Je propose dans cet article de voir comment la dimension d'un système peut influencer sur sa croissance et regarder si une économie peut échapper à quelques règles élémentaires auxquelles la nature a dû se soumettre. Rigueur, austérité, relance, récession, stagnation, croissance, ... ce sont les mots répétés du langage économique et politique présent, qui bien souvent se perdent dans des visions réductionnistes oubliant la réalité d'un monde globalisé devenu complexe.
On évoque quotidiennement la croissance, on affirme que sans elle rien n'est possible pour le redressement économique du pays, la lutte contre le chômage, le rétablissement des grands équilibres budgétaires. Le constat montre pourtant que depuis le début de la crise, le PIB en volume n'a pas progressé sur la période et que nous n'avons toujours pas dépassé le niveau de 2007. Alors est-il encore judicieux, pertinent, de rester ancré dans le modèle du 'toujours plus' qui à l'évidence paraît de plus en plus éculé, usé, inapproprié à un monde qui dévoile davantage que par le passé ses limites physiques ou dimensionnelles.
Je vais aborder le problème sous l'angle des limites physiques dictées tout simplement par une problématique simple de rapport entre volume, surface et périmètre.
La croissance peut-elle revenir en France? Nul ne doute que dans les pays dits émergents et les pays non émergés (nombreux en Afrique), elle a encore de beaux jours devant elle. Il est facile de croître quand on part de zéro ou de presque rien ou bien lorsqu'on se situe à un niveau de développement plus avancé permettant encore, de part une dynamique en place, de produire et consommer davantage. Mais qu'en est-il des pays occidentaux ayant atteints un niveau élevé de production, de consommation, de niveau de vie, de confort, de bien-être (enfin le croyons-nous !), autrement dit un certain niveau de maturité ? On pourrait d'ailleurs qualifier ces économies d'hyperactives comme l'enfant qui bouge dans tous les sens sans répit en épuisant les parents ! Ces modèles économiques occidentaux basés essentiellement sur la production, la compétitivité, la productivité, la rentabilité, la flexibilité, épuisent les individus aussi bien que les ressources naturelles dont est fait un usage abusif, et il n'est pas certain que la croissance tant souhaitée puisse les accompagner encore très longtemps.
Que nous dit la nature ?
Dans la nature, aucun système vivant ou système écologique ne croît indéfiniment. Les animaux, les plantes, passent toujours par une phase de croissance et parviennent ensuite à un niveau de maturité qui marque la fin du développement en volume pour laisser place au seul maintien de la structure dans sa forme et sa dimension grâce au renouvellement régulier des cellules à la faveur des échanges avec le monde extérieur.
Une des problématiques essentielles dans le processus de croissance d'un organisme est le rapport entre son volume et sa surface. Voyons quelques exemples :
Cas de la cellule du monde vivant:
Pourquoi la cellule se divise-t-elle ? Justement parce que le rapport entre son volume et sa surface ne cesse de croître au fur et à mesure de son développement : le volume est une fonction à la puissance 3 et la surface une fonction à la puissance 2. Cela se traduit simplement par le fait que si on multiplie par N le rayon d'une sphère, on divise par N le rapport surface/volume. Plus la sphère grossit plus les échanges avec l'extérieur deviennent difficiles au regard des activités organisées en son sein (on suppose évidemment une activité au sein du système proportionnelle à son volume).
Quand la cellule se développe, il arrive un moment où le rapport entre la surface et le volume pose un problème aux fonctions d'échanges. Les nombreux processus internes (tels que la production d'énergie) vont être limités et contraints par les surfaces d'échanges (en l'occurrence la membrane cellulaire) qui deviennent insuffisantes pour apporter les nutriments et l'oxygène dont elle a besoin ou éliminer les déchets produits. Tout système vivant nécessite des échanges de matières, d'énergie et d'informations avec son environnement ; pour la survie d'un organisme, ces flux doivent rester efficaces pour le maintien de sa structure et la pérennité des processus internes.
Les gros animaux :
On remarque très bien dans la nature que les gros animaux ont davantage de problèmes pour réguler leur température (cas de l'éléphant), toujours à cause du rapport surface/volume. L'éléphant dispose de grandes oreilles fortement vascularisées qu'il fait bouger régulièrement pour refroidir son corps. Il marche lentement et courre rarement ; pas seulement à cause de son côté balourd, mais aussi pour éviter toute création inutile de chaleur au sein de son organisme qu'il aurait du mal à évacuer (il évite la surchauffe !). La chaleur produite par le métabolisme de base chez un gros animal ainsi que celle issue à son activité physique est donc beaucoup plus difficile à évacuer que chez les animaux de taille plus réduite. On peut noter que les baleines sont bien plus grosses que les éléphants et leur rapport surface/volume bien plus petit encore, mais elles évoluent dans une eau fraîche qui facilite les transferts thermiques grâce à une basse température et aux phénomènes de conduction et de convection bien plus efficaces dans un milieu liquide.
Petit exemple numérique pour être concret:
Une sphère de rayon de 0,1 cm a un rapport S/V égal à 30
Une sphère de rayon de 1 cm a un rapport S/V égal à 3
Une sphère de rayon de 10 cm a un rapport S/V est égal à 0,3. On voit nettement comment les potentialités d'échanges s'amenuisent avec le développement en croissance.
A priori il n'est pas irraisonnable de penser qu'il y a bien une limite à la taille d'une espèce animale ou végétale. Les dinosaures seraient peut-être un contre-exemple à ce que l'on observe aujourd'hui, encore que les limites ne sont pas évidentes à caractériser et à chiffrer, mais étaient-ils réellement adaptés à de légères variations climatiques ?
Que nous dit la société : petits exemples
1.Les grandes agglomérations
Prenons le cas d'une grande agglomération comme Paris. Au lieu d'avoir une problématique de volume, nous avons là une problématique de surface. Si on double le diamètre de la ville on divise par deux le rapport entre son périmètre et sa surface. Dans un tel cas le nombre d'habitants est multiplié par 4 (à densité égale bien sûr) et le nombre de points d'entrée/sorties de la ville est en théorie seulement multiplié par 2 à juste proportion (ce qui n'est pas le cas en pratique car la configuration routière ne change guère). Les habitants friands de week-end à la campagne ou à la mer auront de plus en plus de difficultés à sortir ou à entrer dans la ville au fur et à mesure qu'elle grandit du seul fait de ce rapport « périmètre /surface ». C'est bien le phénomène observé tous les jours dans les grandes villes, qui sont sans cesse sous l'emprise de bouchons quasi permanents sur les grands axes. Plus la ville grossit plus elle doit se replier sur elle-même du fait des restrictions d'échanges au regard de son métabolisme interne. Paris et d'autres grandes villes arrivent à des formes diverses de paralysie : embouteillages, perturbations des transports ferroviaires : les trains s'arrêtent à cause de la densité du trafic. En fait sur de courtes périodes et très localement le monde se fige, se congestionne ; les voitures, les bus, les trains sont à l'arrêt car « l'organisme » est saturé et ne peut plus assurer ses fonctions d'échanges ! C'est ce qu'on appelle l'ischémie en physiologie quand un organe n'est plus irrigué (il est résulte une nécrose). Heureusement pour les habitants des villes, les bouchons se résorbent et la ville est à nouveau irriguée ! C'est peut-être une des meilleures images que l'on peut offrir pour illustrer ces principes : le réseau de communication n'est plus en capacité de s'adapter face à un « organisme économique » sans cesse en croissance réclamant toujours plus d'échanges.
Ces exemples montrent indiscutablement les limites de flux inhérentes à la notion de dimension.
2.Les entreprises
Les grandes entreprises créent des filiales à certains stades de leur développement pour améliorer leurs performances en s'adaptant au contexte, et acquérir plus de souplesse dans leur gestion (elles se diviseraient un peu comme la cellule vivante : serait-ce un problème de rapport surface/volume ?).
3.Les foyers
Un jeune foyer qui s'installe dans un appartement vide dépensera beaucoup d'argent pour son aménagement avec l'acquisition d'objets divers : c'est la phase de croissance. Une fois aménagé, la croissance en nombre d'objets devient difficile car l'espace commence à faire défaut. Or ce sont bien les foyers (dernier maillon d'une chaîne de production /consommation) qui sont à l'origine de la croissance car les entreprises ne croissent que s'il y a des acheteurs finaux. Dans cet exemple on n'est plus dans le rapport surface/volume évoqué plus haut mais tout simplement dans une contrainte de dimension.
Alors peut-on croître indéfiniment ?
Ces petits problèmes de géométrie accréditent la thèse qu'il est impossible de croître à l'infini pour un système qui requiert des échanges avec le monde extérieur. A un certain stade, le système, qu'il croisse en volume ou en surface ne peut plus être suffisamment nourri, irrigué, et perd sa capacité à évacuer efficacement ses déchets. Les notions de surface et de volume (ou de frontières au sens large) sont donc très importantes pour aborder la problématique générale de la croissance d'un système quel qu'il soit.
Ces exemples servent d'appui à cette idée que je défends, celle qu'aucun organisme quel qu'il soit ne peut croître indéfiniment, y compris une économie. Chaque acteur économique étant confronté à ses propres limites, il est peut-être pertinent en extrapolant à une échelle plus large, d'envisager que la croissance d'un pays se trouve elle aussi limitée. Des limites qui ne se résument pas aux seuls problèmes de géométrie ; il y en a bien d'autres, plus influents encore en cette période de crise (tels que le pouvoir d'achat, l'excès d'endettement, le temps, les ressources naturelles qui s'épuisent et s'apprécient) que je développerai dans de prochains articles.
Il est bien entendu difficile de comparer une économie globale à un organisme vivant, car on ne peut clairement identifier les frontières du système et par conséquent ses limites dimensionnelles (on peut au moins définir les frontières qui nous séparent des autres pays).
Les notions de surface et de volume peuvent paraître inappropriées pour l'analyse des contraintes du milieu économique, de son écosystème, et donc de ses potentialités de croissance. Cependant, la macro économie n'est que l'agrégat de phénomènes et de structures micro-économiques sur lesquels ces mêmes notions deviennent plus signifiantes. Alors si on suppose que les microcomposants sont limités dans leur développement, l'ensemble qui les agrège pourrait lui aussi être limité. Le problème consiste donc à évaluer les dimensions à partir desquelles, tout processus évolutif devient soumis à de telles contraintes qu'il ne peut plus grossir ou très difficilement; je précise que cela ne l'empêcherait en aucune manière d'évoluer et de s'adapter, mais juste de croître.
Les contraintes que j'ai évoquées ne se sont peut-être pas encore complètement exprimées, mais elles ne sont pas à négliger comme facteurs de ralentissement de la croissance dans un futur assez proche. Cependant, n'oublions pas que l'on évolue dans une économie ouverte, mondialisée et que le monde aspire à consommer toujours davantage à l'image de nos économies développées faisant référence. Si la croissance portée par la consommation intérieure s'étouffe en France, il y a le reste du monde qui est loin d'avoir atteint le niveau de maturité que j'évoquais au début, offrant d'immenses opportunités de marchés, sans préjuger de qui saura les saisir. La croissance est donc encore possible pour notre pays mais elle sera alors davantage portée par des besoins extérieurs que des besoins intérieurs.
Conclusion :
J'ai voulu à travers cet article développer le rôle majeur des contraintes physiques qui ne sont jamais exposées dans les analyses économiques. Même si on peut penser qu'on est encore assez loin d'avoir atteint les limites que j'ai évoquées, il n'en reste pas moins que certains signaux sont déjà perceptibles comme l'affaiblissement inexorable de la croissance en France sur les trente dernières années (on perd 1 point de croissance tous les 10 ans en moyenne). Je pense que la notion de maturité n'y est pas étrangère.
Le monde des mathématiques est implacable, intraitable, inflexible, et pourrait bien nous rappeler régulièrement à nos bons souvenirs tant nos schémas de pensée s'inscrivant dans le « toujours plus » oublient les quelques notions élémentaires de géométrie rudement apprises !
Alors pourquoi ce qui est vrai pour la nature en général, ne le serait pas pour une économie en particulier?