Chapitre 2 : Le Nouveau Google
Rand Hindi est ce genre de type qui sait ce qu’il veut. Et manifestement, ça ne date pas d’hier. A huit ans déjà, n’en déplaise à ses grands-parents, il savait qu’il ne ferait pas sa première communion, sauf à ce qu’on lui prouve par A+B l’existence de Dieu. De communion il n’y eut pas. A quinze, il voulait quitter son lycée. Ses parents non. Qu’à cela ne tienne ! Il ne bossera plus, sa moyenne chutera et il rentrera, lui le surdoué en sciences, dans la peau du bad boy local jusqu’à ce que la direction du lycée Lubeck le vire. A dix-huit, il ne veut plus suivre les cours, trop lents pour lui. Parlementations parentales, accord paternel: il passera son bac en candidat libre, qu’il obtiendra. On refuse sa candidature à l’UCL5 ? Il prendra un Eurostar et débarquera comme une fleur à Londres, direction le bureau du responsable des admissions à qui il fera croire qu’une entrevue est prévue. Résultat: on l’inscrit en cycle bachelor.
Non, Rand Hindi n’est vraiment pas du genre à rigoler, encore moins quand il a une idée en tête. A croire que le mot détermination a été créé pour le caractériser. Il n’y a qu’à voir son regard perçant, ses yeux hypnotiques qui ressortent de son visage anguleux, tracé au cordeau par une barbe toute moyen orientale. Il n’y a qu’à entendre le son de sa voix, à la fois posée et tranchante, qui ciselle les mots qui lui sont chers. Jeune, il l’est. Avenant, aussi. Conscient de ses atouts, certainement. Qu’importe tout cela ? Sous des dehors amènes, Rand est un jusqu’au-boutiste, un de ces êtres animés profondément par une tension primale, capables d’aller au fond du fond d’eux-mêmes pour défendre une idée. Quelqu’un dont la volonté est manifeste, le caractère trempé.
Rand, l’informatique, il est tombé dedans tout jeune. Issu d’un milieu favorisé, il a reçu son premier ordinateur à 7 ans, et on l’a tout de suite encouragé à s’en servir. A 10 ans, il codait déjà pour bidouiller les jeux vidéos sur lesquels il passait ses soirées, et s’offrir des crédits de vie supplémentaire. A 14 ans, il développait avec un camarade un mini réseau social, PlanetUltra, très prisé des jeunes ados BCBG de l’Ouest parisien; à 15 ans, il réalisait pour le compte de boites françaises des mini sites internet: c’était sa manière à lui de se faire de l’argent de poche.
L’informatique est pourtant restée au stade du jeu, de la distraction, jusqu’à son arrivée à Londres où, il profita de ses études pour prendre des cours de machine learning, de physique des particules, et de bio-informatique. Dans cette dernière matière, il est jugé tellement bon en année de licence (il est noté 98% sur la matière avec l’annotation “Too good to be true. Did you cheat ?”) que - chose exceptionnelle - son prof lui propose de quitter son bachelor pour intégrer directement un PhD (un doctorat). Le sujet ? Comment déterminer la structure tridimensionnelle d’une molécule à partir de la séquence d’ADN qui lui correspond. Rand n’est alors âgé que de 21 ans. Tête dure sans aucun doute. Tête bien faite indiscutablement.
Trois ans passent en un clin d’oeil. Swinging London et autres facéties estudiantines. A six mois de rendre sa thèse, se pose pour Rand la question que se posent tous les futurs entrants sur le marché du travail : et maintenant, on fait quoi ? Il parait que c’est classe de travailler dans un fond d’investissement, alors pourquoi pas un fonds ? Il obtient un rendez-vous avec l’équipe d’un fonds. Verdict: Mr Rindi vous êtes brillant mais vous ne pourrez jamais rentrer et vous fondre dans une culture corporate, a fortiori dans notre fonds. Le doute.
Extraits de "Le génie français n'est pas mort", de Jean-Baptiste Vallet. Ed. Cherche-midi