La loi de financement de la Sécu pour 2021 : un archaïsme désolant !

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Par Jacques Bichot Modifié le 27 octobre 2020 à 7h34
Cour Comptes Rapport Gouvernement 2
@shutter - © Economie Matin
50 MILLIARDS €La pandémie pourrait coûter plus de 50 milliards d'euros à la Sécurité sociale.

L’Assemblée Nationale examine actuellement, comme chaque fin d’année, le Projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour l’année suivante. Une fois de plus, le spectacle est désolant. Nous devons néanmoins y prêter attention, pour comprendre ce qui est en jeu et la manière dont notre pays est gouverné.

Le Parlement confondu avec la Cour des comptes

Le projet de loi comporte en premier lieu l’approbation des dépenses et des recettes pour l’année 2019. Il est évidemment utile que la Représentation nationale et les citoyens disposent des résultats de la gestion de la Sécu, mais pourquoi faire approuver cet ensemble de données par le Législateur ? Ce qui est fait est fait, l’important est que les résultats financiers annoncés soient exacts et, pour s’assurer que c’est bien le cas, examinés par l’équivalent d’un cabinet d’expertise comptable.

La République dispose à cet effet de la Cour des Comptes : à elle de se prononcer ! Faire figurer ces chiffres dans un projet de loi pour qu’ils soient approuvés par le Parlement est absurde. Députés et Sénateurs doivent évidemment disposer de cette information relative aux comptes de la Sécu, mais il n’y a aucune raison de la faire figurer dans un texte de loi, pas plus que la température moyenne ou le nombre de décès sur les routes de France en 2019. Il n’y a pas besoin de légiférer pour constater des résultats ! Cela brouille les esprits d’utiliser la loi pour simplement communiquer des informations, qu’elles soient financières ou autres.

Les dispositions techniques doivent être prises par décret ou arrêté

L’article 3 du PLFSS pour 2021 instaure pour 2020 « une contribution exceptionnelle à la charge des dépenses liées à la gestion de l’épidémie de covid-19 ». Cette contribution est imposée aux organismes d’assurance maladie complémentaire, qui ont bénéficié d’une diminution des remboursements qu’ils effectuent, les consultations médicales, les interventions chirurgicales, et quelques autres actions thérapeutiques ayant été, du fait de l’épidémie, moins nombreuses que d’ordinaire.

En l’espèce, le recours à la loi ne serait pas anormal, s’il s’agissait d’établir le principe de telles contributions, mais il le devient lorsqu’il s’étend à la fixation du taux de cette contribution particulière. Que des circonstances extraordinaires puissent justifier des taxations extraordinaires, un tel principe relève clairement de la loi. En revanche, les modalités précises du prélèvement, son assiette et son taux, devraient, dans le cadre légal ainsi constitué, être mises en place par simple décret : c’est à l’exécutif de déterminer concrètement la forme et l’importance de cette taxation. La loi ne devrait pas être utilisée pour prendre des décisions qui n’instaurent pas une règle générale, mais la mettent en œuvre dans un cas spécifique.

Les prévisions ne doivent pas être des articles de loi

Il serait de prime abord divertissant, si ce n’était pas intrinsèquement désolant, de voir un projet de loi rectifier des prévisions devenues caduques. Or tel est l’objet de l’article 7 du PLFSS pour 2021 : « Au titre de l’année 2020, sont rectifiés : 1° Les prévisions de recettes, les objectifs de dépenses et le tableau d’équilibre, par branche, de l’ensemble des régimes obligatoires de base de sécurité sociale ainsi qu’il suit » (la suite est un tableau prévisionnel de recettes et dépenses des différentes branches de la Sécu). Suit un 2° analogue pour les prévisions de recettes, puis des rectifications de prévisions pour divers organismes annexes : le Fonds de réserve pour les retraites, le Fonds de solidarité vieillesse. Vient enfin la rectification de « l’objectif d’amortissement de la dette sociale par la Caisse d’amortissement de la dette sociale ».

L’article 8 continue la série des rectifications, cette fois concernant « l’objectif national de dépenses d’assurance maladie ». On remarquera que, ni dans ce tableau ni dans les précédents, ne figurent les chiffres antérieurs, ceux qui doivent être « rectifiés » par la loi : s’ils veulent savoir ce qui change, les parlementaires doivent se référer à un texte antérieur, rien n’est fait pour leur faciliter la tâche.

En revanche l’article 9, qui procède, lui, à un « remplacement », donne le point de départ et le point d’arrivée, mais il oblige le lecteur attentif à faire une recherche chronophage : « Au I de l’article 86 de la loi n° 2019-1446 du 6 décembre de financement de la sécurité sociale pour 2020, le montant : « 649 millions d’euros » est remplacé par le montant : « 449 millions d’euros ». Ne me dites pas, cher lecteur, que vous ignorez ce que raconte ce « I de l’article 86 de … » : je serais obligé d’avouer mon ignorance ! Or, nul n’étant censé ignorer la loi, ne devrais-je pas me dénoncer comme mauvais citoyen et demander ma déchéance de la nationalité française ?

Trêve de balivernes : c’est le processus législatif français qui marche sur la tête en adoptant comme articles de loi des prévisions évidemment sujettes à caution, et des objectifs budgétaires chiffrés dont la réalisation exacte est hautement improbable.

Concevoir la loi comme une collection de commandements est archaïque

Ce qui précède pourrait être complété par des dizaines, des centaines, d’exemples analogues. Nos gouvernants ne savent pas ce qui doit être décidé à un niveau législatif, et ce qui doit l’être par l’exécutif. Tout est mélangé : il est demandé au Parlement de voter des textes de loi qui ne sont que des collections de mesures relevant de décrets, voire d’arrêtés, ou des informations comptables. Mobilisés par l’examen de projets de mesures qui dépendent typiquement de la responsabilité du Gouvernement, députés et sénateurs délaissent leur responsabilité spécifique, à savoir dégager ce que Hayek appelle des « lois de juste conduite », des principes généraux qui nous indiquent ce qui peut et doit être considéré comme légitime.

Le gouvernement doit diriger, viser des objectifs réalistes et se donner les moyens de les atteindre. Il ne doit pas légiférer, comme il le fait hélas en prenant la confection d’une loi pour un moyen d’action. Prenons un cas extrême : une guerre mondiale. Dans l’état d’esprit qui règne actuellement en haut-lieu, le gouvernement demanderait au Parlement de voter une loi l’autorisant à envoyer des bombes atomiques sur tel ennemi … lesquelles bombes ne seraient jamais larguées, car, dûment informé des discussions en cours à l’Assemblée puis au Sénat, l’adversaire nous aurait atomisés avant que n’ai été votée la loi autorisant notre Président à « appuyer sur le bouton ». Certes, je force le trait, je caricature, mais une caricature ne permet-elle pas de mettre en évidence un trait de caractère bien réel qui, simplement, est difficile à voir si on ne le souligne pas ?

Une confusion pluri-centenaire

La France en est revenue, en quelque sorte, à la situation qu’elle a connu sous la monarchie absolue, lorsque les édits royaux devaient être enregistrés par les Parlements, et notamment celui de Paris, dont les pouvoirs s’étendaient bien au-delà de la capitale. Les Rois pouvaient recourir au « lit de justice », les Premiers Ministres actuels disposent du 49-3 : deux instruments différents, mais des fonctions qui se ressemblent beaucoup !

Faute d’avoir convenablement délimité les domaines respectifs des deux pouvoirs, le législatif et l’exécutif, nos dirigeants successifs, du Roi Soleil à Macron, et nos Parlements, ne parviennent pas à trouver une répartition des rôles qui tienne la route. Les facteurs politiques d’une telle situation sont importants mais, fondamentalement, le problème vient de ce que la classe politique actuelle ne sait pas mieux que celle d’il y a trois siècles faire une distinction claire et nette entre légiférer et commander.

Le contrôle parlementaire des finances publiques a été poussé à un point excessif. L’exécutif a trouvé la parade : « vous voulez voter ? OK, vous voterez, mais sur des textes et des budgets que nous aurons rédigés ! » Du coup, à ce jeu de « je te tiens, tu me tiens, par la barbichette … », tout le monde est perdant, à commencer par les citoyens. L’exécutif tyrannise le législateur, qui lui rend la monnaie de sa pièce.

Ce sont là jeux de gamins. Messieurs-Dames qui nous gouvernez, quand donc le ferez-vous sérieusement, professionnellement, efficacement ?

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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