Dans le secret des délibérations s’élabore en ce moment un nouveau texte réglementaire portant sur la composition des engrais agricoles et leur teneur, notamment, en métaux lourds. Sur fond de progrès de l’écologie dans l’opinion et dans les urnes, les nouveaux seuils n’auront pas seulement un impact environnemental, ils conditionneront la rentabilité de notre agriculture et l’indépendance alimentaire de la France et de l’Union européenne.
Le 23 février 2019, en visite au Salon de l’Agriculture, Emmanuel Macron déclarait : « Le vrai risque qui guette l’agriculture européenne, c’est notre dépendance aux importations d’engrais phosphatés russes. (…) C’est ça le risque, c’est progressivement notre dépendance à l’égard d’une ressource indispensable venant d’autres continents, d’autres puissances, notre dépendance pour notre propre production et notre souveraineté alimentaire à l’égard d’autres continents, d’autres puissances qui n’ont plus rien à voir avec la PAC ou une concurrence au sein de l’Europe. Mais dont les intérêts profonds peuvent être et seront immanquablement, à la fin, divergents. »
Un an plus tôt, les États généraux de l’alimentation plaçaient la sécurité alimentaire au centre de leurs discussions : en cause, notamment, les intrants agricoles et leur composition. Premiers visés, les métaux lourds présents dans les engrais agricoles dont une teneur trop élevée se retrouve au stade final de la chaîne alimentaire et contamine l’homme. Mais, comme le rappelait Emmanuel Macron, l’innocuité et la préservation de l’environnement ne sont pas les seuls enjeux des normes européennes. En coulisse, pèsent aussi les impératifs économiques et stratégiques.
Selon un chercheur spécialiste des engrais, « la nouvelle réglementation est plus stricte, plus protectrice pour les métaux lourds (ETM) puisqu’on a plutôt une baisse des teneurs autorisées.
L’arsenic a été augmenté puisqu’en fait, avec la norme française (NFU), nous étions à 18mg/kg de matière sèche. Aujourd’hui, on est à 40. Il y a aussi le zinc qui a augmenté. Sur les autres ETM, on est soit pareil soit plus bas. »
Mais la transition de la nouvelle règlementation européenne en France ne se joue pas que sur la quantité de métaux lourds : « ce qui est important aussi ce sont les flux qui sont épandus. Dans les NFU, il y a deux aspects : la concentration en ETM du produit et les flux épandus sur dix ans avec une limite annuelle. »
Concernant un autre métal lourd, le cadmium, le seuil de 60 mg par kilo de produit phosphaté va être abaissé progressivement à 40 mg à partir de 2022 puis à 20 dans une dizaine d’année. Selon le même expert, « cela va se faire progressivement afin de prendre en compte les problèmes d’approvisionnement en engrais phosphaté. » Outre le cadmium, le cuivre est également visé par la future règlementation : « dans l’agriculture bio et la viticulture, il est utilisé en pesticide et a tendance à s’accumuler dans les sols si on en met trop. Mais le passage entre le compartiment sol et le compartiment plante est excessivement complexe et il n’y a pas de relation directe. Ce n’est pas parce qu’un sol est riche en ETM qu’on va forcément avoir des niveaux de contamination importantes dans les cultures. Il y a toute une chimie des éléments dans le sol, d’interaction avec la matière organique, le ph du sol qui joue, etc. »
Une complexité qui se retrouve aussi dans l’écriture du nouveau règlement qui tarde à sortir. Pour l’instant, peu d’informations filtrent du ministère de l’Agriculture. Même les acteurs du secteur sont dans le flou. Du côté de la FNSEA, la position est claire. Pas question d’accepter un surcoût écologique à n’importe quel prix. Henri Bies-Péré, le vice-président du syndicat prévient : « Chaque fois qu’on installe en France un dispositif qui vient alourdir nos charges, forcément on rend notre agriculture encore moins compétitive et le résultat c’est qu’on a moins de productions et plus d’importations. »