Marchés émergents, remontée des taux et destins divergents

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Par Stéphane Monier Publié le 28 octobre 2021 à 5h03
Vaccin Janssen Echecs
@shutter - © Economie Matin
22%En Inde, le taux de vaccination est de 22%.

Alors que les banques centrales américaine et européenne attendent une reprise complète avant de relever leurs taux directeurs, de nombreux pays émergents luttent contre l'inflation en augmentant le coût d'emprunt. Cela limite potentiellement leur croissance, alors même que leurs économies n'ont pas pleinement récupéré de la pandémie. Étant donné que nous avons déjà abordé les défis de l'économie chinoise dans une publication récente, cet article se concentre sur d'autres nations émergentes.

Les marchés émergents luttent contre le Covid avec des taux de vaccination plus faibles et des taux de contagion et de mortalité plus élevés. À l'heure de publier ces lignes, 54% de la population brésilienne a reçu deux doses de vaccin tandis que le pays enregistre le deuxième bilan de mortalité le plus élevé au monde, avec 287 décès pour 100 000 habitants. En Russie, où cette proportion est de 156, un tiers des habitants sont entièrement vaccinés et en Inde, le taux de vaccination est de 22%, avec une mortalité de 33 décès pour 100 000 habitants.

Le difficile accès aux vaccins dans la plupart des pays émergents ralentit inévitablement la réouverture de leurs économies. Dans le même temps, la reprise de la demande mondiale a créé des pénuries. Cela a entraîné une hausse des prix des matières premières, du pétrole brut aux conteneurs maritimes, en passant par le gaz, l'acier et le soja, augmentant ainsi la facture alimentaire et énergétique des consommateurs. Au Brésil, l'inflation annuelle a enregistré sa plus forte progression depuis plus de cinq ans, pour atteindre 10,4%. En Russie, elle a grimpé à 7,5% et à 4.4% en Inde.

Décollage

Toutefois, contrairement aux économies développées, certaines banques centrales émergentes n'ont pu traiter la hausse des prix à la consommation comme s'il s'agissait d'un phénomène transitoire. Cette année, avec des prix à la consommation qui ont largement dépassé les cibles des banques centrales, les responsables monétaires russes et brésiliens ont réagi en relevant leurs taux directeurs (cf. tableau, page 2). Le 22 octobre, la Banque centrale de Russie a augmenté son taux de référence de 75 points de base, à 7,5%. Avec des taux d'intérêt réels tout juste positifs, le cycle de resserrement en Russie pourrait être proche de son pic, avec une nouvelle hausse probable de 25 à 50 points de base. Au Brésil, les banquiers centraux se réunissent cette semaine, et le positionnement du marché suggère une nouvelle augmentation des taux de quelque 150 points de base. En revanche, la Banque centrale indienne reste accommodante et utilise d'autres instruments, tels que le taux de prise en pension (reverse repo), afin de limiter la liquidité dans l'économie.

Cette année, en raison de ces hausses de taux et d'une reprise économique plus lente, le différentiel de produit intérieur brut (PIB) entre les pays développés et les pays émergents s'est réduit de 2,5% en 2020 à 1,2%, selon le Fonds monétaire international (FMI). Il s'agit du différentiel le plus faible depuis au moins vingt ans. Cette situation met en évidence les difficultés qui attendent les nations s'efforçant de stimuler leurs économies nationales (cf. graphique).

Paramètres fiscaux

Pour l'instant, les balances courantes de la plupart des pays émergents jouent le rôle d'amortisseur pour résister aux chocs externes. La politique budgétaire de la Russie présente peu de risques et le pays enregistrera probablement un budget équilibré en 2021 grâce à sa dépendance au pétrole. La dette publique est inférieure à 20% du PIB et est largement détenue à l'échelle nationale, ce qui met les finances publiques à l'abri des débiteurs étrangers et des taux de change.

La croissance économique de l'Inde, soutenue par sa démographie, semble assez robuste pour permettre au gouvernement de conserver sa politique budgétaire prudente l'année prochaine, voire plus longtemps encore.

Cependant, nombre de pays ne disposent pas de la puissance de feu budgétaire nécessaire pour stimuler plus avant leur croissance. Pendant la pandémie, les dépenses publiques du Brésil ont fait grimper son déficit à 14% du PIB. Pourtant, un an avant les élections générales, le gouvernement brésilien prévoit d'augmenter les dépenses jusqu'en 2022, au risque de créer davantage d'inflation. Résultat, les actifs brésiliens ont souffert la semaine dernière, ce qui indique que les marchés financiers sont attentifs aux efforts des gouvernements pour maîtriser leurs dépenses publiques.

Dans la région du Golfe, les Émirats arabes unis et l'Arabie saoudite sont bien positionnés pour diminuer leurs dépenses budgétaires. En effet, les cours du pétrole stimulent leurs économies, leur permettant de réduire les dépenses post-pandémie tout en maintenant un faible niveau de dette publique. Par ailleurs, les deux pays disposent d'amortisseurs substantiels sous forme de réserves de devises étrangères et d'actifs souverains, ainsi que d'un excédent important et croissant de la balance courante.

Le clivage pétrolier

Les marchés pétroliers ont exacerbé les pressions budgétaires. Avec une hausse du cours du brut de presque 40% cette année et de 75% depuis avril 2020, il subsiste parmi les pays émergents un clivage clair entre exportateurs et importateurs nets. Nous pensons que les prix resteront élevés avec un Brent qui se maintiendra autour de 80 USD le baril ces six prochains mois.

Il y a relativement peu de gagnants de la hausse des prix de l'énergie. Les États du Golfe, ainsi que la Russie, la Colombie, la Malaisie et le Mexique, où le pétrole représente un dixième des exportations de biens, ont tous vu leurs revenus croître. La Russie a la particularité d'être un exportateur net de pétrole, de gaz et de charbon, tirant de l'énergie plus de la moitié de ses recettes d'exportation. À l'opposé, d'autres économies émergentes, dont la Chine et l'Inde, sont des importateurs nets de ces trois sources d'énergie.

La demande chinoise de matières premières reste une source de croissance importante pour les marchés émergents. La deuxième économie mondiale est le principal partenaire économique de pays tels que le Brésil, le Pérou, l'Afrique du Sud et l'Arabie saoudite.

Tout ralentissement prolongé de l'économie chinoise présenterait un risque pour les exportateurs émergents. Cependant, le fléchissement observé cette année en Chine découle de ses pénuries d'électricité et de l'inefficience de son marché immobilier. Nous avons donc revu à la baisse nos prévisions de croissance chinoise en 2021, avec une augmentation de 8% du PIB, tout en maintenant inchangées nos perspectives pour 2022, à 5,5%.

Actifs émergents

Le FMI a fourni aux pays émergents des allocations record de 250 milliards USD sous forme de droits de tirage spéciaux (DTS). Cependant, le montant de la dette souveraine reste inquiétant, et en conséquence, nous sous-pondérons les obligations gouvernementales des pays émergents.

Dans les mois à venir, nous nous attendons à ce que l'inflation pèse sur la dette émergente en devises locales et nous préférons le segment du crédit en devises fortes. Les bénéfices des entreprises émergentes restent positifs et le taux d'endettement net est proche de ses plus bas niveaux depuis 2011. Ces fondamentaux devraient protéger ce segment contre une remontée des taux, c'est pourquoi nous conservons notre surpondération du crédit d'entreprise. Une embellie de l'appétit pour le risque serait rapidement répercutée sur cette classe d'actifs.

Nous gardons une position neutre sur les actions émergentes. Les valorisations sont historiquement élevées, mais l'amélioration des taux de vaccination, la réouverture des économies, la hausse des taux, l'inflation et les prix du pétrole devraient soutenir les actions cycliques en 2022. Par contre, les inquiétudes concernant la croissance de la Chine et l'appréciation du dollar américain ont pesé sur les attentes en matière de bénéfices, qui restent en recul par rapport aux marchés boursiers développés.

Nous avons adopté une opinion baissière sur les devises émergentes au second semestre de cette année. Nous tablons sur de nouvelles pressions en faveur d'une dépréciation en raison de la détérioration des balances commerciales : le ralentissement des exportations mondiales va probablement coïncider avec une reprise des importations au fur et à mesure que la demande intérieure se normalisera. Nous pensons que celles qui s'en sortiront le mieux parmi les devises émergentes sont : le renminbi chinois, le dollar taïwanais, la roupie indonésienne, le shekel israélien, le peso mexicain et le rouble russe. Cette année, la devise russe a gagné près de 13% par rapport au dollar américain. Nous sommes prudents concernant les perspectives du baht thaïlandais, de la livre turque, du zloty polonais, du peso colombien et du real brésilien. Le recul de la demande d'actifs brésiliens a entraîné une chute de 13% du real par rapport au dollar américain depuis juillet.

Les économies émergentes n'ont pas encore totalement récupéré. Compte tenu de la stabilisation probable du commerce mondial l'année prochaine, l'écart de croissance économique comparativement aux pays développés restera historiquement faible. Si la première moitié de 2022 présentera certes des difficultés, dès que les marchés émergents auront atteint des taux de vaccination plus élevés et que leurs banques centrales auront complété les cycles de resserrement monétaire, la deuxième moitié de l'année pourrait offrir des opportunités de surperformance par rapport aux marchés développés.

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Stéphane Monier est Chief investment officer chez Lombard Odier.

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