Les stratégies économiques et l’art de tourner en rond dans tous les sens

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Par Alain Desert Publié le 29 septembre 2015 à 5h00
France Etat Economie Budget Deficit
@shutter - © Economie Matin
4 %Le déficit public de la France a atteint 4 % en 2014.

Dans le contexte économique présent, toujours difficile mais légèrement prometteur, nos dirigeants ont atteint la quasi-perfection dans une discipline en plein essor au sein de la classe politique, qu’on peut qualifier comme « l’art de tourner en rond dans tous les sens ».

Je propose dans cet article, à travers un exemple concret, de voir comment cela se manifeste, dans une période de très faible croissance, où les marges de manœuvre se rétrécissent année après année. Malheureusement, l’excellence acquise dans cet art provoque parallèlement des désadaptations sur les capacités à définir des stratégies de moyen ou long terme, tant pour redynamiser une économie en panne de croissance, ou faire face à des problématiques toujours plus complexes associées à des enjeux toujours plus importants (par exemple, concilier croissance et lutte contre le réchauffement climatique ou développement durable)

Les actions politiques et l’art de tourner en rond

Les nombreuses liaisons, interactions, rétroactions qui opèrent dans un environnement toujours plus intégré, globalisé à l’extrême, ne facilitent pas les prises de décision, car la politique s’accommode assez mal de la complexité qui nécessite un nouvel état d’esprit, de nouveaux outils intellectuels, en l’occurrence ceux dérivant de la systémique.

Ce jeu du « je tourne en rond », s’illustre parfaitement lorsqu’il s’agit de traiter un problème relativement complexe où une solution élaborée, cohérente, pérenne, parfaitement construite, s’imposerait dans une perspective de long terme, alors que ne sont retenues des solutions simplistes et provisoires (traitement symptomatique). On nous a offert dernièrement un nouvel aperçu avec le problème des éleveurs.

A titre d’exemple, je retiendrai la problématique de l’endettement, en essayant de voir comment le pouvoir essaye de manœuvrer pour stabiliser une situation qui depuis des années ne fait que dériver.

L’approche réductionniste toujours bien vivante

La France fait face à des problématiques très diverses, toutes interdépendantes, (chômage, déficit, dette, fiscalité, retraites, compétitivité, attractivité, modèle social, etc…). C’est un peu le propre de d’économie, le nombre et l’ampleur des problèmes marquant la différence avec un passé où la croissance autorisait quelques écarts de conduite. Ces interdépendances ordonnent une vision globale pour à la fois analyser, comprendre, diagnostiquer, et mettre en place les outils, les plans d’actions pour agir, sachant que agir sur l’un a des répercussions les autres, tant les interactions sont fortes, renforcées ces dernières années par l’amplification du rôle des niveaux d’organisations englobant (Europe, mondialisation).

Les visions court-terme et réductionnistes de nos politiques, négligeant ou refusant la pensée globale font penser à un médecin démuni dans sa démarche thérapeutique, prescripteur d’antipyrétiques pour la fièvre, d’anti-inflammatoires pour les inflammations, de somnifères pour le sommeil, d’anxiolytiques pour l’anxiété, d’analgésiques pour la douleur, autrement dit tout ce qui contrarie les processus naturels de lutte, de guérison ou d’alerte, ce qu’un certain ex-président qualifierait de « mettre la poussière sous le tapis ». Ainsi, il est toujours pus facile d’agir sur les symptômes que de s’attaquer aux causes, avec l’inefficacité qui en résulte, sans parler des dégâts collatéraux. C’est tout le travers de la politique française.

Avant d’aborder la macro-économie, quelques grandeurs bien utiles …

- Dépenses publiques 1230 Milliards d’euros
- PIB (Produit Intérieur Brut) 2150 Milliards d’euros
- Montant de la dette 2090 Milliards d’euros
- Pourcentage dette / PIB environ 97%
- Ratio dépenses publiques/PIB environ 57%
- Ratio prélèvements obligatoires/PIB environ 45%
- Déficits publics 85 Milliards d'euros
- % des déficits publics 2014 (/PIB) 4.0%

Dettes et déficits

Les déficits publics (état, collectivités locales, administrations de sécurité sociale) représentent le solde entre les dépenses et les recettes. L’état n’ayant pas de liquidités disponibles, emprunte sur les marchés pour les financer, et de ce fait augmente chaque année (on pourrait dire chaque jour) le niveau de la dette en valeur absolue et en valeur relative (ratio dette/PIB).

Il est désormais impératif de réduire l’amas de dettes si on veut éviter tout phénomène de rupture, à l’image des séismes qui n’ont jamais la délicatesse de prévenir. Les paramètres clés de l’équation qui jouent directement sur l’évolution de la dette sont principalement: les recettes, les dépenses, le déficit (le solde), l’inflation, la croissance. Puisque l’endettement est directement lié aux montants des déficits, qui eux-mêmes dépendent du solde entre dépenses et recettes, j’insisterai particulièrement sur ces 3 derniers points.

Le niveau des déficits

Le niveau des déficits reste élevé. Rappelons la progression depuis 2009 :
2009 : 7,5%, 2010 : 7%, 2011 : 5.1%, 2012 : 4.8%, 2013 : 4,1%, 2014 : 4%). L’action du gouvernement reste orientée vers une réduction tendancielle, tout du moins dans les déclarations, les différences entre 2013, 2014 et 2015 seront minimes. Il est donc difficile d’évoquer le respect d’une trajectoire, lorsque le rythme d’assainissement des finances publiques est relativement lent, sinon suspendu, et que la dette est toujours en augmentation ! On est bien dans une situation où l’état vit au-dessus de ses moyens. Les discours tournent en rond, usant et abusant d’une phraséologie quelque peu figée axée sur les efforts, les trajectoires, les tendances, les inversions de courbes, etc., dont les traductions dans la réalité sont peu visibles.

Alors comment s’en sortir

La nécessité évidente de réduire le montant de la dette française, ne tient pas uniquement au ratio dette/PIB qui approche dangereusement le seuil de 100%. D’autres pays l’ont déjà franchi (Italie, Japon, Etats-Unis) ; il est à la fois symbolique, symptomatique d’une classe dirigeante qui n’a pas la culture de la rigueur budgétaire, mais plus grave, il peut nous faire basculer vers des territoires inconnus où des dérives dangereuses pourraient s’enclencher.

Pour diminuer un endettement excessif, plusieurs « manettes » dans la gouverne élyséenne peuvent être actionnées, auxquelles s’ajoutent celles de la banque centrale européenne. En voici quelques-unes :

  • Augmentation des impôts et des taxes pour amener les déficits à un niveau qui permet le désendettement, au mieux encore revenir à des excédents (mais ne rêvons pas !)
  • Réduction des dépenses publiques (dans le même esprit)
  • Relance économique par plus de déficits (oui c’est paradoxal … pour les politiciens naïfs qui croient qu’on peut résoudre un problème de dettes en s’endettant davantage !)
  • Relance de l’inflation (pas très facile dans un monde mondialisé ; danger potentiel).
  • Monétisation de la dette (rachat des dettes par les banques centrales)
  • Baisse des taux d’intérêts pour alléger la charge de la dette, et donc les déficits (c’est ce qui se passe actuellement)

Regardons simplement deux d’entre elles :

  1. On ajuste par l’impôt

Le niveau des prélèvements obligatoires atteint 45% du PIB en 2014. Pour ne pas se noyer dans les chiffres, on peut noter que ce ratio a beaucoup augmenté depuis le début de crise et c’est moins la conséquence de cette dernière qui a certes donné un coup sévère à l’économie, que des hausses vertigineuses d’impôts impulsées par N.Sarkozy et F.Hollande, dont le but fût de stopper l’envolée d’un déficit public devenu incontrôlable. Outre la stabilité budgétaire, les impôts ont également servi à alimenter une dépense publique galopante qui aujourd’hui atteint de nouveaux sommets. On a envie de dire : « Mmes et Mrs les politiques, qu’avez-vous fait de notre argent ? »

L’ajustement par l’impôt n’a rien d’une évidence. Un certain Mr Laffer, bien connu pour sa courbe, qui en gros nous dit que trop d’impôts tue l’impôt, se garderait bien de nous conseiller cette voie, d’autant plus que les marges de manœuvres paraissent bien dérisoires. L’impôt fait tourner en rond des dirigeants qui fredonnent les sempiternelles rengaines fiscales, avec la chorale des hausses qui appelle le chant des baisses, et pour final la cantate des corrections. Donc, tendanciellement, on est toujours sur le chemin de la hausse, un chemin qui aurait dû nous conduire vers le désendettement, alors qu’on observe le contraire.

Que l’état s’ingénie à augmenter les impôts ou à les diminuer, rien n’y fait ! Le manque de continuité dans l’action, les remaniements, les revirements, l’idéologie rampante, les virages à droite, les virages à gauche, l’absence d’une réelle vision économique, détruisent l’efficacité de ce levier.

2. On ajuste par la dépense publique

Le niveau des dépenses publiques n’a jamais été aussi élevé en France. Elles représentent aujourd’hui 57,5% du Produit Intérieur Brut (PIB), un record non enviable. Là encore, les politiques tournent en rond avec des discours toujours ambigus affirmant ou réitérant les intentions de bon usage des deniers publics. Rappelons que le niveau des dépenses publiques en France est de 7 à 8 points plus élevé que la moyenne européenne. Ceci dit, comparaison n’étant pas raison, une analyse détaillée s’impose à la fois en termes de structure et d’efficacité, en notant toutefois que la France n’a jamais gagné la médaille du meilleur gestionnaire.

C’est curieux, tout le monde pense à réduire la dépense, à gauche comme à droite, mais personne ne s’y est engagé dans les faits ! Il faut imaginer combien c’est simple d’augmenter les prélèvements, et combien c’est compliqué de diminuer les dépenses, une logique qui demande quelques dispositions intellectuelles pas vraiment compatibles avec un génotype politique non adaptatif. Et puis … une fois que l’on a donné, il n’est pas facile de reprendre ! Il faudra un peu de temps pour qu’une logique inversée imprègne le cerveau de dirigeants formatés, pour lesquels l’impôt, la taxe ont toujours été des leviers déterminants. Certains diront que la dépense publique permet de soutenir la croissance, d’autres diront qu’elle pèse sur le coût du travail et de la production marchande. Tout le monde aura raison car les visions réductrices facilitent l’émergence des vérités individuelles ou partisanes, nettement moins évidentes dans des visions globalisées.

Dans la logique d’ajustement des recettes et des dépenses, on tourne toujours en rond, car la propension typiquement française à toujours dépenser plus, rend nécessaire l’augmentation des prélèvements, qui en retour encourage à dépenser davantage. Une action entretient l’autre par un phénomène de bouclage, très classique en économie, toujours orienté dans le même sens depuis des décennies, se transformant en dynamique infernale qu’aucun gouvernement n’a voulu ou pu inverser. En économie les phénomènes ne peuvent indéfiniment emprunter la même direction, car le « toujours plus ou le toujours moins » atteint un jour ou l’autre ses limites, faisant de l’inversion des tendances une nécessité (un peu comme la courbe du chômage !). On ne peut imaginer que les dépenses publiques dépassent 60% du PIB (on en est pas très loin) sans que cela ait des répercussions très néfastes sur l’efficacité économique. Donc tout est question de dosage !

Diminuer la dépense est certainement une nécessité pour les équilibres macro-économiques. Cependant, les coupes budgétaires ont un caractère récessif si elles sont est mal orientées, car réductrice d’activités. Alors comment faire ? Eh oui, à chaque fois on tourne en rond, aussi bien dans les discours que dans le choix des stratégies, en entretenant le mythe du sauvetage par une croissance venue d’ailleurs.

Conclusion

Toutes ces difficultés s’expliquent principalement par l’étroitesse des marges de manœuvre, qui à la fois rendent les actions délicates, souvent inopérantes, incertaines, victimes du comportement modifié de systèmes qui ne répondent plus à des logiques habituelles. Au-delà des aspects techniques, le pilotage de l’économie est devenu périlleux vu que tout se mêle et s’entremêle, l’opinion publique, les sondages, la peur de la rue, le corporatisme, les idéologies, les partis, les courants, le clientélisme, etc. qui exercent des forces contraires empêchant toute initiative. Les logiques politiques s’accommodent assez mal des logiques économiques, créant ainsi des dysfonctionnements, des divergences, des dérives, qu’il est de plus en plus difficile de contenir ou de corriger.

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Ingénieur en informatique, Alain Desert a longtemps travaillé sur des plates-formes grands systèmes IBM où il a eu l'occasion de faire de nombreuses études de performances. Il est un adepte de l'approche systémique.

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