Le cancer de la mondialisation :  l’inversion des normes sur la planète

Par Bertrand de Kermel Publié le 4 octobre 2016 à 5h00
Mondialisation Lois Inversion Normes Legislatives
@shutter - © Economie Matin
400La France signe entre 250 et 400 accords par an.

Une inversion des normes est en train de s’instaurer à toute vitesse au niveau mondial. Les Chefs d’Etats (y compris le président de la France) le savent très bien et ils approuvent. C’est de l’inconscience, car c’est notre civilisation qui est en cause.

Deux exemples, tirés de l’accord de libre échange « Canada / Union Européenne », encore dénommé CETA ou AEEG, illustrent cette affirmation. Voyons d’abord l’article 23.3 point 2 du CETA. Il précise que « chaque Etat s’engage à mettre en place des normes de travail minimales acceptables pour les salariés, y compris pour ceux qui ne sont pas couverts par une convention collective ».

Première réaction : bravo ! Excellent ! Une petite question cependant : que se passe t-il si un Etat ne tient pas cet engagement ? Réponse : Rien. L’autre Etat ne peut en aucun cas refuser l’importation d’un produit sur son territoire pour cette raison, même si cela conduit au dumping social. L’engagement est en fait purement facultatif. Il n’est pas sanctionnable. C’est de la poudre aux yeux.

Dans le CETA, tous les engagements contenus dans les chapitres 23 (commerce et travail) et 24 (commerce et environnement) sont facultatifs. On peut s’asseoir dessus, il ne se passera rien. Voyons ensuite l’article 8.5 point 1 du même CETA (l’un des chapitres sur le commerce). Il interdit à la France de demander aux entreprises (françaises ou étrangères) d’acheter, ou de privilégier une marchandise ou un service produit en France. (Circuit court).

Si la France demande néanmoins un tel engagement, au nom de l’emploi et de la cohésion sociale, une entreprise Canadienne installée en France pourra immédiatement engager un procès à l’Etat français. Le tribunal spécial supra national spécialement créé dans le CETA pour les investisseurs étrangers condamnera la France à de lourds dommages et intérêts. Dans cet exemple, le chômage et la cohésion sociale seront des arguments irrecevables. Ils ne seront même pas lus par les arbitres.

Il y a pire. Si, au même moment, cette entreprise Canadienne importe en France un produit fabriqué au bout du monde par de véritables esclaves, au mépris de la Convention de l’ONU de 1948, la France ne pourra pas s’y opposer à peine d’un deuxième procès. Tant pis si cela crée des fermetures d’entreprises. Nous sommes bien devant une détestable inversion des normes.

Le Commerce et l’investissement (l’argent), sont hissés au rang de finalité dans la mondialisation, car les engagements les concernant sont contraignants. De son côté, l’Homme devient simple un moyen, puisque tout ce qui le concerne est facultatif. Idem pour l’environnement (dont le climat !) qui est réduit à un simple coût à minimiser au maximum. L’économie n’est plus au service de l’Homme. C’est le contraire. Cette inversion des normes sera irréversible dans la mondialisation. Beau projet de société et de civilisation pour les jeunes en quête de sens.

Que se passe t-il en ce moment même ?

Sous la pression des lobbies, la consolidation de la mondialisation, (sur le modèle scandaleux décrit ci-dessus) avance à toute vitesse. Outre le TTIP (UE/Usa) le CETA (UE/Canada), et le TISA (services) 16 projets d’accords bilatéraux sont en projet ou en cours au niveau de l’Europe. A terme, c’est 70% du PIB mondial qui sera couvert.

Que peut-on faire à minima ?

Il faut que 100% des clauses de l’accord Canada (CETA), dont celles concernant l’Homme et l’environnement, soient engageantes et sanctionnables, et pas seulement celles concernant l’argent et le commerce. L’Homme doit redevenir la finalité, et le business redevenir un moyen. Et cela, dans les 18 accords qui suivront le CETA.

C’est encore possible. Lors de la signature du CETA par les Chefs d’Etats Canadien et européens, (à la fin de ce mois d’octobre 2016,) il est prévu une déclaration commune (actuellement en cours de discussion), qui aura valeur contraignante, sensée interpréter le texte, voire le compléter. Celle-ci est en cours de discussion.

Le Comité Pauvreté et Politique a proposé au Ministre du Commerce extérieur d’insérer la phrase suivante dans cette déclaration commune : « En cas de différend portant sur les chapitres 23 (commerce et travail) et 24 (commerce et environnement) et si, malgré les efforts réels et vérifiables des parties pour trouver une solution, le différend s’avère insoluble par la voie amiable, il est alors réglé selon les modalités prévues à la section C du chapitre 29 ». (C’est à dire le système d’arbitrage prévu pour les clauses commerciales).

Si la France ne parvient pas à l’obtenir … mais si le Président de la République signe quand même le CETA, il aura accompli un acte de soumission aux lobbies indéfendable, et aura durablement D’autant plus indéfendable que dans l’accord de libre échange transpacifique, signé par les américains et les asiatiques en février dernier, 100 % des clauses (y compris celles concernant l’Homme et l’environnement) sont contraignantes et sanctionnnables. C’est aussi le cas de l’accord Etats Unis / Corée, du sud (dénommé Korus) entré en vigueur en 2012. Alors ?

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Ancien directeur général d'un syndicat patronal du secteur agroalimentaire, Bertrand de Kermel est aujourd'hui Président du comité Pauvreté et politique, dont l'objet statutaire est de formuler toutes propositions pour une "politique juste et efficace, mise délibérément au service de l'Homme, à commencer par le plus démuni ". Il est l'auteur de deux livres sur la mondialisation (2000 et 2012)

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