Fin 2008 éclate l'affaire Madoff. Bernard Madoff, président-fondateur de la société d'investissements Bernard L. Madoff Investment Securities LLC est condamné à 150 ans de prison pour avoir monté une escroquerie de type Ponzi. Il aurait fait perdre à ses investisseurs 65 milliards de dollars. Ce montant ne représente toutefois que 0,5 % du PIB américain et les conséquences économiques pour le pays ont donc été limitées.
Mais une pyramide de Ponzi peut avoir des effets beaucoup plus graves, comme ce fut le cas en Albanie. En effet, au début de l'année 1997, suite à l'effondrement de plusieurs pyramides de Ponzi, l’Albanie est en situation de quasi guerre civile. Dans plusieurs villes du pays, la population se soulève contre le gouvernement en place et tente de le renverser. Revenons sur cette affaire qui a ruiné plusieurs millions d’épargnants albanais.
L'Albanie dans le giron communiste
A la fin de la 2ème guerre mondiale, alors que la guerre froide se met en place, l’Albanie, dirigée d’une main de fer par Enver Hoxha (qui dirigera le pays jusqu’à sa mort en 1985) se rattache au bloc communiste et s’isole profondément de l’Occident. Le dictateur albanais fut l’un des plus fervents défenseurs du stalinisme. Il prendra d’ailleurs par la suite ses distances avec N.Khrouchtchev quand ce dernier prônera la déstalinisation, ou avec le régime communiste chinois lors de la normalisation des relations diplomatiques de ce dernier avec les Etats-Unis (visite de Nixon à Pékin en 1972). Héritage de ce modèle communiste stalinien : un système économique de planification centrale où tout est régi par l’Etat (prix, quantité, type de biens à produire…) et non par le marché. Par conséquent, le système financier officiel albanais était ignorant du fonctionnement en marché libre et des réglementations à établir pour les institutions financières (banques commerciales, assurances…) afin de garantir la stabilité financière et économique du pays.
L'Albanie et l'économie de marché
Au lendemain de l’effondrement de l’URSS en 1991, l’Albanie se défit du communisme et entra alors dans une nouvelle ère économique en prônant l’économie de marché. Le changement fut immédiat, marqué notamment par une très forte croissance du PIB. En effet, le taux de croissance annuel moyen de ce dernier fut de 9,25 % entre 1993 et 1996. Cependant, ce rapide développement économique paraît logique dans cet ancien pays communiste car presque tout était à y construire, l’Albanie étant à cette époque le pays le plus pauvre d’Europe.
Pour garantir cette croissance, d’importants investissements furent réalisés et l’épargne des albanais fut fortement sollicitée. Etant donné le taux de croissance élevé du pays, un taux de rémunération attractif était proposé aux épargnants. Cependant, profitant d’un système financier opaque, certaines institutions financières crapuleuses y virent le moyen de s’enrichir rapidement avec la mise en place d’un marché du crédit informel et de pyramides de Ponzi. Le principe est simple : « les dépôts des derniers investisseurs font les intérêts des premiers ». Concrètement, l’institution commence par proposer des rendements élevés afin d’attirer les premiers investisseurs. D’autres viennent par la suite y déposer leur argent et l’institution va avec ce dernier payer les intérêts (et éventuellement le retrait de capital) aux premiers investisseurs. Et ainsi de suite. Elle peut faire varier son taux de rémunération en fonction de ses dépenses et du montant déposé par les nouveaux investisseurs. Par exemple, si elle manque d’argent pour rémunérer les premiers, elle augmentera ses taux d’intérêts pour en attirer de nouveaux. Mais ce type de schéma ne peut pas continuer éternellement : non seulement à partir d’un certain niveau de taux d’intérêt promis les nouveaux investisseurs ne permettent plus de financer les anciens, mais aussi la crédibilité de l’institution auprès de potentiels investisseurs peut être remise en question (qui ne se méfierait pas d'une institution qui promet 50 % de rendement par mois ?). Bien qu'interdites dans la plupart des pays du monde, le gouvernement albanais ferma les yeux sur les institutions fonctionnant sur ce type de schéma car elles finançaient les campagnes électorales du Parti Démocrate de Sali Berisha, alors président du pays.
Fin 96, voulant elles aussi profiter de cette manne financière, de nouvelles institutions apparurent. Une concurrence féroce se mit en place entre ces dernières et elles n’eurent d’autres choix pour attirer de nouveaux épargnants que de hausser les taux d’intérêt. Ces derniers purent ainsi atteindre jusqu’à 40% par mois. Les albanais vendirent alors tout ce qu’ils possédaient (logement, bétail, voitures, bijoux…) pour placer leur argent et profiter de ces taux mirobolants. Environ 2 millions d’albanais se laissèrent prendre au jeu, sur une population totale de 3,5 millions. Le gouverneur de la Banque Centrale d’Albanie, tout comme le FMI et la Banque Mondiale, tenta à plusieurs reprises d’alerter le Gouvernement sur les dangers des schémas de Ponzi. En vain.
L'écroulement des pyramides de Ponzi albanaises
Début 97, ce qui devait arriver arriva. Les pyramides de Ponzi commencèrent à s’écrouler les unes après les autres, entrainant la ruine de millions de personnes. Accusant le gouvernement d’en avoir tiré profit et constatant le refus de ce dernier d’indemniser leurs pertes, les albanais commencèrent à se révolter. Des émeutes éclatèrent alors dans tout le pays, au cours desquelles 2 000 personnes furent tuées. Face à la situation, une intervention internationale fut conclue (résolution 1 101 du Conseil de Sécurité de l’ONU). A l’issue de ces révoltes, le gouvernement fut renversé et de nouvelles élections furent organisées. On estime la perte totale à 1,7 milliards de dollars, soit 50 % du PIB albanais à l’époque (bien loin devant les 0,5 % du PIB américain suite à l'affaire Madoff).
Les conséquences macroéconomiques immédiates sont connues : baisse des investissements dans le pays, chute de la monnaie nationale (le lek, qui s’échange en 1996 contre 103,47 dollars et en 1997 contre 149,8 dollars), hausse du prix des importations, hausse du prix à la consommation (+ 33,2 % en 1997), réduction de la consommation, récession (-10,2 % du PIB en 1997), hausse du chômage (qui passe de 12,3 % en 1996 à 14,9 % en 1997)… Toutefois, ces indicateurs économiques sont revenus à la normale vers le début des années 2000. Les conséquences sur le long terme semblent donc être limitées.
Ironie de l’histoire, Sali Berisha, qui était président de la République d’Albanie entre 1992 et 1997 lorsque les pyramides virent le jour et qui profita donc de ces dernières, fut nommé 1er ministre du pays entre 2005 et 2013.