Et si l’arrivée de Madame Lagarde à la tête de la BCE permettait de faire avancer le dossier d’une meilleure coordination à atteindre en matière de politique économique ? N’est-ce pas en Zone Euro que celles-ci sont d’ailleurs les plus attendues ? Et si la nomination de Madame Von der Lyen à la Présidence de la Commission européenne dévoilait les mutations en cours au sein de la politique allemande ?
Lagarde devrait s’inscrire dans le sillage tracé par Mario Draghi
Le contexte, économique et encore plus politique, plaide en faveur d’une poursuite de la baisse des taux longs. Du côté américain, sur fond de statistiques économiques américaines un peu tristounettes, le Président Trump fait le choix de nominer deux personnalités assez colombe (c’est-à-dire en faveur d’un réglage monétaire fondamentalement accommodant) pour occuper chacune un siège au Board de la Réserve fédérale à Washington. Le premier nominé, Christopher Waller, est le responsable de la recherche du district de Saint Louis de la Réserve fédérale. Son profil « classique » devrait lui permettre de passer le barrage de la confirmation par le Sénat. Cela pourrait être plus difficile pour Judy Shelton, une économiste davantage hétérodoxe, qu’on présente comme ayant joué un rôle de conseiller officieux de Donald Trump. Elle est assez critique sur le fonctionnement et l’action de la banque centrale. En la matière, son profil est assez proche des deux précédentes personnes choisies par la Maison Blanche, Stephen Moore et Herman Cain. L’un et l’autre avaient dû renoncer à poursuivre la démarche de candidature, en partie au titre d’un manque d’expérience effective et d’une trop grande proximité avec le pouvoir exécutif. Du côté européen, le marché achète l’idée qu’on présentait hier : Christine Lagarde est une « colombe » en matière de politique monétaire. Elle devrait donc s’inscrire dans le sillage tracé jusqu’à maintenant par Mario Draghi.
Le maintien d’une politique monétaire accommodante est-il l’unique anticipation à extraire du choix de Christine Lagarde pour prendre la tête de la BCE ? Rappelons deux points de sa carrière et mettons-les en perspective avec les réflexions en cours en matière d’initiatives de politique économique, à prendre demain quand le monde sera confronté à nouveau à un retournement conjoncturel. Personne n’a oublié qu’elle fût ministre de l’économie et des finances de la France, puis Directrice générale du FMI. Ces expériences pourraient permettre à celle qui devrait être la nouvelle Présidente de la BCE de pousser à l’expérimentation effective d’idées nouvelles : mettre en place un policy mix (le mixage d’actions monétaires et budgétaires) en faveur du soutien à l’activité et s’assurer que la coordination internationale participe d’anticipations économiques positives. La Zone Euro pourrait-elle devenir un lieu d’expérimentation, au travers de la mise en place d’un budget commun de relance, dont l’action serait probablement plus efficace que celle d’initiatives nationales dans les pays où c’est possible ?
Vers une coalition Chrétiens-démocrates / Verts ?
On le sent ; ce monde compliqué appelle une gestion différente de la macroéconomie. La Banque des Règlements Internationaux, qui vient de sortir son rapport annuel (une lecture souvent indispensable !), insiste justement sur les forces durablement à l’œuvre. Celles-ci doivent être intégrées dans les anticipations tant des acteurs de marché que des responsables de politique économique.
L’inflation est faible. Si le point est assez consensuel, les conséquences en termes de déroulé cyclique ne sont pas suffisamment notées : le cycle conjoncturel n’est plus façonné par la double dynamique des prix et de la politique monétaire ;
La BRI d’insister une fois encore sur l’importance du cycle financier (le crédit et le prix de l’immobilier avant tout, mais aussi les mouvements de capitaux) dans la formation du cycle réel ;
La faiblesse des gains de productivité, particulièrement notable depuis la Grande Récession de 2008 ; ce qui tend à démontrer le lien entre cycles financier et réel ;
La montée du populisme et la remise en cause d’un système économique ouvert.
Pour la BRI, les points 3 et 4 sont ceux pour lesquels la permanence serait la mieux établie. D’où l’insistance davantage interrogative sur les points 2 et 1. Tout retournement de l’activité économique entrainera plus de dette. Avec quelles implications in fine en matière d’inflation ? Et l’institut de Bâle de pointer l’équilibre (pas très stable ?) entre un court-terme caractérisé par une croissance faible et des taux bas et un moyen-terme façonné par l’accumulation de dette et la prise de risques.
On parle beaucoup de Madame Lagarde. Disons deux mots pour finir de la nomination d’Ursula Von der Lyen à la tête de la Commission européenne ; où plutôt des réactions que cela crée en Allemagne. Celles en provenance des milieux politiques sont souvent critiques. Le point illustre la fragilité des équilibres actuels. En fait, tout part d’une double évolution : une hiérarchie des préoccupations de la population qui change (avant tout la montée de la problématique environnementale et le reflux de celle de l’immigration) et l’affaiblissement des partis traditionnels (surtout la social-démocratie) Tant est si bien qu’en termes d’intentions de vote les Verts font des scores élevés. Vers une coalition Chrétiens-démocrates / Verts à venir peut-être assez vite ? Avec alors quelles conséquences sur la politique allemande (environnement, énergie, défense, mais peut-être aussi Europe) ?
Hervé Goulletquer est stratégiste de la Direction de la gestion de La Banque Postale Asset Management depuis 2014. Ses champs d’expertises couvrent l’économie mondiale, les marchés de capitaux et l’arbitrage entre classe d’actifs. Il produit une recherche quotidienne et hebdomadaire, et communique sur ces thèmes auprès des investisseurs français et internationaux.
Après des débuts chez Framatome, il a effectué toute sa carrière dans le secteur financier. Il était en dernier poste responsable mondial de la recherche marchés du Crédit Agricole CIB, où il gérait et animait un réseau d’une trentaine d’économistes et de stratégistes situés à Londres, Paris, New York, Hong Kong et Tokyo.
Il est titulaire d’une maîtrise d’économétrie, d’un DEA de conjoncture et politique économique et diplômé de l’Institut d’Administration des Entreprises de Paris.