Aujourd’hui, il est plus facile de trouver un client qu’un employeur. Moins iconoclaste qu’il n’y paraît, cette affirmation suffit à résumer la profonde et irréversible mutation actuelle du travail.
D’un côté, les entreprises, en quête d’agilité, souhaitent pouvoir faire appel à des renforts ponctuels, le temps d’un projet ou d’un pic d’activité ; de l’autre, les individus aspirent à de plus en plus d’autonomie dans leur vie professionnelle sans pour autant vouloir renoncer aux avantages d’une protection sociale collective. Cette « flexisécurité », aux allures d’équation insoluble, bénéficie depuis peu d’un outil supplémentaire : le portage salarial.
L’une des dispositions les moins controversées de la loi El Khomri a été de parachever le processus de règlementation de cette activité lancé il y a quelques années. Le portage salarial consiste à introduire entre l’entreprise et son prestataire indépendant un tiers-employeur de façon à convertir les honoraires de ce dernier en salaire. Désormais, le dispositif dispose d’un cadre juridique clair, qui en pose les limites et définit les obligations de chacun. Il exclut ainsi les services à la personne (encadrés par ailleurs) et les bas salaires (pour éviter une externalisation massive de la main d’œuvre peu qualifiée) mais concerne plus de 200 métiers de prestations intellectuelles, du marketing à l’immobilier, de l’ingénierie à la formation, du graphisme au coaching…
Plus développé chez certains de nos voisins européens, le portage salarial existe en France depuis une vingtaine d’années. Le secteur représente aujourd’hui près de 700 M€ de chiffre d’affaires annuel, pour environ 200 sociétés porteuses et 70 000 consultants portés, et affiche une belle croissance de 20 % par an. Mais la fin d’un certain flou réglementaire, et le soutien désormais affiché des pouvoirs publics, vont certainement donner un coup de fouet à la profession, qui a de nombreux atouts à faire valoir tant auprès des portés que de leurs clients.
Beaucoup de cadres expérimentés, par exemple, n’ont pas toujours conscience du potentiel commercial de leurs compétences. Ou bien surestiment la complexité de se mettre à son compte. Il existe pourtant, en France, tout un éventail de dispositifs très complémentaires qui répondent à la diversité des situations, des besoins et des projets professionnels. Le choix s’effectuera notamment en fonction du volume d’activité et du niveau de couverture sociale escomptés. Le statut d’autoentrepreneur offre ainsi une protection minimale pour des charges faibles, l’entreprise individuelle une protection moyenne pour des charges modérées, et le portage salarial l’excellente protection des salariés (couverture maladie, retraite par répartition, assurance chômage…) pour des charges plus importantes.
À cet avantageux statut de salarié, le portage ajoute une grande simplicité administrative. L’indépendant n’a à gérer ni URSSAF, ni TVA, ni comptabilité, et il sait d’emblée combien il va gagner. Il peut se concentrer sur son métier et la réalisation de ses missions. Par ailleurs, la société de portage propose fréquemment à ses consultants des services complémentaires (assistance juridique de fait, espace de coworking, accompagnement des débutants, networking…) qui leur apportent le lien, le soutien et les opportunités qui font parfois défaut à une activité en solitaire.
Enfin, le recours au portage peut même devenir un argument commercial car, grâce aux récentes dispositions réglementaires, le principe du tiers-employeur est désormais regardé d’un œil très favorable par les entreprises. En effet, le portage salarial les sécurise juridiquement vis-à-vis de leurs prestataires en éliminant notamment le risque de délit de marchandage ou de recours en requalification. Et les services achats apprécient de signer des contrats en bonne et due forme, garantis par une structure reconnue.
Dans le grand bouleversement de l’organisation et des modes du travail que nous connaissons, le portage salarial ne prétend pas être l’unique solution aux problèmes du chômage. Mais à l’heure où la question de savoir comment encadrer et encourager les nouvelles formes de travail tout en préservant notre modèle social s’annonce comme un des sujets clés du prochain débat présidentiel, il constitue une solution opérationnelle, robuste et efficace qu’il convient de ne pas oublier.