Le royaume découvre une vérité oubliée depuis 1917 : les révolutions ne commencent pas à gauche pour finir à droite, mais commencent à droite pour finir à gauche. Il n’en fut pas autrement en 1789 : tout avait commencé bien avant, lorsque ma noblesse, de plus en plus paupérisée, comme vous diriez aujourd’hui, s’était raidie sur ses anciens privilèges et se battait becs et ongles pour ne pas basculer dans la révolution industrielle. Et tout avait commencé lorsque le Parlement de Paris, musée de la vieille noblesse française, avait défié ouvertement mon autorité royale.
Curieusement, François, tu te retrouves dans les mêmes affres que moi : te voici partagé entre le soin que tu apportes à ta Cour de fonctionnaires, tes alliés naturels, et l’intelligence que tu as de savoir que le pays ne peut guère prospérer sans les manufacturiers et les banquiers qui font des affaires. Dans l’indécision, tu hésites entre la mollesse pour les tiens et la dureté pour les autres. Tes policiers convoquent, intimident, provoquent. Ils durcissent le ton, parlent de fascisme, gesticulent pour rétablir l’ordre, quand ils se montrent tolérants et bienveillants pour ceux qui t’agréent.
Cette injustice et cette incertitude te dessert et favorise la révolution de droite. Le Printemps Français te guette, et il viendra de ces conservateurs, de ces libéraux, de ces catholiques qui défilent dans les rues et ne s’en laisseront pas compter.
Relis cet excellent Tocqueville et tu comprendras comment une révolution arrive. Tu ne la vois jamais venir. Elle naît de bouleversements cachés dans les profondeurs du corps social. En Allemagne, en Angleterre, les gouvernements successifs ont choisi de laisser les forces obscures s’affronter en plein jour, dans le cours démocratique des choses, et malgré les souffrances passagères, la révolution ne gronde pas.
En France, depuis 30 ans, les gouvernements qui se succèdent repoussent chaque fois qu’ils le peuvent ces réformes pénibles mais salutaires. Le pays décline, chacun s’en lamente, mais chacun regarde avec des yeux d’impuissance. Et pendant ce temps, les plaques tectoniques s’entrechoquent sous les pieds d’un pays qui s’approche de la Révolution.
L’Ancien Régime se meurt mais ne se rend pas...