Les organisations patronales, en France, et contrairement aux fantasmes agités dans les médias subventionnés, n’aiment pas le libéralisme et ne manquent pas une occasion de le combattre. Le débat qui vient d’avoir lieu dans l’hémicycle en loi de financement de la sécurité sociale en a donné une nouvelle preuve.
Les frondeurs à la manoeuvre
La question est de savoir si les entreprises peuvent librement choisir leur assureur en prévoyance (décès des salariés, invalidité, incapacité de travail) ou non: c’est la querelle, bien connue des experts, de la désignation. Les tenants du corporatisme français soutiennent que le libre choix d’une entreprise peut être enfreint par un accord de branche, négocié on ne sait comment. Les tenants de la liberté d’entreprendre dénoncent cette restriction sur un marché de plusieurs millards d’euros aujourd’hui.
À l’Assemblée Nationale, les frondeurs ont fait passer (par 19 voix contre 11 – bonjour l’assiduité parlementaire!) un amendement au PLFSS 2017 autorisant les branches professionnelles à limiter la capacité de choix des entreprises à un ou deux assureurs choisis pour des raisons que tout le monde connaît. Les négociateurs de branche sont en effet souvent administrateurs de groupes paritaires d’assurance qu’ils adorent favoriser, moyennant une rétro-commission sous forme de stands achetés dans les congrès, d’encarts publicitaires surfacturés et autres faux nez d’un financement à l’ancienne.
Frondeurs et patrons main dans la main
Le débat a donné lieu à de rapides passes d’armes, dont une retient l’attention:
M. Denys Robiliard. (…)
D’abord je constate que cet amendement traduit un accord entre organisations patronales et organisations représentatives de salariés.
Tiens donc! les organisations patronales auraient cautionné une restriction à la liberté d’entreprendre… et auraient soutenu un amendement porté par des frondeurs, qui ne manquent pourtant jamais une occasion de dénoncer les cadeaux faits aux entreprises.
Décidément, le très décadent parlementarisme français a ses raisons que la raison ne connaît pas.
Quelle position du MEDEF?
Interrogé par nos soins, le MEDEF a fait mine de s’étonner de cette initiative parlementaire et dénie (probablement à juste titre) toute implication ès qualité dans une opération d’aussi mauvais goût. Le plus probable est que les retards à l’allumage, fréquents chez les permanents du MEDEF, aient exclu du débat la confédération patronale en tant que telle. Le moteur du char d’assaut n’a pas eu le temps de chauffer que la bataille était déjà terminée.
En revanche, certains grands adhérents du MEDEF n’ont probablement pas vu d’un oeil hostile cet arrangement avec la liberté d’entreprendre. On pense ici tout particulièrement à la Fédération du Bâtiment, où la prévoyance est confiée à un organisme paritaire ami des désignations (Pro-BTP, au passage dirigé par un ancien conseiller de François Hollande…).
Quelle position de la CPME?
Parallèlement, la CPME a également dû faire preuve de la même timidité que le MEDEF sur le sujet, même si l’ex-CGPME a noué des partenariats avec l’un de ces organismes paritaires. Ce n’est pas que la CPME n’aime pas le paritarisme, mais les liens avec les assureurs paritaires ne sont pas, à proprement parler, son terrain de chasse favori. Les patrons de PME ont en effet coutume de travailler directement avec des courtiers d’assurance et les accords de branche n’y sont pas un sport quotidien.
En revanche, là encore, la Fédération du Bâtiment est un fidèle adhérent de la CPME, et loin du bon Dieu, personne ne sait où traînent les mains de ses saints.
Encore et toujours l’UPA
En revanche, l’UPA et ses branches à forte concentration d’artisans adorent les désignations, les entraves à la concurrence et les petits arrangements entre amis paritaires. L’exercice constitue même une spécialité de la maison, où l’enchevêtrement d’intérêts conflictuels mais lucratifs posera tôt ou tard un problème démocratique majeur.
Les mic-macs de la boulangerie sont d’ailleurs souvent rappelés dans nos colonnes. L’actuel président de l’UPA, Jean-Pierre Crouzet, a en effet réussi l’exploit, lorsqu’il était président tout puissant de la Confédération Nationale de la Boulangerie et administrateur d’AG2R, de négocier une désignation d’AG2R dans sa branche. Cette parfaite maîtrise du capitalisme de connivence lui a d’ailleurs valu une médaille (pas qu’)en chocolat: une nomination en bonne et due forme au paradis de la combinazione appelé le Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE).
L’UPA et les arguments de Grand Guignol
De fait, la prose produite par l’UPA sur la libre concurrence mériterait régulièrement de figurer au festival du rire de Montreux. À lire l’abondante production patronale sur le sujet, les artisans (et de nombreux patrons d’ailleurs) rêvent de vivre dans une économie administrée, quasi-soviétique, où tout serait organisé par les branches professionnelles.
Bien entendu, aucun de ces grands défenseurs du corporatisme d’Ancien Régime ne prend soin d’indiquer la représentativité réelle des négociateurs de branche ni des organisations qui les mandatent.
On aimerait par exemple savoir si ou non, en 2008, lorsque Jean-Pierre Crouzet a imposé à la force de l’épée à tous les boulangers de France un contrat d’assurance monopolistique, son organisation représentait au moins 30% des acteurs de son secteur. On aimerait savoir si, après les multiples assignations de boulangers pour non-respect de l’accord de branche dont il fut le complice (condamnant certains d’entre eux à la faillite, au nom de la solidarité, bien entendu), son organisation a réellement perdu, comme cela se murmure dans les couloirs, les deux tiers de ses membres. Auquel cas, la confédération de la boulangerie aurait aujourd’hui le droit d’imposer à 100% de la profession des décisions prises par des représentants de 10% seulement de ses membres…
Aucun de ces grands défenseurs du corporatisme ne juge non plus utile de préciser les liens financiers qui les attachent aux assureurs paritaires. Pourtant, nombre d’organisations patronales sont aujourd’hui dépendantes, pour leur survie, d’un financement par des rétro-commissions sur des contrats d’assurance dont on peine à comprendre la justification économique.
Autre que celle d’entretenir des forces conservatrices qui bloquent les réformes dont ce pays à besoin.
Article écrit par Eric Verhaeghe pour son blog