C’est la rentrée financière, avec la présentation en conseil des ministres le mercredi 30 septembre du Projet de Loi de Finances 2016 (PLF). L’objet de l’article n’est pas de revenir en détail sur ce rituel automnal, d’autant plus que le ministre des finances, devenu célèbre pour ses petites formules, a dit « la surprise, c’est qu’il n’y a pas surprise », mais tout simplement de mettre en évidence un gros mensonge par omission.
Je crains qu’une partie des citoyens attentifs à l’évolution de notre économie, soucieux de l’usage de leur argent solidement récolté, peu accoutumés à la comptabilité nationale, aux indigestes indicateurs macro-économiques, se perdent dans un magma de chiffres sortis d’un PLF à la fois touffu et peu ambitieux, dont la durée de vie ne dépasse pas la périodicité des révisions. Je tiens à signaler, et c’est le point principal de cet article, qu’il y a un chiffre que le gouvernement n’a pas présenté, n’a jamais présenté, et ne présentera jamais, qui est : « le ratio du déficit du budget de l’Etat, le vrai ! ».
La présentation du budget est un art subtil et difficile, car il mélange allégrement les comptes de l’Etat et les autres comptes publics, ce qui mérite déjà un petit éclaircissement. Qu’est-ce que le budget de l’Etat ? C’est en résumé un document répertoriant les dépenses et les recettes prévues de l'Etat, voté chaque année par le parlement dans un Projet de Loi de Finances. Il ne comprend ni les budgets des collectivités territoriales (régions, départements, communes), ni celui des administrations de sécurité sociale. Son poids, rapporté aux dépenses globales, est approximativement de 30%.
Tableau extrait du PLF (résumé des recettes et des dépenses du budget général)
La dépense dite publique, qui comprend l’ensemble des dépenses des 3 grands compartiments sus cités, s’élèvera à environ 1240 Mds d’euros en 2015. Donc, quand le gouvernement affiche le déficit public en pourcentage, il faut comprendre le déficit global de toutes des administrations publiques rapporté au PIB, soit 3,3% prévu en 2016 (3,8% programmé pour 2015). Seulement voilà, il se garde bien de préciser le vrai ratio du déficit de l’Etat qui, lui, s’établit à près de 20%. En effet, le PLF 2016 prévoit environ 302 Mds d’euros de recettes nettes (fiscales et non fiscales, après remboursements et dégrèvements) contre 375 Mds d’euros de dépenses, ce qui conduit à un solde négatif de -72 Mds (voir le tableau pour le milliard qui manque !), et donc à un ratio de 19,2% exactement (72/375). Juste une petite différence, au jeu des miroirs déformants de Bercy! Quand l’Etat dépense 100 euros, il n'en prélève que 80 et emprunte sur les marchés les 20 euros manquant, qui alimentent une dette dont le coût s’élève à 44 Mds d’euros. Je vous laisse imaginer ce que l’on pourrait faire avec cet argent. Mais bon, la dette, elle est là, comme un cancer, et pour longtemps encore !
Ainsi, les raisonnements s’appuient sur un déficit au sens de Maastricht (ratio DEFICIT PUBLIC/PIB), deux agrégats macro-économiques qui n’ont pas beaucoup de rapport entre eux, alors qu’il est à mon sens préférable de zoomer à la fois sur les montants en absolu et sur la proportion des dépenses que l'Etat, ou autre administration, arrive à financer grâce à ses recettes. En règle générale, un déficit se compare à un chiffre d’affaires, à un revenu. Or le ministère des sous publics compare le déficit public au PIB, ce qui manque cruellement de pertinence. Aïe, n’y a-t-il pas là une petite aberration comptable, un mélange de choux et de carottes peu propice à éclaircir nos idées troubles !
Il ne faut pas non plus confondre, déficit budgétaire et déficit public. C’est à peu près de la même veine que les budgets ; le déficit budgétaire se rapporte au budget de l’Etat, et le déficit public se rapporte au budget global des administrations publiques (vues plus haut). La encore, il faut éviter toute confusion ! En fait, on devrait dire « solde budgétaire » à la place de « déficit budgétaire », mais l’histoire des 40 dernières années nous a fait oublier qu’un solde pouvait être négatif ou positif (excédent), alors on a pris l’habitude de dire « déficit budgétaire ». Donc quand le gouvernement communique sur sa petite comptabilité, je vous invite à bien tendre l’oreille pour savoir s’il évoque le budget de l’Etat, le budget public global, le déficit budgétaire, ou bien le déficit public. Bon je sais, cela demande un petit apprentissage …
Pour agrémenter cet article, je ne résiste pas à vous livrer une petite phrase extraite du PLF, qu’aurait pu écrire notre ministre des finances (peut-être l’a-t-il écrite d’ailleurs !) : --- En 2016, la progression en valeur de la dépense publique hors crédits d’impôt ne serait que légèrement plus dynamique, en lien avec l’accélération de l’inflation et avec le cycle électoral pour la dépense locale, à 1,3 %, contre 3,2 % en moyenne entre 2007 et 2012. Le solde budgétaire du projet de loi de finances pour 2016 s’élève à -72,0 Md€, en amélioration de 1,0 Md€ par rapport au solde budgétaire révisé pour 2015 ---
On avait oublié le cycle électoral dans nos petites affaires ! Je ne résiste pas non plus à décrypter les intentions maintes fois réitérées de faire des économies, mais … que veut dire « FAIRE DES ECONOMIES » pour le gouvernement socialiste ? L’acceptation traditionnelle de l’expression « faire des économies » désigne le fait de dépenser aujourd’hui moins qu’auparavant, une acception tordue par nos dirigeants actuels pour qui faire des économies consiste à dépenser moins que ce qui était initialement prévu si on avait suivi le rythme de la hausse tendancielle des dépenses (j’espère que vous m’avez suivi !.).
Pour ne pas être trop critique, je vais quand même pour finir, accorder un bon point au gouvernement. Les hypothèses de croissance sont devenues ces dernières années un peu plus réalistes. L’objectif de croissance fixé pour 2015 sera très certainement atteint. Le PLF prévoit 1,5% pour l’année 2016, un niveau prudent qui n’est pas hors de portée si l’économie mondiale s’abstient de tout bousculer. A noter que la prudence est moins évidente pour l’inflation qui est prévue à 1% (un peu élevé selon les spécialistes).
On remarquera qu’on joue beaucoup sur des dixièmes de points, sur quelques centaines de millions d’euros parfois, des ordres de grandeur qui font un peu sourire face aux enjeux financiers, aux montants de la dette, des déficits, et des grands agrégats monétaires. L’ambition n’est vraiment pas au rendez-vous !