libertés. Louer son ventre pour faire un enfant ou louer ses bras pour travailler à l’usine, quelle différence ? »

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Un immense merci à Pierre Bergé, donc, qui d’un seul coup met en évidence ce que tant d’autres, militants et politiques, cherchaient à dissimuler par de pénibles subterfuges : oui, ce projet de loi entraîne des implications majeures. Et oui, ce projet de société est bien, dans son principe, un projet ultralibéral.*

Affirmer, au nom de « toutes les libertés », que rien ne doit être placé au-dessus du désir individuel, c’est entrer dans un monde où la loi s’interdit de réguler l’économie consumériste qui, tôt ou tard, doit investir tous les champs de l’existence humaine. Tout peut devenir objet d’une relation commerciale : plus seulement nos relations professionnelles, mais nos relations amoureuses ; plus seulement nos entreprises, mais nos familles ; plus seulement notre travail, mais nos corps. Tout se vend, tout s’achète, tout se loue : l’amour, le sexe, la vie.

La totalisation de l’économie s’exprime par le fait qu’il n’y a plus de barrières, plus de différence. Aujourd’hui, notre droit reconnaît, par exemple, que le corps humain n’est pas une matière comme une autre : on ne peut en disposer comme d’un bien de consommation. C’est au titre de cette indisponibilité du corps humain qu’il est interdit, par exemple, de vendre un organe.

A cette limite, Pierre Bergé répond par une simple question : en fait, « quelle différence ? » Quelle différence entre la marchandisation d’un corps ou de tout autre bien matériel ? Le propre de cette vision du monde, c’est l’indifférenciation. Produire un objet par le travail de ses mains ou louer son corps, c’est la même chose : c’est simplement de l’économie. « C’est faire une différence qui serait choquant », ajoute même Pierre Bergé : les différences sont scandaleuses, elles doivent être effacées, toujours au nom d’une égalité factice. C’est la même vision, au fond, qui nous rend insupportables bien d’autres distinctions, à commencer par la différence entre l’homme et la femme, entre le couple homosexuel et hétérosexuel. Et c’est la même tentative d’uniformisation rageuse qui inspire une laïcité détournée de son sens, triste revendication qui ne s’estimera satisfaite que quand l’homme ne reconnaîtra plus rien, et surtout pas lui-même, comme sacré…

Rencontrer une pensée assumée jusqu’au bout permet de faire un vrai choix entre les visions du monde qui s’offrent à nous. Dans quelle société voulons-nous vivre demain ? Voulons-nous d’un monde où tout sera mesuré par l’économie du désir individuel, un monde où tout a un prix de marché parce que plus rien n’a, en soi, de valeur ? Ou bien accepterons-nous que la loi ait pour fonction de fixer des bornes au pouvoir que les hommes ont les uns sur les autres, à la pression de la force sur le faible, et de l’argent sur le pauvre ?

Préférons-nous un monde où l’enfant se marchande, plutôt qu’un monde où il se reçoit ? Prenons garde que, dans une société où les ventres se louent, ne se donne plus une vie vraiment humaine…

Militer pour que la GPA me permette enfin d’obtenir « un enfant si je veux, un enfant quand je veux », c’est faire apparaître l’individualisme auquel finira par aboutir la rhétorique de l’égalité. Ce n’est pas un projet altruiste, non, c’est une vision marchande fondée sur l’ivresse du pouvoir de la technique et de l’argent, que rien ne doit plus limiter. Il faut que tout s’achète, pour que je sois enfin tout-puissant. A cet égard, il n’est malheureusement pas insignifiant que l’un des premiers à appeler au commerce des utérus soit un milliardaire de sexe masculin.

Je conclus cette brève réflexion par deux remarques. Le propos de Pierre Bergé est l’occasion d’une intéressante mise en perspective. On cherche souvent à discréditer l’opposition au mariage homosexuel en soulignant que ce sont les mêmes qui, hier, s’opposaient au PACS. La critique, me semble-t-il, vaudrait plutôt en sens inverse. J’ai reproduit ici le discours de Mme Guigou, qui expliquait il y a une dizaine d’années qu’elle ne soutiendrait jamais le mariage homosexuel. Où est-elle aujourd’hui ? Où sont les dizaines de parlementaires de gauche qui applaudissaient lorsqu’elle rappelait le droit de tout enfant à avoir un père et une mère ?

Evanouis dans la nature. Tétanisés, sans doute, par la peur de n’avoir pas l’air assez branchés. Disparus. De fait, ce sont les mêmes qui jurent aujourd’hui leurs grands dieux que la GPA ne se fera jamais ! Au sujet de la PMA, François Hollande a eu cette expression éloquente : « J’y suis opposé à ce stade. » A ce stade, c’est-à-dire jusqu’à quand ? Jusqu’à une prochaine « évolution de la société ? » Quelle crédibilité ont encore ces élus qui n’ont cessé de se rallier à ce qu’ils avaient dénoncé ? Je préfère au moins la loyale cohérence du propos de Pierre Bergé : elle a le mérite d’annoncer déjà la couleur. (La première surprise passée, il a d’ailleurs rapidement été rejoint par quelques éditorialistes en vue, qui déballent déjà l’attirail usé des mauvais arguments et des vraies insultes pour commencer d’imposer le « droit » à la GPA. L’étape suivante est donc bien en route…)

Ma deuxième remarque est pour tous mes amis qui soutiennent le projet du mariage pour tous, en toute bonne foi et animés par une belle et vraie générosité. Je pense en particulier à mes amis de gauche, du PS ou du Front de gauche, camarades de prépa ou d’école. Les amis, votre engagement d’aujourd’hui suscite en moi autant d’incompréhension que de tristesse. Comment ne discernez-vous pas l’inspiration ultralibérale de ce projet ? Comment ne pas voir qu’il porte en germe la disparition de la loi commune derrière le droit du plus fort, de la figure du citoyen derrière celle du consommateur, de la société politique derrière l’universel marché ? Comment ne pas comprendre que ce projet va contre l’idée même de République, que vous défendez si courageusement par ailleurs ? Engageons-nous ensemble pour le respect de tous ; mais ne laissons pas voler ce combat par ce détournement qui laisserait le marché libre et l’idéologie technique confisquer l’essentiel de nos vies…

Je l’avais déjà écrit, il y a plusieurs mois, et je comprends que vous ne m’ayez pas cru ; mais j’espère au moins que vous entendrez Pierre Bergé. Deux visions se rencontrent, deux projets antagonistes : il faut choisir. Ne vous laissez pas abuser, le réveil serait douloureux…

(*On a critiqué précédemment l’usage du terme ultralibéralisme comme trop vague. Pour le préciser d’une façon encore trop approximative, j’entends ici par ultralibéralisme un projet politique qui entre en conflit avec la loi au nom du désir de l’individu, sans reconnaissance de sa responsabilité – corollaire nécessaire de tout libéralisme authentique.)

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Article initialement publié le 20/12/2012

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François-Xavier Bellamy est normalien, agrégé de philosophie. Il enseigne actuellement en lycée, après avoir été chargé de mission pour les études au cabinet du Ministre de la Culture et de la Communication, puis conseiller technique au cabinet du Garde des Sceaux, Ministre de la Justice. Il est maire adjoint (sans étiquette) à Versailles, délégué à la jeunesse et à l'enseignement supérieur. 

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