La dernière semaine avant le scrutin des européennes a donné lieu à de nouvelles envolées ciblant directement les populistes, donnés gagnant par Steve Bannon au Parlement européen. Dans une interview très encadrée à la presse quotidienne régionale, Emmanuel Macron en a d’ailleurs remis une couche sur le sujet, en se présentant comme le seul recours face au démantèlement de l’Union Européenne. Richard Ferrand et quelques anciens Présidents de l’Assemblée Nationale ont pour leur part produit une tribune allant dans le même sens. Les populistes ont tous les défauts. Mais plutôt que de s’interroger sur l’excès d’élitisme des partis traditionnels (et de la construction européenne), on sent bien que la logique penche plutôt vers une remise en cause accrue de la démocratie.
Lorsqu’Emmanuel Macron, à l’automne, a concédé qu’il n’était pas parvenu à réconcilier les Français avec leur classe dirigeante, on s’était dit qu’il avait compris.
Depuis de trop nombreuses années, les élites françaises méprisent la démocratie et considèrent que le pays doit être dirigé sous un despotisme éclairé. On fait le bien du peuple sans lui demander son avis et en ne le consultant pas sur les grandes options dont il aurait besoin. Le contournement du referendum de 2005 sur le traité européen en a donné la parfaite illustration : le Parlement s’était empressé d’adopter le traité de Lisbonne qui reprenait pour l’essentiel les dispositions du traité constitutionnel qu’une majorité de Français avait repoussées quelques années auparavant.
Imposer l’Union Européenne et ses constructions bizarres malgré le choix des électeurs, telle est la conviction des élites en France et dans quelques autres pays. Nier systématiquement tous les inconvénients de cette construction, que ce soit sur le futur de l’industrie française ou sur le pouvoir d’achat, tel est le credo imposé à coups d’accusation et de bannissements contre les « eurosceptiques » et les « populistes ».
Montée des populistes ou stratégie du clivage ?
On pensait donc qu’Emmanuel Macron avait compris et qu’il ferait œuvre utile pour « raccommoder », pour panser les plaies, en reconstruisant patiemment une cohésion dans le pays, et en utilisant la campagne pour les européennes sur cette voie salutaire.
Et puis rien ! depuis plusieurs semaines, En Marche mène essentiellement campagne en rejouant la tactique de 2017 : d’un côté, la lumière, et de l’autre l’ombre. D’un côté, la civilisation marcheuse, de l’autre la barbarie populiste. C’est front contre front, et qu’importe si aucun projet européen n’est expliqué aux Français. L’enjeu est de faire levier sur les électeurs en leur demandant de choisir entre la respectabilité des marcheurs et l’infamie du populisme.
Cette semaine constitue probablement le summum de cette stratégie où l’électeur subit l’ultimatum plébiscitaire: soit il est pour le camp du bien, c’est-à-dire pour Macron, soit il n’est pas pour Macron et il est alors dégradé existentiellement.
Il n’existait évidemment pas meilleure façon de faire monter le populisme, dans une sorte de suicide partisan où l’on nourrit un mal pour pouvoir mieux le dénoncer et chercher une majorité contre lui.
Supprimer le droit de vote, le rêve intime des élites
D’une certaine façon, on peut remercier Emmanuel Macron de pousser le raisonnement jusqu’au bout, car il en dévoile le substrat philosophique, le sens ultime et profond.
Dans la conception de la société portée par les élites, le droit de vote des petites gens, des profanes, du tiers état, est un mal à peine nécessaire. On parle aujourd’hui de « populistes » comme la noblesse d’Ancien Régime parlait de « manants » ou de « roturiers ». Il s’agissait d’une catégorie d’individus au statut second, infériorisé. Le manant, le paysan sous Louis XVI, ne pouvait prétendre à la majorité politique. Dans l’anthropologie de cette époque, seule une minorité éduquée (qui pouvait inclure quelques bourgeois), était capable de participer aux décisions.
La noblesse d’Ancien Régime se présentait alors comme la garante de la paysannerie. Elle devait décider pour elle, à sa place, car elle seule comprenait ses intérêts à long terme, et elle seule était capable d’en faire la synthèse avec les préoccupations du pays.
Les élites françaises ont repris à leur compte ce raisonnement implicite. Il faut savoir décider malgré les populistes, par-delà le populisme pour concilier l’intérêt général dont les élites se considèrent comme les interprètes officielles, et les intérêts particuliers des Français.
Ce rôle quasi-messianique que les élites s’attribuent n’ose pas avouer sa nostalgie pour le bon vieux temps où la citoyenneté n’existait pas. Mais si l’on pouvait, d’un coup de baguette magique, retirer le droit de vote au petit peuple des populistes, des souverainistes, des nationalistes, quel bonheur ce serait ! et quel saut dans la démocratie !
Article écrit par Eric Verhaeghe sur son blog