Réseaux sociaux : Tu ne dénigreras point ton employeur !

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Par Stephanie Heulin Publié le 4 novembre 2014 à 4h56

Dans un arrêt en date du 13 mai 2014, la Cour d'appel de Rennes a condamné une ancienne salariée, qui plus de deux ans après avoir été licenciée – et alors qu'un litige sur des droits d'auteur l'opposait encore à son employeur – avait publié, sur le réseau social Twitter, des propos injurieux à l'encontre de celui-ci (CA Rennes 13 mai 2014, n° 12-07372).

La Cour a considéré que « le préjudice en résultant [pour l'entreprise] est une atteinte à l'image de l'entreprise » et, sur le fondement de l'article 1382 du code civil, a condamné l'ex-salariée pour ces faits « pouvant être qualifiés de dénigrement » au paiement de cinq mille (5.000) euros de dommages et intérêts ainsi qu'à la somme de cinq mille (5.000) euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Le contentieux en matière de réseaux sociaux se développe de plus en plus. A cet égard, la troisième étude sur l'utilisation des réseaux sociaux sur le lieu de travail, réalisée par le cabinet Proskauer et publiée courant juin 2014, révèle – dans le cadre d'un audit réalisé auprès de seize pays d'Europe, d'Amérique et d'Asie – que 70% des entreprises interrogées ont pris des mesures disciplinaires à l'encontre de salariés ayant fait un usage abusif des réseaux sociaux. L'enquête indique que ce taux a doublé depuis 2012.

La Cour de cassation, via sa première chambre civile, s'est prononcée pour la première fois en 2013 sur la qualification d'injures diffusées sur des réseaux sociaux, par une ancienne salariée assignée par son ancien employeur (Cass.1ère civ., 10 avr. 2013, n°11-19.530).

Elle a considéré que les propos tenus ne sont pas constitutifs d'injures publiques « après avoir constaté que les propos litigieux avaient été diffusés sur les comptes ouverts (...) tant sur le site Facebook que sur le site MSN, lesquels n'étaient en l'espèce accessibles qu'aux seules personnes agréées par l'intéressée, en nombre très restreint, [lesquelles] formaient une communauté d'intérêts (...)».

Tout ne serait alors qu'une question de paramétrage ...

La Cour d'appel de Lyon dans un arrêt du 24 mars 2014, a retenu comme étant fondé sur une cause réelle et sérieuse – mais sans toutefois reconnaître la qualification de faute grave – le licenciement du salarié, qui « en n'activant pas les critères de confidentialité de son compte Facebook a pris le risque que ses propos, qu'il pensait privés soient accessibles à d'autres salariés de la société eux même titulaires d'un compte Facebook ». Les propos ainsi publiés sont jugés peu flatteurs pour l'entreprise par les juges qui considèrent qu'ils ont excédé le droit à la liberté d'expression de leur auteur (CA Lyon 24 mars 2014 n° 13-03463).

Il est certain qu'en application de ces critères de confidentialité, l'usage du réseau social Twitter expose davantage les titulaires de tels comptes aux poursuites disciplinaires, pénales et indemnitaires. En effet, le réseau social Twitter – tel qu'il l'est d'ailleurs précisé sur le site – a pour objectif de « partager des informations avec le monde entier ». Le site indique encore que « la plupart des informations que vous nous fournissez sont des informations que vous souhaitez rendre publiques », « par défaut, les informations que vous fournissez restent presque tout le temps publiques » et alerte sur l'usage qu'il peut faire de ces publications, en terme notamment de publicité et de diffusion auprès « d'un large éventail d'utilisateurs, de clients et de services » ... Ainsi sur Twitter, la confidentialité, si elle reste possible par le biais d'un seul paramètre (contrairement au réseau Facebook où les conditions et paramètres de confidentialité sont multiples) n'est pas le but poursuivi par le site ni la majorité de ses utilisateurs qui mesurent leur côte de popularité ou leur influence, au nombre de leurs followers.

L'affaire de l' « @EquipierQuick » qui avait fait couler beaucoup d'encre dans la presse courant 2013, en est une parfaite illustration. Pour mémoire, il s'agissait d'un salarié d'un établissement de restauration rapide de l'enseigne Quick, qui, sous le pseudonyme @EquipierQuick, déplorait ses conditions de travail sur Twitter. La société Quick a très rapidement eu vent de ses tweets. Le salarié a été licencié pour faute grave et poursuivi pour diffamation par son employeur.

Ainsi, l'employeur dispose de plusieurs moyens pour lutter contre le « mauvais » usage des réseaux sociaux par ses salariés.

Il peut tout d'abord limiter l'accès aux sites sur les lieux de travail. Il peut aussi mettre en place un système de surveillance. Pour cela il doit impérativement consulter son comité d'entreprise, le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, ou encore ses délégués du personnel. Les salariés doivent eux-mêmes en être informés et l'entreprise doit veiller à la préparation d'une charte informatique et insérer dans son règlement intérieur les mesures disciplinaires qu'ils pourraient envisager en cas d'abus. De même une déclaration auprès de la Commission nationale de l'informatique et des libertés est nécessaire.

En cas d'abus et selon les faits propres à chaque cas d'espèce, une procédure de licenciement pourra être envisagée, tout en sachant que les tribunaux ne retiennent pas facilement, en la matière, la qualification de faute grave (cf. arrêt de la CA de Lyon précité et CA Pau 13 juin 2013, n° 11-02759).

Enfin, l'employeur dispose de plusieurs moyens d'agir en justice.

Si l'utilisation litigieuse des réseaux sociaux par le salarié porte une atteinte personnelle à l'employeur (personne physique ou morale), il pourra agir en diffamation. Au terme de l'article 29 de la Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, la diffamation est constituée par « toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé ».

L'article 32 de cette même Loi punit la diffamation publique, constitutive d'un délit, d'une amende de 12.000 euros.

La diffamation non publique est-elle constitutive d'une infraction, visée aux articles R.621-1 et R.621-2 du Code pénal, et punie d'une amende prévue pour les contraventions de 1ère classe (38 euros).

L'employeur a également la possibilité d'agir contre son (ancien) salarié pour injures. Là encore c'est la Loi du 29 juillet 1881 qui s'applique et définit, en son article 29, le délit d'injure publique : « expression outrageante, terme de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait ». De même que pour la diffamation, l'injure, selon qu'elle est publique ou pas, est constitutive d'un délit ou d'une contravention.

Ces infractions, dites infractions de presse sont prescrites par trois mois à compter de la date de dernière publication des propos litigieux.

Si en revanche l'atteinte ne vise uniquement qu'un produit ou un service de la Société, l'employeur sera fondé à agir sur le fondement de la responsabilité de droit commun (article 1382 du Code civil). Il s'agira alors de dénigrement, lequel est caractérisé par des propos tenus intentionnellement et publiquement dans le but de jeter le discrédit sur une personne physique ou morale par la critique de ses produits, activités, marques, services, etc...

Dans ce cas précis, l'employeur disposera de la prescription de droit commun de cinq ans pour agir.

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Stéphanie Heulin exerce en droit social. Elle assiste des clients français et internationaux dans toutes leurs opérations structurantes et liées à la vie de leurs sociétés.Avant de rejoindre Homère, Stéphanie était juriste en droit social au sein du cabinet Akléa (2012-2013) où elle intervenait au sein du département « Social, ressources humaines et mobilité internationale » tant en conseil dans le cadre de l'accompagnement et la création d'outils destinés à la DRH d'entreprises dans le suivi des relations individuelles et collectives du travail (vie du contrat, PSE, élections professionnelles, négociations, etc...) qu'en contentieux dans le cadre de la mise en place et du suivi de contentieux prud'homaux. Auparavant, Stéphanie a exercé la fonction de directrice du personnel puis de directrice des ressources humaines de 2000 à 2012 au sein de plusieurs entreprises d'envergure comme, notamment, Groupe OGF (6.300 salariés, dont 1.600 salariés sous la responsabilité de Stéphanie) ou Segula technologies (4.500 salariés, dont 1.000 salariés sous la responsabilité de Stéphanie).  

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