La notion de contributivité en protection sociale

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Par Jacques Bichot Publié le 12 octobre 2017 à 5h00
France Protection Sociale Contributions Taxes
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33,8 %En 2015, les dépenses sociales de la France représentaient 33,8 % de son PIB.

Antoine Herlin a publié dans Trésor-éco n° 200 de juin 2017 un article intitulé « Pour une clarification de la contributivité de la protection sociale ».

Saluons cette volonté de clarifier, et donc de définir correctement, un concept important : une telle démarche est hélas trop rare, praticiens et universitaires ayant tendance à utiliser beaucoup de chiffres sans trop se préoccuper de savoir si la façon dont ils les interprètent est pertinente. Mais regrettons que des confusions entre règles juridiques et réalités économiques n’aient pas permis à ce haut fonctionnaire d’aller au bout de ses louables intentions et de déboucher sur une conception valable à la fois pour le juriste et pour l’économiste de ce qu’est une prestation contributive.

La notion de contributivité selon A. Herlin

Cet auteur considère comme contributives les cotisations qui « financent des prestations directement rattachées au cotisant et pouvant être perçues comme un revenu différé ou une assurance obligatoire plutôt que comme un impôt ». Il distingue trois degrés de contributivité, qui sont par ordre croissant :

- Des prestations qui « répondent à une logique assurantielle et contributive mais avec une forte dimension de solidarité en faveur des cotisants qui sont affectés par le risque couvert. » A. Herlin réunit dans cette catégorie des couvertures de risques directement proportionnelles au niveau des cotisations versées, notamment l’indemnisation du chômage, et des couvertures qui combinent cette proportionnalité avec une « dimension de solidarité » conduisant à verser davantage aux personnes dont les revenus sont les plus faibles, et le cas échéant à ne rien verser à celles dont les ressources dépassent un certain niveau.

- Les « pensions de retraite versées par les régimes en annuités », davantage contributives « car le niveau de pension dépend directement des salaires passés et de la durée d’assurance et donc des cotisations versées ». Il fait observer que ce caractère contributif est cependant tempéré par différents dispositifs, tels que les allégements de cotisations sur les bas salaires ou la validation gratuite de trimestres en cas de chômage, d’arrêts maladies, etc.

- Enfin, A. Herlin place au summum de la contributivité « les pensions de retraite versées par les régimes par points ». Selon lui « ces régimes sont plus fortement contributifs que les régimes en annuités, notamment parce qu’ils prennent en compte l’ensemble des cotisations versées au cours de la carrière ». Il y trouve cependant des « mécanismes de solidarité », notamment les « majorations pour enfants à charge ».

Une notion exclusivement juridique de la contributivité et de la solidarité

Cet exemple de « mécanisme de solidarité » selon A. Herlin fournit un bon point de départ pour comprendre sur quoi il fonde ses appréciations : des dispositions juridiques – en l’occurrence, la proportionnalité entre cotisations versées et droits acquis édictée par une loi ou une convention collective. Malheureusement, il arrive que le droit fasse fi des réalités économiques : ainsi, par exemple, le droit fiscal français considère-t-il comme un revenu l’intégralité des intérêts nominaux servis aux épargnants, sans tenir compte de l’érosion monétaire qui rend l’intérêt réel inférieur à l’intérêt nominal. Et une erreur de même facture se produit en matière de retraites : en réalité, comme l’a expliqué Alfred Sauvy dans les années 1970, en répartition ce ne sont pas les cotisations qui préparent les futures retraites, mais la mise au monde, l’entretien et la formation des jeunes générations, dont les membres cotiseront un jour au profit de leurs aînés.

Les cotisations vieillesse ne contribuent en rien à préparer les pensions futures, et les droits qu’elles ouvrent juridiquement sont donc dépourvus de toute contributivité au sens économique du terme, tandis que les droits attribués parce que l’adhérent a élevé des enfants correspondent, fut-ce avec beaucoup d’injustice dans le cas français, à une contribution effective à la préparation des futures pensions. Nos retraites par répartition sont donc fondées sur un droit positif largement déconnecté de leur fonctionnement réel. Ce qui contribue à préparer les pensions des actifs actuels, ce ne sont pas leurs cotisations vieillesse mais leur participation au renouvellement des générations. Pour clarifier la notion de contributivité dans le domaine de la protection sociale, se référer au droit social actuel ne peut pas constituer une solution, puisque ce droit est une construction fantasmagorique dont une partie importante se situe aux antipodes de la réalité économique et du simple bon sens.

Autrement dit, en attribuant à X des droits à pension calculés au prorata des cotisations vieillesse qu’il a versées et qui ont été immédiatement reversées aux retraités, le droit positif s’est mis en porte-à-faux par rapport au fonctionnement réel du système de retraites. Du point de vue économique, les cotisations aux régimes de retraite par répartition, qu’ils fonctionnent administrativement en points ou en annuités, ne peuvent pas être considérées comme des contributions justifiant l’attribution de droits à pension. Le fait qu’une personne âgée de 30 ans en 2017 verse des cotisations de retraite à un régime par répartition ne contribue en rien à ce que dans 35 ans environ, vers 2052, ce régime ait la possibilité de lui verser une pension.

Considérons par exemple le régime des ouvriers de l’État : tous ses affiliés ont jadis cotisé, mais seul un petit pourcentage d’entre eux est encore en activité, si bien que les ressources requises pour verser les pensions dues proviennent principalement de dotations en provenance du Trésor. Les cotisations versées il y a un demi-siècle à ce petit régime spécial peuvent bien être qualifiées juridiquement « contributives », mais elles n’ont en rien contribué au versement des pensions auxquelles elles ont ouvert des droits.

Le droit social doit se convertir à l’économie

Faisant d’énormes contresens en matière de contributivité, le droit social en fait fatalement aussi à propos de la solidarité, mot qui pour A. Herlin et beaucoup d’autres personnes sert à désigner l’attribution de prestations dépassant nettement les contributions préalables ou futures, le cas limite étant l’absence de contribution. Prenons un exemple : « Le risque famille est largement non-contributif », écrit A. Herlin. Il semble prendre au sérieux la dénomination « risque famille », traditionnelle mais inadaptée : les prestations familiales seraient « non contributives » parce qu’elles sont attribuées indépendamment des cotisations versées. En fait, les parents contribuent en nature à la préparation des futures pensions, et les prestations qu’ils reçoivent au titre de leurs enfants constituent simplement une façon de partager le coût inhérent à l’entretien de ces enfants, qui est économiquement un investissement dans le capital humain, avec les personnes qui, au même moment, ont moins (ou pas) d’enfants à charge. C’est ce qui justifie que le dividende tiré de cet investissement – les futures cotisations vieillesse – ne soit pas ensuite réservé aux seuls pères et mères de famille, mais partagé, comme l’investissement lui-même.

Exposer l’ensemble des contresens économiques sur lesquels repose le droit positif de la protection sociale prendrait des pages et des pages. Ce bref article vise seulement à montrer que notre code de la sécurité sociale doit être entièrement revu à la lumière de l’analyse économique. En effet, quand des règles juridiques importantes reposent sur des représentations de la réalité inexactes, et même parfois diamétralement opposées à la vérité, le pays en subit les conséquences. Supposons par exemple que le calcul de l’impôt sur les sociétés soit basé sur un bénéfice fiscal égal à la différence entre recettes et dépenses de fonctionnement, en oubliant de déduire les amortissements : les entreprises fermeraient les unes après les autres, et la population souffrirait cruellement du chômage et de la pauvreté.

Or des contresens présents dans le droit positif, et particulièrement ceux que nous venons de mettre en évidence dans le droit social, ont le même genre de nocivité. Pour que les Français travaillent de bon cœur, il faut qu’ils aient le sentiment d’être convenablement rétribués. Or le fisc, l’URSSAF et quelques autres organismes du même genre leur prélèvent une très forte proportion de leurs gains de façon si maladroite que la plupart d’entre eux ne se rendent pas compte de l’importance réelle de leur rémunération. Cette maladresse tient pour beaucoup aux contresens relatifs à la contributivité présents dans notre droit social, et à l’existence de cotisations patronales, qui cachent le fait que le salarié gagne la totalité du « super-brut » (salaire brut plus cotisations dites patronales) et paie toutes les cotisations, tant patronales que salariales. Une réforme de notre droit social le rendant économiquement logique serait un atout extrêmement important pour notre pays.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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