La vérité sur la vraie libération fiscale

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Par Jacques Bichot Publié le 1 août 2017 à 5h00

C’est une institution estivale : chaque été, divers instituts (Contribuables associés, IFRAP, Institut économique Molinari) sonnent le tocsin de la « libération fiscale ».

Cette année, « La libération fiscale approche pour les Français » titre Le Figaro du 27 juillet, qui consacre presque deux pages à rendre compte des calculs de l’Institut Molinari. Il est précisé « à partir du 29 juillet, chacun travaillera pour soi mais plus pour financer, via ses impôts et cotisations, l’État et la sécurité sociale ». Hélas ces arithméticiens amalgament les différents prélèvements obligatoires sans se soucier ni de ce à quoi ils servent, ni des différences qui existent entre eux.

Cette présentation est nocive. Elle résulte de la colonisation intellectuelle de think tanks prétendument de droite par des conceptions socialisantes. Elle repose en effet sur deux idées de base du socialisme : selon la première, la sécurité sociale est assimilable à l’État, comme l’indique la formule « État providence » ; et selon la seconde, l’État (et donc aussi la sécurité sociale) est un agent économique totalement extérieur à la sphère de l’échange.

Une telle dogmatique est d’autant plus prégnante qu’elle constitue une pétition de principe, un postulat ; elle conduit à réclamer moins d’État et non pas un État qualitativement différent – « mieux d’État », comme on dit parfois. Toute perspective de réforme du secteur public dans un sens libéral est exclue d’office ; la seule politique acceptable consisterait à confier au secteur privé la plus grande partie possible des fonctions actuellement remplies par l’État et la sécurité sociale.

Curieusement, les partisans de cette politique ont oublié la maxime stalinienne « ce qui est à moi est à moi, ce qui est à toi est négociable ». Tant que l’État lui-même ne sera pas converti, tant que les libéraux se résigneront à ce qu’il soit conçu et organisé de manière communiste, ils auront affaire à un organe formaté pour appliquer la formule de Staline. Même si les rênes de l’État sont théoriquement tenues par des hommes politiques de droite, ceux-ci feront une politique de gauche, comme leurs prédécesseurs soi-disant de droite l’ont fait pendant des décennies, et la croissance des services publics s’effectuera selon un modèle excluant la notion d’échange.

Réclamer une libération fiscale consistant à réduire la sphère étatique au profit du secteur privé n’a jamais débouché sur un changement conséquent ; au mieux, le rythme d’expansion de cette sphère est un peu ralenti, mais elle reste qualitativement inchangée. Ce projet mollasson, qui n’ose pas prôner la révolution conceptuelle dont pourrait découler un véritable changement organisationnel, est vain, nous le constatons décennie après décennie. Le seul projet réaliste est le plus ambitieux, celui qui vise à convertir l’État (au sens large, y compris l’actuel État providence) à l’économie d’échange.

Il ne faut pas se livrer à de laborieuses manœuvres destinées à faire légèrement reculer les lignes ennemies, par exemple en confiant au secteur privé telle ou telle fonction jusqu’alors remplie par une administration ; il convient de changer complètement de paradigme, en affirmant que l’État fait partie intégrante de l’économie d’échange – qui ne se limite pas au marché – et de réorganiser chaque service à partir de ce nouveau paradigme.

Le nœud gordien conceptuel qu’il faut trancher pour évoluer dans cette direction est la réduction de l’échange au marché. En 1988, Bertrand Lemmenicier fit paraître aux PUF Le marché du mariage et de la famille, livre qui contient de nombreux raisonnements économiques intéressants sur le fonctionnement de ces deux institutions. Je me suis demandé pourquoi ce collègue avait choisi le mot « marché ». J’ai d’abord pensé qu’il voulait indiquer de façon percutante le fait qu’il allait aborder les phénomènes matrimoniaux et familiaux avec les outils du raisonnement économique. Ce n’était pas faux, mais il y avait aussi autre chose : les économistes libéraux commençaient à ne plus concevoir les échanges autrement que par référence au marché.

Comme la famille, l’État et la sécurité sociale sont des institutions destinées à organiser certains échanges – des échanges qui ne sont pas « marchands », qui ne peuvent pas être analysés avec exactement les mêmes outils intellectuels que la bourse ou le marché des changes, mais qui n’en sont pas moins des échanges. Malheureusement, depuis les recherches de Lemmenicier et celles, dans le même domaine, de Gary Becker (prix Nobel 1992), une tendance s’est développée au point de devenir un dogme politiquement correct : il n’y aurait d’échange que marchand. C’est ce dogme dont nous devons aujourd’hui nous débarrasser si nous voulons comprendre quelque chose au fonctionnement du monde dans lequel nous vivons. C’est ce dogme qui est sous-jacent au mythe de la « libération fiscale ». C’est ce dogme qui nous empêche de réformer l’État et la sécurité sociale dans le sens d’une véritable logique d’échange.

La sécurité sociale et l’État produisent des services et les font payer ; ce ne sont pas des paiements de marché, indépendants de la personne qui ouvre son porte-monnaie, mais ce sont des paiements. L’analyse économique inclut d’ailleurs une branche, la théorie des prix discriminés, qui analyse les phénomènes de ce type. Le manque de jugeote des hommes politiques dits de droite – qui se sont alignés sur leurs homologues de gauche – a conduit à laisser assimiler les cotisations sociales et les taxes à des prélèvements obligatoires sans contreparties : c’est cette erreur qu’il faut corriger pour élaborer une conception libérale de la sécurité sociale et de l’État. La vraie libération fiscale ne consiste pas à ne plus payer de contributions à ces deux organismes, mais à les réformer de telle manière qu’il devienne clair que nous leur achetons des services – des services très utiles, dont les hommes politiques ont pour mission, notamment, d’améliorer le rapport qualité/prix.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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