Liu He, Lighthizer et Mnuchin au pied du mur !

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Par Hervé Goulletquer Modifié le 7 mai 2019 à 11h36
Chine Etats Unis Commerce
@shutter - © Economie Matin
25%Les 200 milliards de dollars de marchandises chinoises, déjà taxées à 10%, le seront à 25% dès vendredi 10 mai.

Juste avant ce qui apparaissait comme la fin des négociations commerciales sino-américaines, les deux parties ont exprimé leurs frustrations face à l’intransigeance (le reproche vient de Pékin) ou à la reculade (l’accusation est formulée à Washington) du partenaire. C’est du côté américain que l’expression est la plus forte. Risque calculé de dramatisation afin d’obtenir davantage de concessions ou découverte au dernier moment d’éléments bloquants ne pouvant que conduire à un constat d’échec ?

Les 200 milliards de dollars de marchandises chinoises taxées à 25% dès vendredi 10 mai

Peut-on réussir à comprendre les raisons qui ont poussé le Président Trump a publié des messages menaçants adressés au gouvernement chinois ? Rappelons qu’il a annoncé dimanche dernier qu’à compter de vendredi prochain les 200 milliards de $ de marchandises chinoises, déjà taxées à 10%, le seront à 25% dès vendredi 10 mai (pour être précis à minuit une minute). Sachant que les 325 milliards de $ de marchandises chinoise non encore surtaxés pourraient le devenir bientôt.

Les points de calendrier surprennent. D’une part, les négociations commerciales sino-américaines étaient dans leur « dernière ligne droite ». Même si une fin heureuse n’était pas une certitude (en la matière, les anticipations du marché étaient excessives), la probabilité que les choses se passent ainsi était élevée. De façon subjective, avançons des chiffres de 65% à 75%. Pourquoi tout remettre en cause si près du but ? De l’autre, donner à peine une semaine à son partenaire, pour revenir avec des propositions qui pourraient éventuellement permettre de suspendre la décision de surtaxer une partie des importations chinoises, paraît être un délai bien court. Surtout après cinq mois d’échanges considérés comme fructueux de part et d’autre.

Dans le but d’« éclaircir le mystère », arrêtons-nous sur ce qu’on connaît. Il y a d’abord la compréhension de là où en sont les négociations. L’approche serait en sept chapitres.

1) Propriété intellectuelle :

- Engagement de la Chine : avoir une attitude plus respectueuse ;

- Mise en place de « panels » en Chine pour régler les contentieux ;

- Le sentiment aux Etats-Unis que les avancées chinoises en matière de technologie ont atteint un niveau qui rend moins nécessaire le maintien des comportement passés.

2) Transferts forcés de technologie :

- La réponse prendrait avant tout la forme d’un changement concernant les contraintes mises à la création de Joint-Ventures : les entreprises américaines pourraient être majoritaires, voire intervenir de façon autonome sur le marché chinois ;

- Les officiels américains disent que la Chine a reculé sur ce sujet la semaine dernière ; d’où le vif mécontentement du Président Trump, qui a pris la forme du message qu’on connaît ; les négociateurs Lighthizer et Mnuchin pointent le refus tout récent des Chinois de modifier le cadre légal.

3) Barrières non-tarifaires :

- Subventions : peu de concessions de la partie chinoise, semble-t-il ;

- Discriminations réglementaires : sujet compliqué et difficile à appréhender ; peu de progrès réalisés ;

- Manipulation de la devise : sujet qui « raisonne » peut-être côté américain ; il a cependant un manque de matérialité côté chinois.

4) Agriculture :

- Plus d’achats chinois de produits américains

5) Industrie :

- Plus d’achats chinois de produits énergétiques et aussi de produits finis (avions) ;

- Mais plus fondamentalement une difficulté pour les deux gouvernements à pousser les entreprises privées à revoir leurs politiques d’approvisionnement.

6) Services :

- Plus grande ouverture du marché chinois, avec d’abord les services financiers et les services informatiques (l’accès par les entreprises américaines au cloud chinois semble difficile à obtenir) ; on parle aussi de la santé, de l’éducation et du cinéma.

7) Suivi de la mise en place des décisions prises :

- Mise en place d’un système de dialogue bilatéral mensuel (administration), trimestriel (vice-ministres) et semestriel (ministres) ;

- Si les problèmes ne se règlent pas, capacité de réaction unilatérale (actée pour les Etats-Unis et en discussion pour la Chine) ;

- Dans tous les cas, trouver un accord n’implique pas pour la partie américaine l’annulation des surtaxes mises en place préalablement ; cela ne se ferait qu’avec l’assurance observée que la Chine respecte ses engagements ; le point « passe mal » auprès de Pékin.

Tout n’était pas déjà « ficelé » le weekend dernier ; mais les progrès réalisés pouvaient former un accord partiel « présentable » pour la partie américaine. Pourquoi alors cette reculade côté chinois, si on en croit la version de la Maison Blanche ? Et pourquoi cette attitude de l’Administration Trump, consistant à mettre le dossier sur la place publique et ainsi à prendre le risque de l’échec des négociations ? Cette façon, dans l’espoir sans doute d’obtenir davantage de la partie chinoise, de « lâcher la proie pour l’ombre » peut-elle être payante ?

Une bonne croissance économique dans les deux pays au premier trimestre 2019

Il faut ensuite s’arrêter sur l’environnement économique de ce qui devait être la fin des négociations et sur sa signification en termes d’état d’esprit des négociateurs de part et d’autre. Dans chacun des deux pays, la croissance économique du premier trimestre a surpris positivement. On l’a appris au cours des deux ou trois dernières semaines. Le tout avec des conditions de marché notablement améliorées. De quoi peut-être inciter les Présidents chinois et américain à chacun durcir le ton, afin d’obtenir davantage de concessions de la part du partenaire. Le « jeu peut en valoir la chandelle », dans la mesure où une activité plus résiliente que prévue permet une prise de risques plus élevée. Afin de répondre aux objections politiques des critiques qui pointent le fait d’avoir trop cédé (la remarque s’adresse à Pékin) ou de ne pas avoir assez obtenu (la blâme est pour Washington). N’avait-on pas observé une certaine mauvaise humeur des autorités de Pékin au cours des derniers jours ? Et puis il y a eu les tweets du Président Trump. Comment ne pas alors être tenté de conclure que ceux-ci tiennent peut-être plus du jeu tactique que la découverte à la dernière minute d’un élément bloquant ?

Comment trouver les « voies et moyens » de sortir de ce qui ne serait alors qu’un épisode de tensions en fin de négociations ? Faire des concessions mutuelles et s’assurer que personne ne « perde la face » font parties des ingrédients indispensables à la réussite de ce type de processus. Le tout en gardant de part et d’autre à l’esprit que l’accord partiel (ainsi, les aspects géopolitiques ne sont pas couverts) est gagnant – gagnant. Pour Pékin, parce qu’il évite une confrontation avec les Etats-Unis dont il ne sortirait pas Hic et Nunc gagnant ; pour Washington, dans la mesure où le containment d’une Chine, qui doit être un rival et pas un adversaire, ne peut qu’être une œuvre de longue haleine.

Réussir cette fin de négociations sino-américaines est certes un art tout d’exécution ; mais il n’est pas simple. Il faudra beaucoup de doigté aux négociateurs des deux pays, qui doivent se retrouver plus tard dans la capitale fédérale américaine, pour arriver à un accord. Mais, pour passer de Napoléon à Richelieu, ne doit-on pas rappeler que « la politique est l’art de rendre possible le nécessaire » ? Voilà Liu He, Lighthizer et Mnuchin au pied du mur ! Et les marchés de devoir considérer que la probabilité de trouver un accord a baissé au cours des derniers jours.

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Hervé Goulletquer est stratégiste de la Direction de la gestion de La Banque Postale Asset Management depuis 2014. Ses champs d’expertises couvrent l’économie mondiale, les marchés de capitaux et l’arbitrage entre classe d’actifs. Il produit une recherche quotidienne et hebdomadaire, et communique sur ces thèmes auprès des investisseurs français et internationaux. Après des débuts chez Framatome, il a effectué toute sa carrière dans le secteur financier. Il était en dernier poste responsable mondial de la recherche marchés du Crédit Agricole CIB, où il gérait et animait un réseau d’une trentaine d’économistes et de stratégistes situés à Londres, Paris, New York, Hong Kong et Tokyo. Il est titulaire d’une maîtrise d’économétrie, d’un DEA de conjoncture et politique économique et diplômé de l’Institut d’Administration des Entreprises de Paris.

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