Crise du sens, crise de l'envie, crise de la motivation ? Face aux interrogations courantes sur les cadres et managers dans l'entreprise, Philippe Schleiter exprime avec conviction, force et optimisme les raisons pour lesquelles nous pouvons croire en eux. A ses yeux, ils ont une vision juste et réaliste du contexte actuel de guerre économique associé à la mondialisation, et sont prêts pour la reconquête.
Votre livre s'intitule Management, le grand retour du réel. De quelle réalité parlez-vous ?
Le réel est celui vécu par les hommes et les femmes qui, pas toujours par choix, sont en situation d’encadrement et de direction de leurs pairs et collègues. Avec plus de 15 ans d’expérience dans l’accompagnement des transformations difficiles ou à fort enjeu social et humain, je vois les recettes qui marchent et celles qui font flop. Je discerne les effets des comportements courageux, parfois transgressifs, et ce que produit la mise à l’abri derrière des dogmes ou des systèmes. Et je crois avoir une bonne idée de ce qui enthousiasme un corps social, de ce qui le met en mouvement ou de ce qui, en revanche n’aboutit au mieux qu’à une indifférence polie.
Dans l'introduction de votre livre, vous citez Gramsci : « La crise est ce qui sépare l'ancien du neuf ». Quelle est nature de cette crise ? Et quelles en sont les conséquences pour l'entreprise ?
La crise est d’abord celle du sens. Quel sens pour l’activité économique à l’heure de la mondialisation et de la financiarisation des économies ? Quel sens pour les aventures collectives quand le modèle que l’on nous propose pour l’avenir est celui de l’autoentrepreneur, même uberisé ? Quel sens enfin, si on nous explique que la désindustrialisation est inéluctable ? Derrière la crise du sens, il y a celle de l’envie, donc de la motivation. Cette crise est d’autant plus triste que les potentiels d’engagement, de don de soi de l’être humain sont immenses pour ceux qui savent proposer des quêtes qui élèvent.
L'ère nouvelle est faite de ce que vous appelez la « mondialisation malheureuse ». Est-ce pour vous l'élément de contexte essentiel pour comprendre les changements à l'oeuvre ?
Pour la vivre au quotidien, les cadres et managers français ont une vision très réaliste de la mondialisation. Ils savent qu’elle génère une âpre compétition, voire une véritable guerre économique. Ils savent que dans la mondialisation, seule la puissance permet d’exister. Ils sont prêts à relever ce défi, prêts à en découdre avec leurs compétiteurs, mais ont le sentiment fort désagréable que, dans cette bataille, ils ne jouent pas à armes égales avec leurs adversaires. Enfin, ils se sentent un peu seuls parce que la société dans son ensemble n’est pas mobilisée ni même avertie de ce qui se trame, alors même que notre avenir en dépend. Cette incapacité à nommer les enjeux produit des effets délétères à tous les échelons du pays. Faute de projet collectif, nous assistons à un inquiétant processus de désagrégation et de dissociation : peuple contre élites, périphérie contre centres urbains, classes modestes contre nantis, etc. Dans ce contexte, je constate que l’entreprise est encore un lieu où des hommes et des femmes de tous horizons et de toutes classes sociales se retrouvent pour réaliser quelque chose ensemble. Il y a des richesses extraordinaires dans ce « faire ensemble » qui me paraît bien plus efficace que le « vivre ensemble » récité comme un mantra.
Selon vos mots, les managers constituent une « véritable élite née au feu de la guerre économique ».
Pourquoi ce vocabulaire de combat ?
Là encore, laissons parler le réel : les entreprises élaborent des stratégies, nouent des alliances, mènent des offensives commerciales, effectuent des percées technologiques, conquièrent des marchés, s’emparent de technologies clés, mènent ou repoussent des raids boursiers… Le vocabulaire usuel répond à votre question ! Dans l’arène de la mondialisation, nombre de professionnels se comportent comme de véritables guerriers économiques, faisant preuve d’une abnégation, voire d’un sens du sacrifice méritant d’autant plus considération qu’une part substantielle d’entre eux y consent aussi par patriotisme. Lorsqu’ils se battent pour faire gagner Peugeot, Alstom ou Essilor, ces guerriers de l’ombre, ces soldats inconnus se battent aussi pour faire gagner la France.
Vous appelez les managers à se libérer des illusions médiatiques, technologiques, idéologiques, managériales... Quelles sont les principales chimères à dégonfler ?
Il y a l’illusion de l’entreprise plate et « libérée » qui n’a plus besoin de chefs. Il y a le discours doloriste et maternisant sur le travail, qui laisse croire qu’il faut soigner et « cocooner » les salariés alors qu’ils attendent surtout des aventures à vivre ; il y a cette vision mièvre du bonheur au travail réduit à un confort ; il y a les mythes qui accompagnent les inévitables ruptures portées par la digitalisation, nouveau fromage des cabinets de conseil de tout poil, il y a la littérature sur la génération Y ou les millenials, qui cherche à nous faire croire que cette opposition de génération serait différente de toutes celles qui l’ont précédée, etc… Les raisons ne manquent pas pour distraire le manager du cœur de sa fonction : encadrer, donner du sens, donner en vie, faire grandir.
Votre livre propose aux managers de « précieux conseils pour recréer les conditions de l'engagement dans l'entreprise ». Quels sont les contours de cet engagement que vous appelez de vos vœux ?
L’engagement peut se manifester quand quatre conditions sont réunies. Le sens, qui implique une compréhension nette des choses mais aussi une visualisation de l’intérêt individuel, quel que soit son terrain (valeurs, utilitarisme, fun,…). L’envie et l’émotion, y compris avec sa part d’irrationnel. Le degré de liberté, qui donne réellement le pouvoir sur les choses, et enfin le sentiment d’appartenance à une communauté dont les membres se reconnaissent clairement comme tels et confrontés aux mêmes menaces et opportunités qu’ils vont affronter solidairement. Créez, révélez ces conditions et vous réveillez un potentiel d’énergie infinie !
Vous exhortez aussi les managers à « donner leur pleine mesure au service de l'entreprise et de la société tout entière ». Quels liens faites-vous entre l'entreprise et la société dans son ensemble ?
L’entreprise est devenue un bastion. Celui d’une institution dans laquelle les règles du jeu, bien que sévères et risquées, sont parfaitement claires. En cela elle tranche avec le reste de la société, dont les institutions sont fragilisées (État, nation, famille, religion), voire ridiculisées. En ce sens, les managers sont de plus en plus des garants de l’ordre social. De plus, ils sont de plus en plus attendus par leurs collaborateurs sur des missions ou postures qui n’ont plus rien à voir avec le lien initial de stricte hiérarchie dans un modèle de production. Ils sont donc au centre du jeu, avec un impact très fort qu’ils sous-estiment. Accessoirement, ils font aussi tourner le pays…
Vous vous dites « militant de l'entreprise ». Pour quel type d'entreprise militez-vous ?
Je suis militant de l’entreprise au sens où je suis convaincu que les managers qui les dirigent apportent beaucoup plus à la société qu’on ne voudrait le reconnaître. L’entreprise est un véritable corps intermédiaire, qui crée de la valeur mais aussi de la force, de la solidarité, de l’accomplissement et du plaisir pour ses collaborateurs. Elle forme, elle développe, elle crée de la richesse et des possibles. Bien sûr, tout n’est pas rose nulle part et elle est éminemment critiquable entre ses intérêts, parfois égoïstes, et sa capacité, elle aussi, à produire de la bureaucratie et du conformisme. À l’heure où le Politique est si décrié pour sa médiocrité et où le sentiment de l’échec du modèle français s’installe de partout, elle est plus qu’une valeur refuge, elle est un exemple, et un gisement de talents, de détermination et d’esprit positif pour la reconquête.
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