Rappelons-nous les changements rapides de ces dernières décennies.
La mondialisation des échanges entraîne un partage international des productions industrielles avec l’ouverture à l’économie de marché de grands pays comme la Chine et l’Inde après les « dragons » asiatiques.
Le développement des technologies numériques fait de la planète un « village global » où les hommes sont reliés les uns aux autres, pour le meilleur et pour le pire.
La financiarisation de l’économie nous fait mesurer tout effort humain à l’aune de sa valeur marchande chiffrable et fait disparaître des radars tout ce qui est gratuit.
Enfin le risque de changement climatique et, plus largement, la détérioration de l’environnement pourraient conduire in fine à la destruction de l’humanité en son sein.
De cet ensemble, ressort tout d’abord le constat d’un déplacement des poids relatifs des différentes régions du monde, les pays dits industrialisés devenant minoritaires dans la répartition du PIB mondial et les pays les moins avancés enregistrant les taux de croissance les plus rapides. Ainsi selon ces tendances, le rapport des PIB des pays développés et des pays en développement passerait de 73/27 % en 2007 et 58/42 % en 2014 à 20/80 % en 2030 avec un PIB multiplié par 3 par rapport à 2014.
Pour l’accès aux ressources nécessaires et les émissions de gaz à effet de serre en découlant, on ne peut qu’être très inquiets. Les tensions connues en 2007-2008 se sont un peu atténuées du fait de la crise qui a ralenti les économies occidentales, entraînant les pays fournisseurs dans ce mouvement de baisse. Mais elles ressurgiront inéluctablement et rapidement, si rien ne change profondément.
Dans ce scenario, les violences se feront plus fortes, entre populations aspirant à davantage de bien-être apporté par le développement économique et social, y compris dans nos pays, et pays ou élites devenant cibles de leur pression. Le climat en sera une composante, du fait des conséquences dramatiques que peuvent avoir ses dérèglements sur la vie de millions de personnes vivant dans des zones menacées par la montée des eaux, la désertification ou les ouragans. Des décisions imposées par la force ne pourraient qu’en résulter.
Face à ces risques, que devons-nous envisager ? Tout d’abord, en tant que chrétiens, nous reconnaissons à chaque homme une égale dignité et un droit au développement intégral de toutes ses dimensions, matérielles et spirituelles. Le monde que nous avons à bâtir ne se fera donc que par l’accès de tous aux conditions de cette dignité humaine essentielle. Ensuite, chaque personne étant libre, nous souhaitons que l’organisation de la société permette l’exercice de cette liberté créative et donne l’occasion à chacun d’exploiter ses talents.
Enfin, nous savons que l’homme n’est pas fait pour vivre seul, mais en relation avec ses frères humains. En conséquence, il doit travailler au bien commun, à la réalisation collective d’un monde plus juste et plus fraternel. Ceci l’oblige à se préoccuper de l’avenir de la planète, de l’humanité toute entière, car « tout est lié » comme le martèle le Pape François dans Laudato Si’. Et à trouver les moyens de rendre le développement des plus pauvres compatible avec la préservation de tout ce qui nous entoure, l’environnement au sens plein, qui inclut la culture.
Ceci n’est pas simple, même s’il « s’agit simplement de redéfinir le progrès »… Cela passe sans doute par des décisions sur nos systèmes comptables, comme les faillites retentissantes ont conduit à mettre en place une surveillance des risques « hors bilan » renforcée, et comme les crises financières ont amené à revoir les ratios prudentiels des banques et assurances. De la même façon, on ne peut « gérer » les gaz à effet de serre ou la raréfaction de certaines ressources sans les mesurer par des indicateurs applicables à tous.
Une première étape pourrait consister à rendre obligatoires au plan international des projections « hors bilan » de ces externalités à long terme, sur une base de prix théorique suffisamment élevée pour entraîner des décisions responsables visant à réduire volontairement leurs impacts … Ensuite, taxer le charbon seul ne suffit pas : il est peu probable que tous les pays adoptent cette mesure. Mais taxer équitablement toutes les émissions de carbone en fonction des risques sur le climat serait indiscutable, à condition de ne pas alourdir les prélèvements sur l’économie. Et simultanément, nous devons faire évoluer les modes de vie concrètement, en rapprochant les productions (alimentaires, industrielles et de services) des centres de consommation, et en promouvant l’économie circulaire et les économies d’énergie globales (incluant l’énergie importée ou de transport et distribution).
Alors… Est-ce que le climat peut changer le capitalisme ? Nous, dirigeants chrétiens, croyons à un nouveau capitalisme qui repose sur le sens donné à l’entreprise et son utilité sociétale de même que sur l’appel à la participation active de chacun aux défis du progrès, en vue de la soutenabilité de l’économie mondiale et la durabilité de l’entreprise. Les entrepreneurs, leurs collaborateurs et toutes les parties prenantes de l’entreprise sont dans le même bateau, comme nous sommes tous dans le même vaisseau planétaire ! Chacun à son poste est responsable de la réussite de tous. Et c’est la seule façon de s’assurer que le résultat soit « humain », c’est-à-dire conforme à la dignité et à la liberté.