Le contentieux opposant le célèbre chausseur français Christian Louboutin à d’autres créateurs de chaussures est récurrent et la question de la protection des fameuses semelles rouges a été à l’origine de nombreux débats.
Pourtant, si les actions en contrefaçon initiées par Christian Louboutin se sont multipliées depuis plusieurs années, la Cour de cassation avait décidé par un arrêt du 30 mai 2012 que ni la forme ni la couleur de la semelle rouge n’étaient susceptibles de protection par le droit des marques. C’est un tout autre positionnement qu’adopte aujourd’hui la grande chambre de la Cour de Justice de l’Union européenne dans son arrêt du 12 juin 2018.
Dans cette dernière affaire, l’action en contrefaçon initiée par le chausseur français à l’encontre de la société néerlandaise Van Haren a été à l’origine d’une question préjudicielle afin d’offrir l’interprétation nécessaire des articles 2 et 3 de la directive 2008/95, intitulés respectivement « Signes susceptibles de constituer une marque » et « Motifs de refus et de nullité » concernant la protection d’une couleur par le droit des marques.
Si l’avocat général de la Cour de justice de l’Union européenne Maciej Szpunar avait donné raison à Van Haren en rejetant la protection de la semelle rouge, ses conclusions n’ont pas été suivies par la Cour, laquelle reconnaît enfin à Christian Louboutin qu’une « couleur peut être déposée comme une marque ». Christian Louboutin avait en effet procédé à l’enregistrement auprès de l’INPI de la couleur rouge Pantone 18-1663TP appliquée sur la semelle d’une chaussure.
Or, la protection de la forme de la semelle faisait l’objet de vifs refus, celle-ci étant déterminée, non pas par un parti-pris du créateur, mais dictée par les impératifs de la marche, à l’image de n’importe quelle autre chaussure à talon. La Cour rejette pourtant cette considération et réoriente radicalement le débat en affirmant que « la marque ne porte pas sur une forme spécifique de semelle de chaussures à talons hauts, la description de cette marque indiquant expressément que le contour de la chaussure ne fait pas partie de la marque, mais sert uniquement à mettre en évidence l’emplacement de la couleur rouge visée par l’enregistrement ».
En effet, dans la demande d’enregistrement, la marque consiste exclusivement en la couleur rouge appliquée sur la semelle d’une chaussure telle que représentée, et le contour de la chaussure ne fait pas partie de la marque mais a pour but de mettre en évidence son emplacement. Ce faisant, la Cour de Justice de l’Union européenne reconnaît à la couleur rouge Pantone 181663TP de Monsieur Louboutin la qualité de « marque de position », bénéficiant ainsi de la protection conférée par le droit des marques.
Il convient cependant d’être prudent. En effet, la qualité de marque de position, ou marque de positionnement, présente quelques incertitudes qui lui sont spécifiques, notamment concernant la distinctivité, premier critère d’éligibilité à la protection par le droit des marques. Donnons en d’abord une définition simple. Pour l’EUIPO, la marque de positionnement se caractérise par la façon spécifique dont elle est placée ou apposée sur le produit. Toute la difficulté est de parvenir à caractériser cette distinctivité et, dans de nombreux cas, la marque est généralement refusée à l’enregistrement à raison du défaut de caractère distinctif.
Cela s’explique, comme l’avait déjà précisé le Tribunal de l’Union européenne, par le fait que « les consommateurs moyens n’ont pas l’habitude de présumer l’origine des produits en se fondant sur des signes qui se confondent avec l’aspect de ces mêmes produits, de tels signes sont distinctifs (…) seulement s’ils divergent, de manière significative, de la norme ou des habitudes du secteur ».
Malgré ces obstacles, la Cour de justice de l’Union européenne offre pourtant aujourd’hui à la semelle rouge le bénéfice de la marque de position, en affirmant, au considérant 15 de sa décision, qu’une « partie considérable des consommateurs de chaussures pour femmes à talons hauts, dans le Benelux, était en mesure d’identifier les chaussures de [Christian Louboutin] comme provenant de celui-ci et donc de les distinguer des chaussures pour femmes à talons hauts [provenant] d’autres entreprises », de telle sorte que, à cette date, pour ces produits, la marque litigieuse était perçue comme une marque.
Le considérant 16 quant à lui reconnaît que « la semelle rouge donne une valeur substantielle aux chaussures commercialisées par Christian Louboutin dans la mesure où cette coloration fait partie de l’apparence de ces chaussures, laquelle joue un rôle important dans la décision d’achat de celles-ci. À cet égard, la juridiction de renvoi relève que Christian Louboutin a d’abord utilisé la coloration rouge des semelles pour des raisons esthétiques, avant de la concevoir comme une identification d’origine et de l’utiliser comme une marque ». Avec douze procès en cours dans toute l’Union européenne, il y a fort à parier que cette dernière décision aura de forts retentissements sur la défense des sociétés poursuivies en contrefaçon, la nullité de la marque habituellement invoquée comme moyen de défense reconventionnelle ayant désormais perdu tout intérêt.