Décidément, la double fascination de nos journalistes pour les Etats-Unis et pour n'importe quelle nouveauté ne se dément pas.
Ainsi un grand quotidien du soir vient-il de s'extasier devant une apparente découverte majeure dans les théories du management. Et de citer une étude récente d'un cabinet de conseil d'Atlanta, nommé Leadership IQ, qui vient de rendre publique une étude qui démontre que, dans les entreprises, les salariés les plus râleurs sont parmi les meilleurs.
Le digest de l'étude est le suivant : les bons collaborateurs, ceux qui suivent à 100 % leur entreprise et leur chef, dont l'engagement est total, sont parmi les plus mauvais. Les raisons à cela sont nombreuses : d'abord, ils sont dénués de tout esprit critique. Ils ne peuvent, en cela, faire progresser l'entreprise.
Ensuite, leur adhésion sans retenue développe un sentiment de fidélité souvent déçu, du fait d'un manque de reconnaissance de la structure. D'où une amertume, des départs – pour les plus compétents – et la projection, à l'extérieur, d'une image négative de l'entreprise. Enfin, dans le travail d'équipe, ces « bons collaborateurs » peuvent être difficiles à manier, parce qu'ils auraient du mal à comprendre pourquoi on les associerait aux prétendus « moins bons » ; voire à ceux qui, comble du comble, seraient identifiés comme « râleurs ».
A quelques formulations près, on ne peut que se féliciter de cette étude qui donne un éclairage intéressant sur les leviers de motivation des collaborateurs, sur le lien entre motivation et compétence, sur les erreurs de management à ne pas commettre pour garder les talents, développer ou entretenir l'engagement tout en obtenant de ses collaborateurs de tous niveaux un regard critique et bienveillant sur l'entreprise, son fonctionnement, sa stratégie ou ses produits.
Donc, bravo l'étude américaine !
Ce qui est cocasse, c'est qu'une bonne partie de ce qui est révélé aujourd'hui par cette étude a déjà été écrit, il y a de nombreuses années, par feu Jean-Christian Fauvet, le génial inventeur de la socio-dynamique et de la stratégie des alliés, qui avait compris que la seule véritable mission du dirigeant était de donner du sens, et qui voulait donner à ces dirigeants les meilleures clés pour réconcilier les intérêts de leur entreprise et les aspirations de leur corps social.
La socio-dynamique considère les entreprises et, au-delà, toutes les organisations humaines, comme des gisements d'énergie déployée, pas toujours à bon escient et en tout cas jamais de façon spontanément convergente, par les acteurs qui les composent. Elle essaie d'en comprendre les causes et d'influer sur le « jeu naturel des acteurs » pour maximiser l'énergie synergique et contenir les effets négatifs de l'énergie d'antagonisme.
Cette presque science humaine ou sociale a façonné toute une série de dirigeants et de consultants. Elle a pu éclore et prospérer dans le premier creuset du conseil à la française, connue aujourd'hui comme l'école Bossard. Yves Bossard et Jean-René Fourtou ont eu, très tôt, la bonne intuition de s'adjoindre les travaux de Jean-Christian Fauvet pour développer une regard sur le management – et donc une offre de conseil - bien plus adapté à l'entreprise française, puis européenne, et surtout différente des standards (déjà !) prônés et poussés par les grands cabinets anglo-saxons.
Ce n'est pas un hasard si, aujourd'hui encore, la socio-dynamique est au cœur de l'action et de la méthode des principaux cabinets français indépendants comme Kea Partners, Alter&Go ou quelques autres. Beaucoup d'entre eux se sont d'ailleurs retrouvés le 24 janvier dernier pour rendre hommage à Jean-Christian Fauvet, leur père spirituel, lors d'un colloque sous la houlette de l'Institut de la Socio-dynamique.
En ces temps de grandes tensions, sociales ou sociétales, puiser aux sources de la socio-dynamique ne serait pas de trop pour les porteurs de projets de changement.
Pour prendre un exemple parfaitement actuel, on pourrait recommander une bonne vieille « stratégie des alliés » au gouvernement dans l'affaire du « Mariage pour tous ». Sur un plan purement tactique et à but de démonstration, il y aurait des « conditions d'adhésion » raisonnables à entendre (oui sur le mariage, non à l'adoption) et à mettre en œuvre pour fissurer le camp des opposants et embarquer la majorité des hésitants.
Il y aurait également vertu à ne pas tout miser sur une si forte « contention » (brutalités policières, sous-estimation des chiffres, accélération du calendrier parlementaire) qui, classiquement, radicalise les opposants et effraie les hésitants sur la capacité des porteurs du projet à rassembler autour d'eux les acteurs de bonne foi.
Souhaitons en tout cas que l'étude de Leadership IQ permette une renaissance, un « revival » de ces concepts très actuels, nés historiquement des conflits sociaux difficiles des années 1970, et qui se sont progressivement adaptés aux nouveaux besoins des entreprises comme la conduite des changements et transformations difficiles ou la nécessité de recréer de l'implication dans des organisations de plus en plus désincarnées.
La cause est noble ; alors tant pis si Leadership IQ vient un peu voler la vedette à notre socio-dynamique nationale. On vous l'avait pourtant dit, qu'à défaut de pétrole, nous avions des idées !