Bourse : comment manipuler les marchés avec un ordinateur et… finir en prison

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Par Captain Economics Publié le 28 août 2014 à 3h38

Si vous avez au fond de vous l'âme d'un Madoff des bois des temps modernes, et que vous souhaitez manipuler les marchés afin de prendre de l'argent aux méchants financiers pour le redonner aux pauvres (et comme vous êtes pauvre ça tombe bien, vous allez pouvoir vous le redistribuer à vous même...), le Captain' va vous apprendre aujourd'hui quelques techniques permettant d'essayer de manipuler les marchés !!

Mais Captain', c'est totalement illégal ! Ah oui c'est vrai... L'objectif de cet article n'est surtout pas de vous donner envie de manipuler les marchés, mais de permettre à chacun d'identifier des cas où d'autres acteurs pourraient essayer de manipuler les cours (et de vous manipuler), afin d'éviter de tomber dans les quelques pièges classiques. La manipulation de marché est illégale et certains cas seront évoqués histoire de dissuader les petits malins. Bref, c'est pas bien, mais le "principe" est tout de même très intéressant à étudier.

Il existe énormément de manipulations de marché différentes. Si vous êtes un individu lambda, vous n'allez pas pouvoir manipuler le taux LIBOR (voir "Le scandale de la manipulation du LIBOR pour les nuls") ni même le cours de l'or. Mais, armé de votre ordinateur et d'une connexion internet, vous allez pouvoir mettre en place une stratégie de "pump-and-dump". Quoi ça ? Une stratégie de "pump-and-dump" consiste à identifier une action d'une entreprise peu connue, ayant une faible capitalisation et une faible liquidité (peu de volume d'échange), puis à "vanter" les qualités de cette entreprise en racontant un peu partout "eh regardez, l'action de cette entreprises est sous-cotée, son cours va exploser d'ici quelques jours lorsque [ajouter un évènement quelconque ayant l'air glamour]". Pour que cela fonctionne, le manipulateur/arnaqueur a souvent tendance à acheter pas mal d'actions de l'entreprise (créant une petite hausse du cours et hausse du volume d'échange), et à ajouter un lien vers un article quelconque pour ajouter de la crédibilité à sa recommandation.
Imaginez que demain, un ami d'un ami vienne vous voir en vous disant "J'ai un opportunité en or d'investissement pour toi. Le secteur de la vente de marijuana légale va exploser dans quelques années. Regarde cet article d'ailleurs à ce propos. L'entreprise "Medical Marijuana Inc" a vu son cours augmenter de 2% hier, avec une forte hausse des volumes d'échange. C'est maintenant où jamais !". Dans cette exemple, rien ne dit que vous allez effectivement acheter des actions de cette entreprise, mais cela peut être tentant. Si votre ami/arnaqueur présente cela à 1000 personnes, il y en a sûrement quelques unes qui vont effectivement acheter des actions de cette entreprise. L'objectif de cette personne est de créer un "buzz" autour de cette entreprise, que la hausse de la demande entraîne une hausse des cours, puis de revendre quelques heures/jours/semaines plus tard les actions achetées avant le gonflement de la bulle pour empocher un beau petit bénéfice. Une fois que la bulle artificielle s'est totalement dégonflée, le cours de l'action a tendance à revenir à son cours "pré-pump" ; le grand gagnant de cette stratégie est le promoteur de l'action (qui a acheté en bas et revendu en haut), les premiers acheteurs sont aussi gagnants s'ils ont revendu à temps, et tous les autres sont perdants. Une stratégie de pump-and-dump ne créé donc pas de valeur (l'entreprise est la même avant et après, les fondamentaux sont les mêmes) : c'est donc un jeu à somme nulle, avec des gagnants et des perdants.
Auparavant, uniquement via le bouche-a-oreille, il était assez difficile d'influencer des dizaines de milliers de potentiels investisseurs en même temps. Mais une innovation à révolutionner le petit monde de la manipulation : internet. Maintenant, avec un minimum de connaissance en informatique, n'importe qui peut diffuser (anonymement ou non) un message à des dizaines de milliers d'utilisateurs en même temps. Un exemple devenu classique de manipulation de marché via internet est celui de Jonathan Lebed, un jeune américain de 15 ans, qui a réussi a réalisé un profit de 272.826 $ en seulement 5 mois (fin 1999-début 2000), en "spammant" et en diffusant de fausses informations sur les forums de discussions de Yahoo! Finance. Il a ensuite été condamné en septembre 2000 à payer une amende de 285.000 $ (ses gains + les intérêts) ; mais son cas est spécifique car il était mineur à l'époque des faits.
"On eleven separate occasions between August 23, 1999 and February 4, 2000, Lebed engaged in a scheme on the Internet in which he purchased large blocks of thinly traded microcap stocks and, within hours of making such purchases, sent numerous false and/or misleading messages, or "spam," over the Internet touting the stocks he had just purchased. Lebed then sold all of these shares, usually within 24 hours, profiting from the increased price his messages had caused. During the course of the scheme, Lebed realized a total net profit of $272,826" (source : "Security Exchange Commission - File No. 3-10291")
Il existe trois canaux de communication différents pour tenter de "gonfler" une action. Le premier, comme dans le cas Lebed, consiste à utiliser les forums de discussions spécialisés en finance pour influencer d'autres investisseurs. A ce propos, quelques études académiques ont été réalisées comme pas exemple Sabherwal et al. (2011) ("Do Internet Stock Message Boards Influence Trading ? Evidence from Heavily Discussed Stocks with No Fundamental News") qui ont montré empiriquement que les forums de discussions pouvaient permettre de gonfler artificiellement et temporairement le cours de l'action d'une entreprise. Un autre canal consiste à envoyer des spams contenant des recommandations financières par email. Vous avez déjà peut-être reçu des emails du type "Devenez riche en 15 jours en investissant sur les marchés et en suivant les conseils de nos experts". Si le service proposé derrière n'est pas payant, il y a de fortes chances que ces emails fassent partie d'une stratégie de pump-and-dump. D'un point de vue académique, une étude empirique récente de Nelson et al. (2013) ("Are Individual Investors Influenced by the Optimism and Credibility of Stock Spam Recommendations ?") montre aussi que les "spams financiers" (stock spams) ont un impact sur les marchés, et que l'impact dépend du niveau d'optimisme et de la présence d'objectifs chiffrés (pour résumer : plus c'est gros, plus ça passe).

Depuis quelques années, un nouveau canal se développe : les réseaux sociaux. La SEC, le "gendarme de la bourse américain", a d'ailleurs récemment publié une nouvelle alerte pour prévenir les investisseurs individuels du risque de manipulation de marché via les réseaux sociaux (source : "Investor Alert: Social Media and Investing -- Stock Rumors", juillet 2014). Histoire de vous dissuader de faire la même chose, la SEC rapelle le cas du site web "PennyStockChaser", dont les dirigeants ont été condamnés à rembourser l'ensemble des profits engrangés, plus à verser une amende de 300.000$ (le cas est légèrement différent de celui de Jonathan Lebed, mais la stratégie de "pump-and-dump" est dans les grandes lignes la même)

"In SEC v. McKeown and Ryan, the SEC obtained judgments against a Canadian couple who used their website (PennyStockChaser), Facebook, and Twitter to pump up the stock of microcap companies, and then profited by selling shares of those companies. The couple allegedly received millions of shares of these companies as compensation and sold the shares around the time that their website predicted the stock price would massively increase (a practice known as "scalping"). The SEC's complaint alleged that the couple did not fully disclose the compensation they received for touting the stocks. The court ordered the couple and their companies to pay more than $3.7 million in disgorgement for profits gained as a result of the alleged conduct, and ordered the couple to pay $300,000 in civil penalties."

Conclusion : Si vous avez envie de payer 300.000 dollars d'amende ou bien de finir en prison, vous pouvez alors tenter de faire gonfler le cours d'une petite entreprise cotée via les forums de discussions, les réseaux sociaux ou bien en spammant des boîtes mails. Hop un lien vers une news quelconque qui paraît crédible, un peu de volume sur le cours de l'action et à la rigueur, si vous êtes un peu doué en informatique, quelques robots qui se parlent entre eux sur les forums ou retweet des news de façon crédible (comme s'il s'agissait d'utilisateurs réels), et vous réussirez peut-être votre coup ! Si la prison ne vous tente guère, n'écoutez jamais les recommandations que vous pouvez lire un peu partout sur internet, surtout en ce qui concerne les "micro-stocks" ou "penny stocks", c'est à dire les entreprises à faible capitalisation, faible liquidité, et souvent faible cours, pour lesquelles les manipulations sont nombreuses. "Si c'est gratuit, vous êtes le produit".

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Doctorant en économie à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et professeur d'économie à l'IESEG Paris, Thomas Renault est le créateur du site Captain Economics, un blog ayant pour but de démystifier l'économie, en abordant cela sans prise de tête ni prise de parti.  

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