Marchandise et science économique

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Par Dominique Michaut Publié le 19 janvier 2017 à 5h00
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Marchandise et science économique - © Economie Matin
4,4 milliards €En novembre 2016, le commerce extérieur français était en déficit de 4,4 milliards d'euros.

À propos d’échange économique, appeler de façon générique « marchandise » l’autre objet qu’une quantité de monnaie (et en cas de troc les deux termes) aide à bien observer le système établi par cette sorte d’acte social.

C’est toutefois à deux conditions qui valent aussi bien quand le terme considéré est entièrement un service ou principalement un bien (ou lorsqu’en cas de troc chacun des deux termes est ou bien entièrement un service, ou bien principalement un bien).

Mercure et Perrine

Les propriétés objectives qui déterminent l’appartenance d’un terme d’échange économique à l’ensemble des marchandises doivent être complètement inventoriées. C’est la première condition à remplir. Or l’histoire des acceptions des mots « marchandise », « marchand, ande » et « marché » ne garantit pas du tout la complétude et l’exactitude factuelles recherchées.

La lexicographie atteste au contraire de la persistance de nos atavismes lorsque sous l’ancestral patronage de Mercure, dieu du commerce et des voleurs, Perrine au pot au lait se prend aux vertiges de l’accumulation exponentielle de richesses monnayables. Et à ce legs, notre époque s’est mise à voir dans les sélections au moyen de sondages et d’élections la preuve de l’existence d’un « marché » politique. Décidément, Mercure s’encombre le moins possible de vergogne pendant que Perrine continue à rêver.

Us et coutumes

À partir de la définition en compréhension de l’ensemble des marchandises, l’entière division de cet ensemble en catégories homogènes doit être assez poussée pour que tous les échanges économiques s’y trouvent inventoriés. Mais pour parvenir à remplir cette seconde condition, il faut passer outre à des traditions.

Par exemple, encore nombreux, sinon plus nombreux que ceux d’avis contraire, sont les fonctionnaires et, entre autres, les dispensateurs de soins médicaux qui veulent bien que l’un de leurs rapports avec qui les rémunère soit dit économique, mais qui jugent offensant qu’on le qualifie de marchand. Le réel n’en est pas moins ainsi fait que tout échange économique, et par conséquent toute rémunération du travail, est un échange marchand. Qu’on fasse ou non semblant de ne pas s’en apercevoir, un soldat et un prêtre vendent le service de leur travail à l’institution qui les emploie : leur relation avec leur employeur est en partie marchande, comme pour tout autre salarié. Au demeurant, le mot « salaire » vient des us économiques de l’armée romaine et l’histoire édifiante de la « portion congrue » vient des us économiques du clergé catholique, voir les plus complets dictionnaires historiques du français.

Les commencements logiques

L’aptitude de la théorie économique à franchir le seuil d’une science objective se joue avant tout dans ses commencements logiques. Les formations à l’économie qui passent au plus vite sur leurs fondations conceptuelles, et même de plus en plus souvent historiques, signifient : venons-en vite à ce que votre esprit critique ne doit pas contester afin que vos copies soient bien notées. Peu de recul suffit à voir que d’autres conséquences sont tout aussi limpides que maléfiques.

Si nous tolérons que les commencements logiques et les buts qui les sous-tendent soient tout juste évoqués afin de passer le plus possible sous silence des distinctions et des relations que les faits établissent, alors nous nous laissons aller à deux fautes aux conséquences massives. Nous réprimons l’incitation à réfléchir par soi-même sur le fond, dès maintenant et plus tard. Nous répandons une conception de l’économie, et donc d’un grand pan de la vie en société, sur de la fantasmagorie à coups de paralogismes et de dénis de réalité. Le néolibéralisme est pseudoscientifique et pseudo-libéral dans la mesure où tout un pan de sa doctrine procède d’une telle fantasmagorie.

Un préalable nécessaire

En bonne méthode, reconnaître la réalité de la division de l’ensemble des services et des biens commerçables, ou marchandises, constitue un préalable nécessaire. Une théorisation de la cherté, autrement dit une théorie des prix, qui ne prend pas appui sur une théorie assez fouillée et placide la marchandise ne peut qu’être ou bien foncièrement imaginaire ou bien dangereusement lacunaire, voire bien sûr les deux à la fois.

Plus l’appareil doctrinal de première instance qui guide une politique économique est scientifiquement scabreux, moins cette politique se révèle adéquate une fois qu’elle commence à être mise en œuvre. Tant que cela perdure, inévitablement les gouvernements et les corps intermédiaires s’enfoncent dans un marécage d’expédients où le sens même de ce qu’est une politique digne de ce nom se dégrade puis se perd.

La primauté du travail

Et puis ce que voici n’a rien de mineur. L’installation, en socle de la science économique, d’une théorie de la marchandise constitue un excellent moyen de rendre objectivement au travail la primauté qui lui revient. On ne peut toutefois y parvenir qu’en laissant de côté les approximations et les contrevérités périodiquement déversées sur le thème de la « valeur-travail ». L’analyse économique a trop tardé à dégager deux réalités fondamentales. 1) Sans aucune exception, toute marchandise a été et restera le produit d’une dépense d’énergie humaine. 2) Jamais cette dépense n’a été et ne sera elle-même une marchandise. L’observation de ces faits élémentaires est à la portée de n’importe qui. Qu’est-ce que le laveur de vitres vend donc à ses clients en vue d’en tirer du chiffre d’affaires puis un salaire ? Bien évidemment, c’est du nettoyage et non pas de la dépense de sa force de travail !

Qu’en école de commerce et en entreprise, on fasse grand cas des besoins des clients, il n’y a là rien de plus normal. Mais à quoi sert-il d’inculquer en faculté d’économie la primauté des besoins et la demande ? Pourquoi plus fondamentalement encore la tarte à la crème de la lutte contre la rareté ? Quelles servitudes sont postulées inéluctables afin d’en arriver à tenir pour définitivement démontrés et stables les motifs psychologiques des échanges économiques ? La répartition des tâches – par exemple entre l’agriculteur, le meunier et le boulanger – n’a-t-elle pas pour très évidente conséquence pratique la nécessité de l’échange marchand ? À quoi s’expose une civilisation qui relègue dans un coin obscur de sa conscience du réel l’analyse serrée des conséquences objectives de l’évidence concrète qui vient d’être rappelée ? Rien de neuf sous le soleil à cet égard : des sortilèges s’échappent des boîtes de Pandore délibérément tenues ouvertes. De toute façon, même en école de commerce et en entreprise, mieux vaut ne jamais perdre de vue qu’il a fallu l’offre d’ordinateurs personnels pour que des chalands prêts à en acheter se présentent. L’arbitraire de la primauté des besoins et de la demande au détriment de la primauté du travail et de l’offre conforte l’économisme qui hisse toujours plus haut les montagnes de déchets. Ouvrons les yeux, la prééminence en doctrine économique des spéculations subjectivistes sert à occulter les constats par lesquels s’ouvre logiquement la théorie de la marchandise en économie objective :

? Toute marchandise est le produit d'une dépense d'énergie humaine.
? Le travail en tant que dépense d'énergie humaine n'est pas une marchandise.

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Dominique Michaut a été directeur des études du Centre consulaire de formation de Metz puis conseiller de gestion, principalement auprès d’entreprises. Depuis 2014, il administre le site L’économie demain, dédié à la publication d’un précis d’économie objective (préface de Jacques Bichot).

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