La rémunération-partage, voie royale du plein emploi

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Par Jacques Bichot Publié le 4 janvier 2017 à 5h00
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10 %Depuis une quarantaine d'années, le taux de chômage en France évolue autour des 10 %.

Depuis une quarantaine d’années, le taux de chômage oscille en France autour de 10 %. Un point bas a été observé en 1990 (8,9 %), un point haut en 1994 (12,5 %), mais jamais depuis le début des années 1970 la France n’a connu une situation de plein emploi, comme par exemple le Danemark (chômage actuel 4,2 %, contre 10 % chez nous).

Il ne s’agit donc pas d’un problème conjoncturel, mais d’un problème structurel. Les politiques de l’emploi, qu’elles soient de droite, de gauche, ou du centre, n’ont guère plus d’effet que cautère sur jambe de bois. Ce problème lancinant ne sera visiblement pas résolu sans faire appel à des réflexions et à des propositions inédites.

Construire un cercle vertueux

Le point de départ de la réflexion utile à l’emploi est une vérité restée méconnue, malgré l’observation formulée jadis par Alfred Sauvy, et relayée depuis par quelques économistes atypiques tels que Michel Godet : l’emploi crée l’emploi. Autrement dit, un cercle vertueux est possible. Si par exemple l’industrie embauchait, faisant un pari sur l’avenir, ses nouveaux salariés achèteraient des services, des emplois se créeraient dans ce secteur, leurs titulaires achèteraient des produits industriels, et le pari serait gagné.

Certes, l’ouverture croissante de l’économie française sur le vaste monde complique ce processus : les achats des nouveaux embauchés peuvent consister en biens et services produits en Chine ou en Allemagne. La seule solution est la compétitivité des entreprises françaises soumises à la concurrence internationale. Autrement dit, il faut que nos entreprises proposent une bonne qualité sans que leurs prix soient dissuasifs. Et pour cela, elles ont besoin de salariés qui prennent leur part du risque encouru par la firme quand elle développe sa production. La participation aux bénéfices est une excellente chose, mais elle doit être complétée par une participation aux efforts réalisés pour produire et vendre davantage.

La notion de salaire intangible à la baisse bloque les projets de développement. Si le profit, quand il est au rendez-vous, est en partie distribué aux salariés, sans que les salaires participent réciproquement à la sécurisation de la capacité bénéficiaire, embaucher devient une imprudence. Le dynamisme de nos entreprises, et donc de l’emploi, requiert un partage plus équitable des bonnes et des mauvaises fortunes. La rémunération variable, en baisse comme en hausse, permettrait aux chefs d’entreprise de prendre davantage le risque du développement, de la conquête de nouveaux marchés, et de l’embauche. Aujourd’hui, pour beaucoup d’entreprises, le profit passe par une réduction des effectifs à production constante, plutôt que par une augmentation des effectifs et de la production. C’est principalement de là que vient notre situation de sous-emploi. Une dynamique de plein emploi ne se mettra pas en place sans une sorte de révolution dans les modes de rémunération.

Ce qu’est la rémunération-partage

La révolution salariale qui changerait la donne consiste dans son principe à négocier au niveau de chaque entreprise la part de la valeur ajoutée revenant au personnel. Soit par exemple une entreprise dans laquelle il serait convenu de consacrer aux salaires super-bruts, toutes cotisations sociales incluses, 66 % de la valeur ajoutée : une telle firme pourrait embaucher autant qu’elle le jugerait utile pour développer son activité, sans qu’il lui en coûte plus de 66 % de la différence entre ses ventes et ses achats. Et réduire les effectifs en licenciant ne constituerait plus la solution naturelle en cas de baisse du chiffre d’affaires : les salaires s’ajustant automatiquement à la baisse, le chef d’entreprise pourrait consacrer toute son énergie au redressement des ventes plutôt qu’à des plans de départs.

Comment, concrètement, les salariés seront-ils rémunérés dans un système de rémunération-partage ? Chacun se verrait attribuer un nombre de points, comme cela se pratique dans bon nombre de conventions collectives. Mais la valeur du point dépendrait complètement des performances de l’entreprise : si par exemple le total des points dans l’entreprise E est 50 000, si la valeur ajoutée mensuelle s’élève à 10 M€, et si 66 % de cette VA doit revenir aux salariés, 6,6 M€ seront répartis à raison de 132 € par point (6 600 000 € /50 000).

L’adoption de cette rémunération-partage abolirait toute possibilité d’augmenter les profits en supprimant des emplois. La croissance des bénéfices ne pourrait plus s’effectuer qu’en développant l’activité de l’entreprise, en vendant et en produisant davantage. Depuis environ 4 décennies, pour maintenir ou augmenter les bénéfices il faut plutôt aller dans le sens des réductions d’effectifs et du malthusianisme économique, en ne conservant que les productions les plus rentables ; désormais, la recherche du profit maximal passera par le développement de la valeur ajoutée (davantage de production et de qualité) : elle sera enfin favorable à l’expansion et à l’emploi.

Actuellement, une entreprise n’a intérêt à embaucher que si la personne engagée produit une valeur ajoutée très supérieure à sa rémunération. Dans un régime de rémunération-partage, il est profitable d’embaucher dès que la présence du nouveau salarié augmente, si peu que ce soit, la valeur ajoutée. Les portes des entreprises s’ouvriront donc en grand. Des millions de personnes, dont l’embauche constituerait une erreur de gestion dans le système actuel, deviendront rentables avec la nouvelle formule, et de ce fait obtiendront un emploi.

Une fraternité active plutôt qu’une solidarité surannée

Mais, dira-t-on, ces embauches ne vont-elles pas se produire au détriment des anciens salariés, dont la rémunération se réduirait pour payer du personnel supplémentaire ? Observons d’abord que, si cela se produisait, ce ne serait pas pour autant inacceptable, sauf à refuser toute fraternité. Mais la rémunération partage, si elle risque effectivement d’entraîner une diminution des rémunérations super-brutes, se traduira également par une diminution des prélèvements sociaux, susceptible de préserver le salaire net. En effet, s’il y a 2 millions de travailleurs supplémentaires, les cotisations chômage seront réduites de plus de moitié, et les taux des autres cotisations ou contributions sociales pourront être revus à la baisse, puisque ces prélèvements seront répartis entre davantage de travailleurs.

De plus, la diminution du risque couru par les investisseurs entraînera une diminution de la prime de risque. Les entreprises pourront fonctionner en visant des marges moins élevées, et donc en distribuant à leurs salariés une part plus importante de la valeur ajoutée. Depuis les dernières années de la décennie 1980 la part des salaires super-bruts dans la valeur ajoutée se situe en France, pour les entreprises non financières, entre 66 % et 68 % ; dans les années 1960 et 1970, la fourchette était 70 % à 72 %. Avec le retour du plein emploi, et la diminution du risque pour les investisseurs, remonter à 70 % parait vraisemblable.

Une influence positive sur nos échanges extérieurs

La contrainte extérieure doit être prise nettement plus au sérieux qu’elle ne l’est depuis l’instauration de l’euro : considérer la monnaie unique comme le moyen de vivre sans se soucier d’équilibrer notre balance des paiements, et donc en accumulant une énorme dette vis-à-vis de l’étranger, est mauvais à long terme. Or, de ce point du vue, les effets de la rémunération partage devraient être très positifs : les entreprises françaises affecteront davantage de personnel à prospecter, vendre, assurer le service après-vente, sur les marchés extérieurs comme sur le territoire national, puisque la seule exigence pour créer un emploi de ce type sera qu’il accroisse, si peu que ce soit, la valeur ajoutée produite par l’entreprise.

Arrêter de faire de mauvaises réformes qui chassent les bonnes

Bien entendu, la rémunération-partage ne résoudra pas à elle seule tous nos problèmes. D’autres réformes sont nécessaires, comme celles que nous préconisons dans le domaine de la protection sociale. Puisse l’État cesser de multiplier les changements inutiles ou néfastes, comme le bouleversement de l’impôt sur le revenu par le prélèvement à la source, pour enfin engager les réformes réellement nécessaires pour redonner à notre pays la stature que plusieurs décennies de mauvaise gouvernance lui ont fait perdre.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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