80 km/h : mauvaise cible, pire que mieux !

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Par Ludovic Grangeon Modifié le 16 mars 2018 à 6h58
Limitation Vitesse Routes 80
cc/pixabay - © Economie Matin
25 mètresUne voiture roulant à 80 km/h parcourt 25 mètres environ.

Le récent projet de réduire la vitesse sur les routes à 80 km/h vise à réduire le nombre d’accidents. Et pourtant, il existe plusieurs aspects illogiques, voire d’absurdité, dans cette démarche, avec une forte probabilité d'augmenter les sinistres au lieu de les diminuer.

La première erreur très simple est de croire que les infractions vont diminuer. Sur une route secondaire, un automobiliste qui dépasse 90 km/h le fera tout autant à 80 km/h, et même avec un danger plus grand. Les forces de l'ordre sont hors de portée de contrôle sur une telle dimension de réseau. La seule efficacité de cette mesure aurait été dans l’instauration d’un disque mouchard à bord de tout véhicule, mais contrôlé par qui et quand ? Sauf s'il était basé sur le volontariat avec une récompense, par exemple sur le tarif du carburant.

Le site officiel gouvernemental de la Sécurité Routière rappelle que de nombreuses règles de signalisation sont "absentes ou imprécises".

Il est surprenant de justifier cette mesure par l'étude Cerema, sorte d'anecdote d'un niveau scientifique et statistique très décevant, voire opportuniste, basée sur à peine quelques mois d'observations sur quelques tronçons hasardeux. La formule de Nillson date du XXème siècle, en 1981, au moment où un ordinateur était moins puissant qu'un téléphone portable, et où la circulation n'avait rien à voir avec les conditions actuelles, ni les performances des véhicules, de surcroit dans un modèle de comportements nordiques différents du modèle français. Il n’existe pas de compilation statistique développée avec le concours des forces de sécurité, des compagnies d’assurances, et des services de l’Équipement, pour démontrer précisément l’impact de cette mesure, comme il en est des carrefours dangereux.

Le coût de modification des signalisations va être faramineux, avec de multiples sections de voirie encore plus incertaines pour longtemps, et autant de litiges à la clef. Le chiffre estimé de 20 000 panneaux est ridicule face à la réalité du réseau. Rappelons que le désastre des portiques Ecotaxe a coûté plus d'un milliard. Le coût global de cette seule mesure sera plus proche des 60 à 80 millions d'euros que de 10 millions, en raison des travaux connexes, et ne peut se résumer aux seuls panneaux fournis, sans parler des mises à jour Internet, des GPS, des aménagements de voirie, des automatismes de régulation de la circulation sur lesquels aucun coût n'a été annoncé, et qui pèseront eux aussi pour plusieurs dizaines de millions d'euros supplémentaires. Aux Pays-Bas, pour éviter tout problème, la limitation est rappelée plusieurs fois par kilomètre sur le bord de la chaussée par mini bornes. Au contraire,en France, même actuellement, il existe de multiples portions de voirie où l'automobiliste ne peut savoir entre 30, 50, 70 ou 90 km/h, la signalisation étant déjà très approximative, et encore plus floue aux abords des nombreux chantiers. La conformité des voiries est rarement vérifiée après leur mise en service, malgré de nombreuses modifications.

Mais surtout, le problème principal des accidents de la route est aujourd’hui dans le suréquipement saturé des véhicules en accessoires et en électronique, Les conducteurs sont de moins en moins réactifs ou anticipateurs en raison du suréquipement électronique des véhicules.

L’attention des conducteurs est sollicitée en permanence par une multitude de gadgets et de relais de fonctions ou d’écoute. Que ce soient des messages, des voyants, des régulateurs, des indicateurs de toutes sortes, des fonctions d’écoute de radio ou de musique, les orientations GPS, la liaison du téléphone, chaque stimulus empêche un peu plus le conducteur d’anticiper, là où il pouvait encore le faire auparavant. Même à 80 km/h, une seconde représente 25 m environ. La longueur d'un véhicule représente un cinquième de seconde. Il suffit d’un dixième de seconde de distraction pour ne pas voir un véhicule franchir un carrefour, sortir d’un parking, brûler un stop, ou déboîter sur la chaussée. Le problème est que ce dixième de seconde est souvent occupé à consulter l’une des trop nombreuses fonctions du véhicule. En sus des accidents de véhicules, ces distractions frappent de plus en plus de motards et de piétons., et même à très faible vitesse.

Abandonné à tous ses automatismes, le conducteur anticipe de moins en moins les évènements extérieurs. Une vitesse diminuée accroît encore ce risque par relâchement. L’équipement actuel des véhicules tend à en faire un cocon, un quasi-domicile. Dès qu’il entre dans son véhicule, le conducteur est pris en charge, incité à s’abandonner entre les mains de multiples fonctions qui se substituent à lui ou multiplient les brefs instants de distraction suffisants pour provoquer un accident. La seule interdiction du téléphone portable au volant est dérisoire par rapport à ces multiples sollicitations du conducteur, alors qu'un GPS exige à lui seul bien plus d'attention, sans parler des autres accessoires. Des accidents frontaux mortels surviennent là où des manœuvres d‘évitement minimisaient les dégâts il y a seulement quelques années. Des véhicules isolés partent au décor pour des raisons de moins en moins expliquées. Même les piétons ont un nombre croissant d'accidents en raison de leur distraction par leur smartphone, la musique ou les messages.

D’autre part, la gestion croissante du véhicule par des fonctions électroniques en diminue la fiabilité. La multiplication des points possibles de pannes est maintenant dans la multitude de capteurs, automatismes, avertisseurs, sensés aider le conducteur mais pouvant aussi accroitre considérablement la dangerosité. La vérification des organes vitaux du véhicule, direction, freins, pneus, …, s’en remet à des capteurs dont l’erreur peut être fatale. De nombreux mécaniciens confient en privé leurs difficultés croissantes à gérer des véhicules bourrés d’électronique, pouvant tomber en panne à tout moment, trop souvent rappelés en révision pour des rafistolages sans fin.

La facilité de vendre les véhicules a été multipliée par l’incorporation de nombreux accessoires de confort destinés à renforcer l’impression de bien-être. Malheureusement, ces pseudo-améliorations et autres astuces de mode se sont trop souvent faites au détriment de l’amélioration des vraies fonctions de sécurité du véhicule. La limitation à 80 km/h pourrait même encore accroître le taux d’accident avec des phénomènes de somnolence ou de collision dus au relâchement par vitesse diminuée. La diminution de 4% espérée risque fortement d'engendrer par ailleurs une augmentation du double...

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Ludovic Grangeon a été partenaire de plusieurs réseaux d’expertise en management et innovation sociale de l'entreprise. Il milite à présent pour le développement local et l’équilibre des territoires au sein de différentes associations. Il a créé en grande école et auprès des universités  plusieurs axes d’étude, de recherche et d’action dans le domaine de l’économie sociale, de la stratégie d’entreprise et des nouvelles technologies. Il a également été chef de mission et président de groupe de travail de normalisation au sein du comité stratégique national Afnor management et services. Il a participé régulièrement aux Journées nationales de l’Economie, intervenant et animateur. Son activité professionnelle a été exercée dans l'aménagement du territoire, les collectivités locales, en France et auprès de gouvernements étrangers, à la Caisse des Dépôts et Consignations, dans le capital risque, l’énergie, les systèmes d’information, la protection sociale et la retraite.

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