Dans la Loi El Khomri, un article a particulièrement focalisé l’attention : la barémisation de l’indemnité due à un salarié victime d’une rupture abusive de son contrat de travail.
Cette idée a pour but, semble t-il, de mettre terme à certaines décisions de conseil de prud’hommes manifestement excessives. Si le diagnostic est bien celui-là, il existait au moins deux autres solutions pour mettre un terme aux abus :
1 - On pouvait réformer fondamentalement les conseils de prud'hommes si ceux-ci rendent de mauvais jugement, où encore donner le droit à l'Etat de faire systématiquement appel en cas de jugement manifestement déséquilibré et partial.
2 - On pouvait aussi définir la notion de licenciement abusif dans la Loi, en dresser un bilan tous les deux ans, et corriger peu à peu les insuffisances de la définition, au vu de la jurisprudence.
Au lieu de cela, on a préféré « barémiser » les indemnités liées à des licenciements abusifs.
Problème : cette disposition revient à reconnaitre politiquement et juridiquement le droit pour l’un des signataires, de rompre abusivement un contrat signé entre deux parties. Jusqu’ici, cela était formellement interdit, à peine de forts dommages et intérêts ou encore de condamnation à une obligation de faire. Aujourd’hui, cette interdiction est transformée en «option». Je peux licencier abusivement un salarié, si je paye. C’est juste une question de prix. Qu’on le veuille ou non, c’est un beau coup de canif dans notre pacte républicain.
Nous sommes là devant une nouveauté qui nous éloigne fortement du code Napoléon, qui brillait par sa rigueur, sa formulation parfaite, et sa philosophie qui s’inscrivait dans la durée. L’article 1134 du code civil dispose :
1 – « Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. (Il faut donc les respecter)
2 - Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. (On ne peut donc pas les rompre abusivement)
3 - Elles doivent être exécutées de bonne foi ». (Nouvelle interdiction de rupture abusive, et insertion d’un minimum d’éthique dans la mise en œuvre des contrats).
Si j’étais la grande distribution et/ou une très grande entreprise travaillant avec de multiples sous-traitants (automobile, par ex) , je m’engouffrerais rapidement dans cette première brèche pour faire barémiser peu à peu toutes les demandes de dommages et intérêts pour rupture abusive dans les contrats. Au nom de quel principe cette disposition devrait-elle rester cantonnée au seul droit du travail ? Pourquoi ne pas l’étendre à tous les contrats ? Et au diable l’article 1134 du code civil.
Avec une telle évolution, qui sera toujours le gagnant à terme ? Assurément le plus fort. C’est bien le problème, car dans une nation civilisée, le droit a notamment pour mission de mettre à égalité le fort et le faible. Le slogan de 68 était : « il est interdit d’interdire ». J’espère que nous ne sommes pas en train d’y revenir insidieusement.