Il fallait être attentif ce mercredi 10 octobre car la journée a été une aberration statistique. Le point le plus surprenant est la performance de la value : +2,64% en relatif aux valeurs de croissance sur la journée.
Point de marché : la grande rotation, lorsque le marché normalise ses excès
Le marché actions ce 10 octobre a dévissé : -1,65% sur l’Euro Stoxx, -2,11% sur le CAC, -2,21% sur le DAX. En revanche les taux à 10-ans ont peu bougé malgré une séance volatile, +0,4 pdb en Allemagne, +1,1 en France et -1,3 aux Etats-Unis.
Ce qui choque toutefois c'est la rotation sectorielle impressionnante sur les actions : -4,69% sur la technologie européenne alors que le secteur « services de communication » gagne +1,55%. Il fallait faire les bons choix ce mercredi 10 octobre...
Le point le plus surprenant (ou aberrant !), et de loin, est la performance de la value : +2,64% en relatif aux valeurs de croissance sur la journée de mercredi 10 octobre. Les actions « value » sont les moins chères, donc celles pour lesquelles le marché a le plus de doutes et ne veux pas payer. En cas de baisse des marchés ces actions sont donc particulièrement vulnérables. A contrario, on voit bien sur le graphique ci-dessous que, jusqu’à ce 10 octobre, les 13 plus fortes surperformances des actions « value » se sont accompagnées d’une forte progression de la bourse (entre 2,8% et 10,4% !).
La journée de mercredi 10 octobre 2018 est donc bien une aberration statistique.
NB : merci à Samuel Colin, pour les données du graphique ci-dessous.
Que se passe-t-il ? On ne peut pas expliquer ce mouvement par des craintes sur la croissance ou des craintes géopolitiques, dans ce cas l’évolution de la « value » est proprement incompréhensible et inexplicable. Il semble que la hausse des taux d’intérêt soit à l’origine d’une rotation importante des actions : les excès et distorsions liés aux taux bas sont en passe de se résorber. Au moins en partie.
Sur le graphique ci-dessous, nous regardons les « bond-proxy », les actions qui se comportent les plus comme des obligations. Nous prenons le S&P 500 pour avoir des données longues, plus d’un quart de siècle. La valorisation de cette cohorte de « bond-proxy » s’est considérablement améliorée depuis 30 ans. On est passé d’une décote de 40% en 1992 à une surcote de 60% en 2014. Bien sûr le mouvement s’est fait en parallèle de la baisse des taux américains, et donc du renchérissement des obligations.
Les valorisations de ces valeurs ont donc atteint des niveaux extrêmes et restent très tendues.
Sur le dernier cycle, la relation entre « bond proxy » et taux est évidente. Les bonds proxy ont commencé à souffrir sur les deux dernières années lorsque les taux s’orientaient à la hausse.
Il faut noter qu’il y a beaucoup de « croissance », mais aussi de « qualité », de « faible-volatilité » et autres « faible-beta » dans la cohorte des « bonds proxy ». Tous ces styles pourraient être impactés. C’est d’ailleurs ce qui s’était passé en février cette année où les stratégies les plus défensives ont sous-performé durant la correction du marché.
En résumé :
- Les taux très bas ont créé des distorsions de valorisation conséquentes au sein des marchés actions. Elles se résorbent petit à petit en parallèle de la hausse des taux.
- Les actions les plus défensives, « croissance », « qualité » et « faible-volatilité » sont les plus à risques. Ces stratégies défensives pourraient s’avérer être les plus risquées en cas de baisse des marchés actions liés à une hausse des taux.
Ca coûte combien les taux italiens plus hauts ?
Alors que les discussions sur le budget italien continuent, les tensions sur le marché continuent elles-aussi, avec un effet induit sur le service de la dette et donc un effet sur l’équilibre budgétaire.
Quel est le coût du mouvement de taux italiens depuis la prise de pouvoir du gouvernement actuel ? Essayons de mettre des chiffres précis sur le débat.
Sur les douze mois à venir il y a 287,75 milliards de BOTS et BTP (papier courts et obligations du trésor italien) qui arrivent à maturité. Comme le montre le tableau ci-dessous, en moyenne ces obligations ont été émises à un taux de 1,64%. Ce qui veut dire que l’Etat italien dépense 4,83 milliards d’euros par an en service de la dette sur ces papiers. Si la courbe n’avait pas bougée, ces papiers auraient été réémis au taux moyen de 0,5%, ils le seront à 2,0% si la courbe reste où elle est ce matin.
En résumé, le mouvement de courbe depuis la prise de pouvoir du gouvernement va multiplier par quatre le service de la dette sur ces papiers, et va « coûter » 4,34 milliards en frais financiers à l’Etat.
Bien sûr la facture est calculée sur une année, plus la situation perdure, plus la facture s’alourdie. Dans deux ans c’est 7,2 milliards de plus, dans trois ans encore 10,6 milliards à rajouter. Soit une facture totale de 21,9 milliards sur trois ans. Ou plus d’un point de PIB…
Bien sûr on ne compte pas le déficit public qu’il faut aussi financer et qui lui aussi le sera à des taux beaucoup plus élevés. Là aussi cela ajoute à la facture.
Powell réinvente la « Diego Maradona theory »
La « Maradona Theory » a été inventée par l’ancien gouverneur de la Banque d’Angleterre, Mervy King. Elle fait référence au but de Diego Maradona contre l’Angleterre en 1986 (pas la « main de Dieu », l’autre but), où Maradona traverse le terrain entier en driblant toute la défense anglaise. A y regarder de plus près Maradona a en fait couru tout droit ; les défenseurs, qui s’attendaient à des dribles, se sont positionnés au mauvais endroit, et donc Maradona n’a pas eu à changer sa trajectoire. Une banque centrale parfaitement crédible doit faire pareil : lorsque les conditions économiques changent, les anticipations inflationnistes doivent s’ajuster et, si elles le font de manière cohérente avec les objectifs de la politique monétaire, la banque centrale n’a pas besoin d’être ajustée. A l’extrême, dit Mervyn King, pour une banque centrale parfaitement crédible, les taux directeurs ne doivent pas être changés, ce sont les anticipations qui s’ajustent, tout comme Maradona n’a pas eu à changer sa trajectoire car ce sont les défenseurs qui se sont ajustés.
L’actuel « Chairman » de la Fed semble redécouvrir cette théorie, sans la nommer. Il a mentionné de manière répété l’importance qu’il attache aux anticipations inflationnistes qui permettent de limiter les pressions salariales malgré un marché de l’emploi très tendu. « Dans la mesure où le public est convaincu que la banque centrale gardera l’inflation autour de 2%, ce qui est un de nos principaux objectifs, cela a eu tendance à réduire la réaction de l’inflation au chômage » (3 Octobre).