Le vote de deux lois, la loi de finances et la loi de financement de la sécurité sociale, occupent le ministère des Finances, celui de la Santé et des Affaires sociales, le gouvernement et le Parlement, sans compter l’Elysée, pour un résultat que l’on surestimerait beaucoup en disant qu’il est nul : en réalité, il est fortement négatif ! Nous avons là une tradition antique et solennelle dont la perpétuation montre à quel point, sur certains sujets, la République française est traditionnaliste.
Il est vrai que quasiment toutes les nations ont une tradition analogue : la démocratie exigerait que le budget soit examiné, débattu et voté par les élus. Et comme les pires dictatures voudraient être reconnues comme étant des démocraties …
La crise actuelle devrait nous faire prendre conscience de l’archaïsme de nos finances publiques
Il se produit sous nos yeux un bouleversement des perspectives budgétaires dans de nombreux pays, dont la France : la réduction brutale et durable de l’activité économique entraîne une forte réduction des rentrées d’impôts et de cotisations sociales, une augmentation de certains postes de dépenses, et donc une hausse massive des déficits publics qui étaient déjà coutumiers en l’absence de coronavirus.
Le vote de la loi de Finances pour 2020 a été une aimable plaisanterie ; 343,7 Md€ de dépenses, et 93 Md€ de déficit, soit 27 % des dépenses à financer par l’emprunt ! Elle a néanmoins été présentée par le Gouvernement comme un grand pas sur la voie du redressement de nos finances publiques : en suivant cette loi, nous devions faire bien mieux en 2020 qu’en 2019 ! Maintenant les pronostics (il serait vain de penser faire des prévisions) s’établissent à 8 % ou 10 % du PIB, au lieu d’environ 3 % pour l’exercice précédent. Certes, les circonstances sont exceptionnelles, mais dans quelle mesure ?
Si, comme certains l’envisagent, le réchauffement climatique aboutit dans quelques décennies à transformer en déserts de vastes étendues de terres équatoriales et tropicales, la pandémie du coronavirus apparaîtra en comparaison comme une aimable plaisanterie. D’autant que, d’environ 7,7 milliards d’êtres humains actuellement, la population du globe pourrait passer à 9 ou 10 milliards en 2050. Bref, nous sommes dans la situation des habitants de Pompéi quelques années avant le déchaînement du Vésuve, et nous nous imaginons pouvoir résoudre nos problèmes en confiant à des assemblées dépourvues des compétences requises le soin de voter sous forme de loi des budgets prévisionnels établis par des administrations archaïques.
Cela est également vrai, mutatis mutandis, des lois de financement de la sécurité sociale, instrument de bureaucratisation d’une administration qui devrait être conduite à marche forcée en direction d’une véritable responsabilisation. Ministres et directeurs des organismes de sécurité sociale devraient être des managers, pas des domestiques chargés d’exécuter des budgets à prétention législative !
Comment passer de la bureaucratie au management ?
Bien entendu, la suppression des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale, si elle est nécessaire, n’est nullement suffisante. Ce dont la France, et bien d’autres pays, ont besoin, c’est d’une administration publique rénovée.
Certains voudraient que les pouvoirs publics soient organisés comme des entreprises. Ce n’est pas la bonne voie. L’entreprise agit essentiellement dans un monde concurrentiel, ce qui n’est pas le cas de l’administration. Mais cela ne signifie pas qu’il ne faille pas transformer un certain nombre d’administrations en entreprises, augmentant ainsi la part du secteur privé par rapport à celle du secteur public. En premier lieu, le mammouth de la fonction publique française, l’Education Nationale : 1,14 million de travailleurs, dont 870 000 enseignants, et un budget d’environ 160 Md€.
Les établissements privés sous contrat, globalement, fonctionnent plutôt mieux que les établissements publics, en dépit de budgets généralement plus serrés : donnons à tous des chances égales, le système du « chèque scolaire » permettant aux familles d’envoyer leurs enfants dans l’établissement de leur choix. Les chefs d’établissement perdront, sinon leur statut, du moins leur mentalité de fonctionnaires, et la bureaucratisation reculera sur un vaste front.
Il en ira largement de même pour l’hôpital s’il fait l’objet d’une sei-privatisation intelligente, ne le faisant pas sortir globalement et brutalement du secteur public, mais lui redonnant des marges de manœuvre, la possibilité d’une vraie gestion. J’ai compris un aspect du problème le jour où un fournisseur des hôpitaux m’expliqua qu’il leur livrait en partie du matériel ou des produits plus chers ou moins adaptés à leurs besoins réels parce que le poste budgétaire des produits moins onéreux et plus adéquats était épuisé. L’épidémie actuelle a permis de constater un certain nombre de dysfonctionnements graves découlant de ce carcan administratif : il existe un créneau pour faire passer l’hôpital, comme l’école, de la bureaucratie à la saine gestion.
Bien d’autres secteurs pourraient faire l’objet d’un aggiornamento, y compris au cœur de l’activité régalienne, avec l’armée, la police, la justice et l’administration pénitentiaire. Pour sortir de l’absurdité bureaucratique, temple dont les lois de finance et les lois de financement de la sécurité sociale constituent les deux piliers principaux, il suffit de le vouloir – et de donner le pouvoir à des personnes que le virus bureaucratique n’a pas infecté, ou qui ont retrouvé la santé, après ce que l’on appelait jadis une « primo-infection ».