La mondialisation reste un sujet très controversé. Il y a ceux qui sont pour et ceux qui sont contre. Chacun y va de sa théorie mais en économie, rien n’est jamais vraiment blanc ou noir mais plus souvent gris.
La mondialisation, phénomène qui s’est très fortement accentué depuis les années 1990, ne fait donc pas exception à la règle. Pour être tout à fait franc, je ne suis ni pour, ni contre, je constate simplement que certains phénomènes ont eu des effets positifs alors que d’autres, ont eu des effets plutôt négatifs.
Les plus ? L’affaiblissement des droits de douanes et la plus grande facilité à consommer des produits importés qu’on ne peut pas ou qu’on ne veut plus produire chez nous ou encore la plus grande mobilité des talents et des capitaux qui permet une allocation plus judicieuse de ces derniers. Les contres ? Principalement les effets sur l’environnement mais également la tendance à la société du « low cost » et du jetable. Pourquoi faire réparer son lecteur de DVD lorsqu’on peut en acheter un neuf pour 25 euros car « made in China » ?
Parmi les contres, aujourd’hui, je souhaite parler d’un phénomène qui touche directement l’Europe et la France en particulier. En théorie, délocaliser la production de biens ou de services vers des pays où la main d’œuvre est moins chère est supposé faire baisser les prix pour les consommateurs finaux (donc cela contribue à augmenter leur pouvoir d’achat) et de « libérer » la main d’œuvre du pays d’origine.
En théorie, en formant cette main d’œuvre ainsi libérée (comprenez licenciée) on peut ainsi la faire monter dans la chaîne de valeur et créer de nouveaux emplois plus qualifiés et aussi mieux payés que ceux ayant été détruits. Tout le monde est donc supposé être gagnant. Le consommateur gagne en pouvoir d’achat. Les actionnaires augmentent leurs profits, les salariés perdant leur emploi sont formés à de nouveaux métiers plus qualifiés et augmentent non seulement leur revenu mais contribuent à créer plus de valeur pour la société en général. De même, dans le pays de destination, il y a création d’emplois payés généralement à des salaires supérieurs à ceux payés par les entreprises locales ce qui contribue à accélérer le développement de ces pays et à créer une classe de consommateurs plus riches pour acheter nos produits et services à forte valeur ajoutée. Bref, la boucle est bouclée et tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Sauf que dans la pratique, c’est beaucoup moins rose que dans la théorie. J’en veux pour exemple l’industrie des centres d’appels qui n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. Prenons deux pays que je connais très bien : la France et la Bulgarie.
D'après une conversation que j'ai eu l'année dernière avec le P-DG d'un des plus gros call centers d'Europe de l'Est, en France, une grande majorité des personnes qui travaillent dans un centre d’appel n’ont pas fait d’études supérieures. En Bulgarie, 70% des personnes qui travaillent dans un centre d’appels ont au moins un Master I voire un Master II. Parfois même un doctorat. Que font ces personnes dans des centres d’appels me direz vous ? Une question simple appelle à une réponse simple : elles gagnent leur vie pour payer les factures. Dans un pays, la Bulgarie, où les centres d’appel paient des salaires supérieurs aux prix du marché, beaucoup de jeunes diplômés se laissent tenter par une expérience dans ce secteur bien qu’ils soient plus que largement qualifiés pour les jobs qu’ils occupent.
Le problème tient au fait que les personnes qui travaillent dans ces centres d’appels sont surqualifiées et de par leur présence dans ces entreprises, elles ne contribuent pas à créer de la valeur là où elles devraient. Certes, le turnover y est extrêmement élevé (environ 40%) mais il n’en reste pas moins que ces usines des temps modernes siphonnent litéralement les talents et leur pays ne se développe donc pas aussi vite qu'il le pourrait.
De l’autre côté de la frontière, en France, les personnes ayant perdu leur emploi pour cause de délocalisation ne seront pas tous en capacité de monter dans la chaîne de valeur. On détruit donc des emplois peu qualifiés en France pour les délocaliser en Europe de l’Est pour des raisons évidentes de coûts et on y embauchent du personnel sur-qualifié.
À la sortie on se retrouve donc avec une situation contraire à la situation idyllique présentée au début de cet article. On crée des chômeurs en France car quoi qu’on en dise tout le monde ne pourra pas devenir ingénieur et on siphonne le marché du travail dans le pays d’accueil de jeunes diplômés qui auraient été beaucoup plus créateurs de richesse pour leur pays s’ils avaient travaillé dans un autre secteur.
On passe donc d’une supposée situation gagnant-gagnant à perdant-perdant. Nul doute que les grands gagnants dans cette affaire sont les actionnaires de ces entreprises. Ces entreprises ont basé leur business model sur le différentiel salarial et de coût de la vie entre les pays où ils vendent leurs services/produits et les pays où ils emploient leur personnel. À long terme, leur business model n’est pas viable mais quelle importance, lorsque leurs entreprises ne seront plus viables, ils seront déjà multi-millionnaires !
Avec cet exemple simple, on peut voir comment les faits sont parfois bien loins de la théorie. Pour ce qui est de l’Europe, le seul avantage que je vois réellement à cette situation c’est que quitte à détruire des emplois autant les recréer quelque part en Europe plutôt qu’au Maroc, aux Philippines ou en Inde sachant que si nous souhaitons vraiment aller vers une Europe plus homogène, les richesses doivent circuler plus vite qu’elles ne le font aujourd’hui. Mais cela sera l’objet d’une série d’articles que je publierai bientôt.