MEDEF: ce qu’on ne vous a pas dit sur la loi Travail

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Par Eric Verhaeghe Publié le 20 avril 2016 à 10h18
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18%18 % des Français soutenaient la Loi Travail dans sa version initiale.

Cet article est initialement paru sur TRIPALIO, pure player d’information sociale

Peu à peu, le débat sur la loi Travail devient surréaliste. D’un côté, celle-ci s’enkyste peu à peu comme le symbole d’un abandon par François Hollande de toutes les valeurs de gauche. Elle nourrit un fond de contestation dont la Nuit Debout n’est que l’un des visages. Pour François Hollande, elle est en tout cas porteuse d’une défaite dès le premier tour aux prochaines élections présidentielles. D’un autre côté, elle se vide chaque jour un peu plus de son substrat « libéral » parce que le gouvernement tente d’arrondir les angles et fait des petits cadeaux aux contestataires.

L’étrange soutien du MEDEF au texte

Dans ce contexte étrange, la mollesse de Pierre Gattaz vis-à-vis d’un projet de loi de plus en plus éloigné de ses intérêts ne manque pas de surprendre. On l’a connu plus coriace sur le renoncement à plafonner les indemnités de licenciement, sur la taxation supplémentaire des CDD (dont l’intervention brouillonne de François Hollande ne permet plus de savoir si elle aura lieu ou pas), ou sur la confusion en matière de licenciement économique.

La mollesse du président du MEDEF le met en difficulté en interne. Beaucoup de ses adhérents sont des fédérations professionnelles où les petites entreprises sont majoritaires, ou en tout cas influentes (on pense à l’intérim, au Syntec, à la Propreté, au Bâtiment), et où le projet de loi passe mal. La grogne ne devrait d’ailleurs pas tarder à se faire sentir.

Pourtant, Gattaz arrondit les angles et propose régulièrement de « ne pas taper » sur le gouvernement. En coulisse, il ne s’en cache pas: il faut épargner Manuel Valls.

L’influence du gouvernement sur Pierre Gattaz

Certains en viennent à se demander quelle mouche pique le président du MEDEF. Les mauvaises langues ont une réponse toute trouvée, placée bien au-dessous de la ceinture: les affaires du président du MEDEF appartiennent à la complexe galaxie de l’industrie aéronautique française, où se fâcher avec le gouvernement obéit à un art subtil. Il est des sujets où l’on peut se livrer à un véritable combat de boxe, comme la fiscalité des entreprises, et plus encore la fiscalité des patrons. Mais il est des sujets qui valent bien une messe officielle: jamais on ne verra un patron de l’aéronautique se fâcher avec le pouvoir pour une histoire de droit du travail dans les petites entreprises.

Cette sensibilité patronale à l’influence gouvernementale n’est pas propre à l’univers de l’aéronautique. Elle a aussi joué à plein dans le secteur des travaux publics où Patrick Bernasconi, ancien président de la fédération éponyme, n’a jamais hésité à plaider pour la relance des investissements publics massifs. Un patron aussi peu libéral se devait de prendre la présidence du conseil économique, social et environnemental, en remerciement de ses bons et loyaux services.

Le cadeau du gouvernement à Pierre Gattaz

Ces alliances naturelles (et discrètes) qui rappellent qu’il existe en France, comme aux Etats-Unis, un complexe militaro-industriel qui a tout d’un gouvernement profond, sont curieusement la tasse de thé de François Hollande. Les partenaires sociaux ont pu le vérifier dans l’étrange cadeau que François Hollande s’obstine à faire à Pierre Gattaz depuis plusieurs années: reconnaître au MEDEF une présomption irréfragable de représentativité quand ce dispositif inventé sous De Gaulle a été supprimé par Nicolas Sarkozy pour les syndicats de salariés.

Il avait déjà tenté le coup avec la loi Rebsamen et c’est finalement l’article 19 de la loi El-Khomri qui le prévoit: sans aucune mesure d’audience, le MEDEF devrait être officiellement reconnu comme l’organisation patronale légalement majoritaire en France. Ce choix ne manque pas de surprendre, dans la mesure où ceux qui connaissent les milieux patronaux savent que le MEDEF est un mouvement confédéral et non fédéral. Il reçoit les adhésions de fédérations, et non d’entreprises. Si l’on faisait directement voter les patrons pour un syndicat patronal, le MEDEF ne remporterait certainement pas l’élection.

Les mauvaises langues l’assurent: cette stratégie qui consiste à graver dans le marbre une représentativité imaginaire n’est pas un accident de l’histoire, le produit d’un énième cafouillage d’un gouvernement dont la cohérence fut plus d’une fois prise en défaut. Il s’agirait plutôt d’une volonté affirmée de François Hollande: le MEDEF doit rester l’organisation patronale majoritaire coûte-que-coûte.

L’enjeu annexe de la représentativité patronale

L’enjeu du dossier ne se limite toutefois pas à une simple affaire de mains serrées sous les ors de la République. Elle a un impact financier direct, puisque la représentativité patronale sert de clés de répartition pour le fonds paritaire créé par la loi de mars 2014 (loi Sapin) sur la formation professionnelle.

A l’occasion de cette loi, on se souvient que le gouvernement a fait le choix de transformer les différentes cotisations servant à financer les organisations syndicales en une taxe nouvelle sur les salaires, infinitésimale certes, mais qui permet de dégager bon an mal an 50 millions d’euros pour le « financement du paritarisme ». Sur cette cagnotte, la moitié va aux organisations de salariés, et l’autre moitié aux organisations patronales. Elle rapporte environ 15 millions d’euros au MEDEF, soit un bon tiers de son budget.

Pour le MEDEF, le maintien de la représentativité est donc un enjeu financier: il permet de faire payer par les entreprises et les salariés un part importante de ses frais de fonctionnement.

François Hollande et le jardin à la française

Mais pourquoi, demandera-t-on, François Hollande tient-il absolument à asseoir le MEDEF (bien au-delà de Pierre Gattaz donc) comme l’interlocuteur patronal principal du gouvernement, en s’asseyant allègrement sur les principes d’audience que Nicolas Sarkozy avait imposés pour les syndicats de salariés? De ce point de vue, Hollande apparaît infiniment moins respectueux de la démocratie sociale que n’a pu l’être son prédécesseur.

Deux raisons peuvent expliquer ce choix profondément réactionnaire de la part d’un Président qui avait annoncé une grande lutte (jamais menée) contre la finance.

La première raison est circonstancielle. Les élections approchent et François Hollande aura besoin d’argent et de soutien pour sa campagne, s’il commet la folie de se présenter à sa propre succession. En 2012, déjà, il avait pu compter sur le soutien éclairé de quelques mécènes, dont son ancien camarade de promotion Henri de Castries, accessoirement patron d’Axa. Par les temps qui courent, un petit cadeau au MEDEF n’est donc pas mal venu.

La deuxième raison est plus profonde: François Hollande est avant tout un énarque de pure souche. Il aime l’économie conçue comme un jardin à la française, c’est-à-dire débarrassée de toutes ces scories inutiles que le directeur de la protection sociale de l’UIMM avait appelée, il y a quelques mois, la « concurrence émiettée ». Toutes ces petites entreprises, avec leurs patrons aux mains caleuses, aux ongles sales, au rire gras, amateurs de mauvais vin et de voitures clinquantes, quelle horreur! Qu’ils végètent, pourquoi pas, mais à condition d’être matraqués fiscalement en expiation de leurs fautes, mais qu’ils ne s’avisent surtout pas de fréquenter les palais de la République. Ceux-ci doivent être réservés aux gens fréquentables, qui ont pignon sur rue dans des mouvements financés par les entreprises des noyaux durs.

Une rébellion patronale en préparation?

Face à cet entre-soi de cols blancs aux bonnes manières, qui s’adressent des sourires de complaisance au bal de la Cour, les mouvements patronaux alternatifs grondent et grognent. Une coalition de laissés-pour-compte a même grossi les rangs des contestataires qui appellent au retrait de la loi. Elle rassemble l’UNAPL (mouvement des professions libérales, qui espère depuis plusieurs années toucher le pactole du « financement du paritarisme »), l’UDES (les patrons de l’économie sociale), et l’UPA (Union des Artisans).

Le fait que l’UPA ait rejoint cette coalition est un élément important. L’UPA est en effet reconnue comme représentative au niveau nationale, et constitue l’une des trois forces qui négocient les accords interprofessionnels. Son ralliement à la contestation s’explique par le « tour de cochon » que lui ont joué le MEDEF et la CGPME en signant un accord dans son dos répartissant 90% des voix dans les structures paritaires.

Le dilemme de la CGPME

Pour que cette fronde patronale réussisse, il faudrait qu’elle soit rejointe au moins de fait, à défaut de l’être formellement, par le troisième syndicat patronal représentatif au niveau national: la CGPME. Pour cette organisation, c’est un véritable dilemme qui s’ouvre.

D’un côté, demander le retrait de la loi à ce stade est un exercice compliqué pour les raisons exposées ci-dessus: le MEDEF a passé un accord avec la CGPME pour se partager le magot du paritarisme sans mesure effective de l’audience de ces organisations parmi le monde patronal. Cette mesure de sécurisation et de consolidation dans un monde de plus en plus précaire constitue un avantage important qu’il est difficile de jeter aux oubliettes. De ce point de vue, Gattaz a joué fin en arrimant à lui la CGPME dans cette aventure.

Gattaz contraint par sa base à durcir le discours

D’un autre côté, la grogne monte. Si le député Sirugue, rapporteur de la loi, a « fait le taf » en adaptant la définition du licenciement économique aux problématiques des petites et très petites entreprises, la taxation des CDD constitue un casus belli majeur. Pour l’instant, l’équilibre est encore suffisant dans la loi pour ne pas appeler à son retrait, mais il ne faudrait pas de goutte d’eau supplémentaire. Un amendement malheureux, une concession nouvelle du gouvernement, mettrait en effet la CGPME au bord d’un précipice…

C’est le sens de l’intervention de Pierre Gattaz en conférence de presse ce mardi matin. Le président du MEDEF a même menacé, comme la CGPME, de quitter la table de négociation si le gouvernement ne revenait pas à de meilleures intentions. La pression des fédérations a fait son oeuvre.

Bref, les enjeux de la loi El-Khomri sont de plus en plus internes au monde patronal, à défaut d’espérer encore créer de l’emploi. Et il n’en faudrait pas beaucoup plus pour que les patrons, à leur tour, réclament son retrait.

Article écrit par Eric Verhaeghe pour son blog

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Né en 1968, énarque, Eric Verhaeghe est le fondateur du cabinet d'innovation sociale Parménide. Il tient le blog "Jusqu'ici, tout va bien..." Il est de plus fondateur de Tripalio, le premier site en ligne d'information sociale. Il est également  l'auteur d'ouvrages dont " Jusqu'ici tout va bien ". Il a récemment publié: " Faut-il quitter la France ? "

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