La gangrène des taux négatifs ne fait que commencer

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Par Simone Wapler Publié le 13 septembre 2016 à 5h00
Politique Taux Negatifs Marches Obligations
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13 400 milliards $A la mi-août, il y avait, selon Fitch, pour 13 400 milliards de dollars d?obligations en territoire négatif.

La crise des banques européennes semble avoir été pour l’instant mise sous boisseau par Mario Draghi. Le prix à payer : toujours plus de taux négatifs, toujours moins de rendement pour vos placements financiers.

La défiance vis-à-vis des politiques monétaires ne cesse de grandir. Le 22 août, le Wall Street Journal révélait que la Banque centrale européenne, non contente de manipuler les marchés, se livrait à des délits d’initiés. En parallèle, les banques commerciales commencent à répercuter les taux négatifs sur leurs déposants. Les taux bas nous laminent, les banques restent dangereuses. Que faire ? Commençons par une petite mise au point sur les “taux négatifs”, car le terme est finalement imprécis.

Les taux ne sont pas les mêmes pour tout le monde

Taux directeurs négatifs : pour les banques commerciales Il y a tout d’abord le taux directeur de la banque centrale. Celui-ci détermine le tarif auquel est rémunéré l’argent qu’entreposent les banques commerciales à leur banque centrale. Ce taux ne s’adresse donc qu’au circuit financier banques commerciales/BCE. Aujourd’hui ce taux directeur en euro est négatif, à -0,40%. Au lieu de rémunérer les dépôts des banques, la BCE “punit” les banques qui, au lieu de prêter, préfèrent se servir de la BCE comme d’un coffre-fort.

Les banques acceptent toutefois cette punition car elles ne veulent pas prêter. D’une part les conditions économiques sont moroses, d’autre part les nouvelles réglementations les conduisent à réduire leurs engagements (c’est-à-dire leurs prêts). Ironie de ce système pervers, ce sont les banques les plus sûres, celles qui ont le plus de dépôts et de fonds propres, qui sont plus fortement punies. En effet, ayant des excédents, elles pourraient choisir de prêter à d’autres banques : c’est ce qu’on appelle le “marché interbancaire”, considéré comme un des marchés les plus sûrs avant la crise de 2008. Ce n’est plus le cas. Les banques les plus sûres préfèrent donc payer un service de coffre-fort à la BCE à -0,40% (taux de dépôt au jour le jour de la BCE) plutôt que de confier leur argent à d’autres banques.

Par comparaison, l’Euribor à 1 mois est de -0,369%. L’Euribor est le taux auquel se prêtent les banques ayant les meilleures signatures. Pour résumer, la méfiance règne puisque les banques préfèrent le gros bâton de la BCE à un prêt interbancaire moins pénalisant… Le taux directeur négatif de la BCE gêne donc les bonnes banques qui ont des dépôts et sont prudentes.

Taux d’intérêt et rendement négatif des dettes d’Etat et de grandes entreprises : pour les épargnants

Maintenant passons aux taux d’intérêt obligataires. Les obligations sont des titres cotés et il existe un marché du neuf (dit marché primaire) et un marché de l’occasion (dit marché secondaire). Sur le marché obligataire, le capital est remboursé à l’échéance : il s’agit de prêts in fine. Il existe deux sortes d’émetteurs, les Etats souverains, réputés immortels et disposant de la garantie implicite de leurs contribuables, et les grandes entreprises.

Un titre est émis, au tout début, sur le marché primaire : son taux d’intérêt est égal à son rendement. Ensuite, dans un deuxième temps, il sera négocié sur le second marché ; là, le rendement et le taux d’intérêt ne vont plus nécessairement coïncider. Si le titre s’apprécie parce qu’il y a une forte demande, le rendement baisse. Inversement, si le titre se déprécie, le rendement monte.

Prenons un exemple concret car la gymnastique obligataire n’est pas des plus simples :
l’entreprise bien notée BullePop a émis une obligation d’une valeur de 100/durée 5 ans/ taux 5% ;
trois ans plus tard, sur le marché, la conjoncture fait que le rendement moyen des obligations à 2 ans est tombé à 2% ;
l’heureux détenteur d’une obligation BullePop va pouvoir la vendre plus cher que 100 puisque ce titre doit encore rapporter à son porteur 5% sur les 2 ans restant à courir (soit 5+5 = 10) alors que le marché du neuf ne propose que 2% (soit 2+2 = 4 sur 2 ans). Vous voyez là que l’obligation BullePop rapporte 10 alors que tout le reste ne rapporte que 4. Des acheteurs seront donc contents de racheter le titre BullePop un peu plus cher que 100 ; le vendeur empochera une plus-value sur la valeur du titre en plus des intérêts déjà perçus ;
C.Q.F.D. : lorsque les taux baissent, le prix des obligations déjà émises monte. Et inversement.

A chaque fois que la BCE force les taux à la baisse, ceux qui ont des vieilles obligations qui rapportent plus ont une possibilité de faire des plus-values. A la mi-août, il y avait, selon Fitch, pour 13 400 Mds$ d’obligations en territoire négatif, soit presque un tiers du marché obligataire mondial. Il s’agit de titres libellés en euro et en yen, émis par l’Europe et le Japon, qui seront bientôt rejoints par le Royaume-Uni. Les banques sûres répercutent les taux négatifs à leurs clients Comme nous l’avons vu, les banques sûres ne veulent pas prêter et sont punies par la BCE. Elles commencent donc à répercuter ces frais sur leurs déposants. Après la banque allemande Raiffeisenbank Gmund am Tegernsee, la Royal Bank of Scotland appliquera aussi des taux négatifs aux dépôts de ses gros clients, uniquement institutionnels pour le moment.

Il est possible qu’à la rentrée les banques luxembourgeoises en fassent autant pour leur clientèle privée. Pour votre information, Gmund am Tegernsee est un paisible et pittoresque village bavarois bien loin de Wall Street et de la City. Les autres banques, pour leur part, en profitent pour facturer de plus en plus de petits frais divers au petit client ordinaire…

Pour plus d’informations et de conseils de ce genre, c’est ici et c’est gratuit

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Simone Wapler est directrice éditoriale des publications Agora, spécialisées dans les analyses et conseils financiers. Ingénieur de formation, elle a quitté les laboratoires pour les marchés financiers et vécu l'éclatement de la bulle internet. Grâce à son expertise, elle sert aujourd'hui, non pas la cause des multinationales ou des banquiers, mais celle des particuliers. Elle a publié "Pourquoi la France va faire faillite" (2012), "Comment l'État va faire main basse sur votre argent" (2013), "Pouvez-vous faire confiance à votre banque ?" (2014) et “La fabrique de pauvres” (2015) aux Éditions Ixelles.

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