Pourquoi la devise de Facebook n’a rien à voir avec le bitcoin

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Par Ralph Fucetola Publié le 21 juillet 2019 à 4h36
Facebook Libra Monnaie
@shutter - © Economie Matin
100 milliards de dollarsSi tous les utilisateurs de Facebook mettaient 100 dollars dans Libra, cette monnaie alternative « pèserait » 100 milliards de dollars.

L’arrivée de Facebook sur le marché des cryptomonnaies est-il une véritable révolution pour les libertés individuelles ou bien y a-t-il tromperie sur la marchandise ?

Le célèbre lauréat du prix Nobel d’économie F.A. Hayek était, comme il le reconnaissait lui-même dans l’introduction de la réédition parue en 1990 de son ouvrage Pour une vraie concurrence des monnaies [titre original : Denationalization of Money: The Argument Refined], l’un des principaux gold bugs [expression anglaise employée pour désigner un farouche partisan de l’investissement dans l’or et du rétablissement de l’étalon-or, NDT] du XXème siècle.
Comme il nous l’a rappelé, aussi longtemps que les politiciens voudront contrôler la monnaie, disposer d’une devise adossée à l’or est essentiel à la protection de notre liberté contre les politiques reposant sur l’inflation.

Mais son intérêt pour la monnaie et le marché s’était déjà manifesté dans ses travaux antérieurs, comme le montrent plusieurs articles publiés sur mises.org au cours des dernières années. Comme l’a écrit Nikolay Gertchev :

« Dans une série de cinq conférences données en 1937 puis publiées sous la forme d’un ouvrage intitulé Monetary Nationalism and International Stability [Nationalisme Monétaire et Stabilité Internationale, NDLR] Hayek propose une analyse en profondeur des principaux dysfonctionnements du système monétaire actuel. Pour résumer, il a identifié deux facteurs qui sont à l’origine d’une déstabilisation des relations économiques au niveau international : le système bancaire de réserves fractionnaires et les banques centrales nationales. Le système de réserves fractionnaires constitue la cause principale de la propagation des cycles économiques à l’échelle internationale, tandis que les banques centrales, en cherchant à corriger les déséquilibres, ont en réalité pour effet d’amplifier l’instabilité qui en résulte. »

Et voici ce qu’a écrit Demelza Hays :

« En 1975, Hayek a finalement donné une conférence intitulée ‘Le choix d’une devise’ au cours de laquelle il a pour la première fois défendu la revendication provocatrice selon laquelle le monopole de l’État sur la monnaie devrait être aboli. Il a fallu attendre plusieurs années pour que soient publiées les monographies intitulées Free Choice in Currency [Le libre choix en matière monétaire] et Pour une vraie concurrence des monnaies, dans lesquelles il développe de façon plus détaillée ses théories concernant le fonctionnement d’un système concurrentiel de monnaies privées […].

Quelle forme prendrait une organisation basée sur le principe de fragmentation du pouvoir et comment pourrait-elle émerger ? Hayek défendait l’idée qu’une telle organisation se formerait spontanément si les libertés suivantes étaient respectées :

- La liberté pour des producteurs privés d’émettre de la monnaie et d’entrer en concurrence sur le marché des devises.
- La liberté pour les citoyens de choisir la devise qu’ils souhaitent utiliser.
 »

Un rêve enfin possible ?

Presque un demi-siècle plus tard, le rêve de Hayek de voir la monnaie être dénationalisée semble être devenu une réelle possibilité et non plus une position libérale excentrique facilement ignorée par les autorités monétaires.

L’arrivée de la technologie blockchain et des cryptomonnaies suggère sans nul doute que le « compromis » trouvé initialement dans le cadre des accords de Bretton Woods après la Seconde guerre mondiale pour reconnaître l’or et le dollar américain (adossé à cette époque à l’or) comme monnaie de référence pour les transactions à l’échelle internationale, a échoué. Il en va de même pour les tentatives d’ajustement de ce système qui ont suivi.

Ainsi, une période d’instabilité monétaire pourrait permettre de faire émerger des réformes monétaires basées sur le marché libre.

Le bitcoin représente un exemple d’« or virtuel » dont la valeur repose sur le fait qu’il n’existe qu’une quantité limitée de cette cryptomonnaie et qu’il est nécessaire d’engager des dépenses importantes pour « miner » chaque unité supplémentaire, de façon similaire à l’or physique.

Bien que Bitcoin reste la cryptomonnaie la plus connue, il est possible de dénombrer plus d’un millier de cryptomonnaies en circulation d’après la liste établie par CoinMarketCap.com (bien qu’une part significative de ces cryptomonnaies corresponde en fait à des ICOs – initial coin offerings – un moyen innovant de lever des fonds dans le cadre du financement d’un projet spécifique). La force des cryptomonnaies repose essentiellement sur le fait qu’elles peuvent être facilement achetées, vendues et échangées entre elles en toute confidentialité.

Hayek avait prédit que les forces naturelles du marché pourraient s’appliquer aux biens que nous utilisons pour faciliter les échanges (c’est-à-dire « les devises ») à la condition que les Etats laissent le champ libre aux acteurs privés.

Il suggérait que dans un marché monétaire libre, les grandes institutions financières pourraient promouvoir différentes devises concurrentes, probablement basées sur des « paniers » de matières premières. Il imaginait de quelles façons le marché permettrait de maintenir la valeur et la stabilité de telles devises, de manière beaucoup plus efficace qu’aucun système politique de devise à cours légal. Dans une certaine mesure, il semble que cela soit en train de se produire avec les cryptomonnaies.

L’arrivée d’un géant sur le marché

C’est dans ce contexte qu’un mastodonte a fait son entrée. Facebook, avec ses deux milliards d’utilisateurs, a décidé de s’attaquer au marché des cryptomonnaies avec Libra. Etant donné que le libra sera utilisable comme devise sur Facebook, l’entreprise a probablement estimé que ce facteur offrirait à lui seul un avantage concurrentiel décisif par rapport à toutes les autres devises concurrentes.

Ah mais…il y a un hic, Libra n’est pas une monnaie dont la quantité est naturellement limitée ; contrairement au bitcoin, il peut être multiplié à l’infini. Et il n’est pas adossé à un panier de matières premières afin d’en assurer la stabilité, comme Hayek le recommandait. A la place, cette monnaie sera définie par un panier (dont la répartition pourra évoluer) de devises fiduciaires !

C’est la vérité. Facebook et les entreprises qui se sont associées au projet (notamment PayPal, Visa et Uber…) espèrent réussir à fournir une cryptomonnaie stable en l’adossant à un groupe de monnaies étatiques !

D’après le site Techcrunch :

« Un libra représente une unité de la cryptomonnaie Libra, symbolisée par trois lignes horizontales ondulées ?, comme le dollar est symbolisé par le signe $. La valeur d’un libra devrait rester relativement stable, pour pouvoir être utilisé comme moyen d’échange faible, étant donné que les commerçants auront l’assurance que les libras avec lesquels ils seront payés aujourd’hui auront la même valeur demain.

La valeur de Libra est liée à un panier d’actifs monétaires sous la forme de dépôts bancaires et de bons du Trésor libellés dans une multitude de devises internationales historiquement stables, telles que le dollar, la livre sterling, l’euro, le franc suisse et le yen.

L’association Libra maintiendra ce panier d’actifs et aura la possibilité d’en changer la répartition si nécessaire afin de contrebalancer d’éventuelles fluctuations majeures du cours d’une devise et ainsi garantir stabilité de la valeur de Libra. »

Eh bien voilà, je n’ai rien d’autre à ajouter. Zuckerberg n’est pas Hayek. Et Libra n’est pas Bitcoin.

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Ralph Fucetola est un ancien avocat aujourd’hui retraité (1971–2006), enseignant et écrivain. Il a obtenu en 1967 un baccalauréat littéraire avec les honneurs de l’université Rutgers (en 1967), avant d’être diplômé en 1971 de l’école de droit Rutgers.

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