Test de résistance de l’exception britannique

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Par Stéphane Monier Modifié le 9 juin 2020 à 15h33
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12%En termes pondérés des échanges, la livre sterling est sous-évaluée de 12% par rapport au dollar américain.

Le Royaume-Uni a quitté l'Union européenne à la fin du mois de janvier 2020, dans le cadre de la promesse de « réaliser le Brexit » qui a permis à Boris Johnson de remporter les élections législatives de décembre 2019. Sa majorité parlementaire aurait dû garantir quelques mois faciles au Premier ministre. Au lieu de cela, le Royaume-Uni aborde le déconfinement en entrant dans sa plus grave récession depuis trois siècles. M. Johnson peut-il réaliser le Brexit tout en remettant l'économie britannique sur la voie de la croissance ?

Le gouvernement de Boris Johnson voulait éviter un confinement en réponse aux défis de santé publique posés par la pandémie. Le 13 mars 2020, le conseiller scientifique en chef du gouvernement, Sir Patrick Vallance, expliquait encore qu'une « immunité collective » serait créée avec 40 millions de personnes infectées. Alors que ses voisins européens avaient déjà opté pour le confinement, les recommandations du gouvernement britannique se limitaient aux règles d'hygiène.

Le gouvernement a ensuite abandonné cette approche en instaurant des mesures de confinement dès le 23 mars, suite aux avertissements selon lesquels l'immunité collective ne fonctionnerait pas et le système hospitalier du pays ne pourrait pas faire face à des millions de cas. Le 28 mai, plusieurs semaines après la levée progressive des mesures de confinement en Italie, en Espagne et en France, le Royaume-Uni a mis en place un système de traçage (puis d'auto-isolement). Parmi les nouvelles mesures, une annonce controversée de quarantaine de 14 jours pour les nouveaux arrivants dans le pays. L'instauration de cette quarantaine pénalisera encore davantage une industrie aéronautique qui représente 52 milliards de livres pour l'économie du pays.

Urgence économique

L'économie britannique s'est contractée de 2% au cours des trois premiers mois de l'année, la plus forte baisse depuis la grande crise financière. Il convient de noter cependant que seules la dernière semaine de mars 2020 et la première semaine de confinement sont reflétées dans ce chiffre. Le recul de 5,8% du produit intérieur brut (PIB) en mars était proche de la contraction observée pendant toute la récession de 2008-2009. Les données pour le deuxième trimestre 2020, qui couvrent la période du confinement, montreront une décélération beaucoup plus importante. La Banque d'Angleterre (BoE) prévoit une baisse de 25% du PIB pour le deuxième trimestre et de 14% pour l'ensemble de l'année civile.

La durée du confinement réduit également la capacité économique du Royaume-Uni à rebondir. Parmi les principaux pays développés et en développement, le Royaume-Uni est l'un des plus affectés (voir graphique 1).

Le deuxième graphique montre la lente reprise de l'activité économique au Royaume-Uni en examinant la dynamique de l'offre et de la demande. Pour évaluer la progression du côté de l'offre, nous analysons des données de haute fréquence telles que la consommation d'électricité et la pollution, qui se situent actuellement à 85% et à 60% de leurs moyennes sur trois ans avant la pandémie, respectivement. Du côté de la demande, nous pouvons estimer la reprise de l'activité des entreprises et de la consommation en suivant la mobilité liée au commerce et au travail grâce aux données géolocalisées des utilisateurs de Google. Ces indicateurs se situent à environ 30% et 50%, respectivement, de leurs moyennes d'avant la crise. Alors que le Royaume-Uni commence à lever les mesures de confinement, les quatre indicateurs ont rebondi par rapport à leur niveau le plus bas observé au plus fort de la crise sanitaire.

On ne sait pas encore comment le gouvernement britannique financera le dispositif des mesures du chômage partiel. Par ailleurs, certains programmes pourraient être supprimés.

Les taux d'intérêt très bas peuvent aider à payer les factures, et la BoE semble préparer les marchés à un éventuel changement de position sur les taux négatifs, ou du moins à l'idée que le plancher ne se situe plus à 0%. Le gouverneur de la BoE, Andrew Bailey, a refusé d'exclure des taux négatifs. La professeure Silvana Tenreyro, membre externe du comité de politique monétaire de la BoE, a déclaré le 18 mai 2020 que les expériences d'autres pays européens montrent que les « taux négatifs ont eu un effet positif en permettant une transmission assez puissante à l'activité réelle ».

Cependant, le débat reste ouvert parmi les responsables de la BoE, et l'adoption de taux négatifs ne constitue pas notre scénario central. Les conditions monétaires demeurent accommodantes au Royaume-Uni, les taux réels étant déjà en territoire négatif. En outre, les responsables de la BoE semblent tabler sur un redressement progressif de l'activité économique mondiale au second semestre. Toutefois, si les taux négatifs voient le jour au Royaume-Uni – une réelle possibilité au cours des prochains trimestres – les investisseurs ne devraient s'attendre qu'à un impact négatif limité sur la livre sterling. Les marchés intègrent en effet déjà une réduction du taux directeur à environ -10 points de base d'ici la fin de 2020.

La livre post-Covid

Pour la livre sterling, le Brexit importe davantage que la politique monétaire. Nous pensons que le Royaume-Uni parviendra à un accord avec l'UE sur les termes de leur future relation, à partir de 2021, ou du moins qu'il évitera un Brexit sans accord à la fin de cette année. Dans ce scénario, nos attentes à l'égard de la devise britannique à moyen et à long terme restent positives. En termes pondérés des échanges, la livre est sous-évaluée de 12% par rapport au dollar américain, de 7% par rapport à l'euro, de 5% par rapport au franc suisse et de 10 à 15% par rapport aux principales devises émergentes.

Toutefois, un Brexit sans accord, où les échanges du Royaume-Uni seraient régis selon les règles de l'Organisation mondiale du commerce, entraînerait une baisse significative de la valorisation de la livre. Le taux de change GBPUSD pourrait chuter vers 1,10 voire moins, et la paire EURGBP s'approcherait probablement de la parité.

Une querelle domestique

Lorsque Boris Johnson a remporté les élections législatives de décembre, sa liste des priorités semblait ambitieuse mais réalisable étant donné sa majorité parlementaire. Six mois plus tard, le Premier ministre britannique a opéré une volte-face dans sa stratégie de gestion de la crise sanitaire et s'est retrouvé aux soins intensifs suite à une infection au coronavirus. A présent, son gouvernement se prépare à déployer un plan de relance budgétaire sans précédent.

En parallèle, le parti conservateur vit une querelle interne. Plus de 60 parlementaires conservateurs ont attaqué le soutien du Premier ministre à Dominic Cummings, son conseiller principal. Pendant près de deux semaines, M. Cummings n'a pas pu justifier les déplacements qu'il a effectués en avril, au mépris de la politique de « rester chez soi » dont il était en partie l'auteur en tant que membre de l'organe consultatif scientifique du gouvernement. Une hypocrisie qui n'a pas échappé à de nombreux électeurs. Fait surprenant, ce n'est pas tant la défense initiale de M. Johnson qui est critiquée, mais son soutien continu malgré l'ampleur du tollé, aussi bien de la part de son propre parti que du public. Un sondage YouGov a montré que l'avance du parti conservateur sur les travaillistes a diminué de 9% en une semaine.

De surcroît, l'opposition au gouvernement semble désormais plus solide. Sir Keir Starmer, le nouveau leader du parti travailliste et ancien avocat, semble plus capable que son prédécesseur d'organiser une menace crédible contre les Conservateurs. Cependant, Sir Keir n'a pas encore eu à élaborer des politiques qui exposeront certainement les divisions idéologiques au sein de son parti.

Questions urgentes

Le Royaume-Uni ne doit pas seulement gérer la crise sanitaire et ses répercussions. Dans le contexte actuel de récession, les complications liées au Brexit semblent être un fardeau de trop. Non sans ironie, bien que le Royaume-Uni soit le pays européen le plus touché par le virus avec près de 40.000 décès, le Brexit l'empêche de pouvoir prétendre à une partie des 500 milliards d'euros d'aide financière en discussion au sein de l'UE.

Une fois la pandémie passée, les négociations sur la transition vers une nouvelle réalité économique hors des structures douanières de l'UE, à compter du 1er janvier 2021, seront encore plus importantes. Toute charge réglementaire supplémentaire imposée aux entreprises britanniques, déjà aux prises avec l'impact de la pandémie, pourrait menacer leur survie.

Le temps presse. Le Royaume-Uni a jusqu'au 1er juillet pour demander une prolongation de l'actuelle phase de transition. Certes, une prolongation serait politiquement gênante pour M. Johnson et impliquerait le maintien de certaines contributions aux budgets de l'UE tout en rendant plus difficile la conclusion de nouveaux accords commerciaux. Bien qu'une demande de prolongation de dernière minute serait conforme à la pratique passée, le gouvernement insiste sur son refus de prolongation des délais malgré les appels de la Commission européenne, l'exécutif de l'UE.

Le Royaume-Uni se trouve à un tournant historique. Le pays doit trouver sa place dans l'ère post-Brexit, post-Covid, tout en préservant son unité. Son avenir et les opportunités qu'il offrira aux Britanniques dépendront en grande partie de la capacité du gouvernement de Boris Johnson à conclure des accords de qualité avec ses partenaires commerciaux et à remettre le pays sur la voie de la croissance économique.

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Stéphane Monier est Chief investment officer chez Lombard Odier.

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