En annonçant un soutien massif à la filière, l’Allemagne a donné le La, suivie par la France, mais le développement de la filière hydrogène, principale piste pour atteindre un bilan carbone neutre d’ici 2050, ne semble pertinente qu’à l’échelle européenne. C’était le sens de l’annonce de la Commission qui affirmait début juillet qu’ « entre 2030 et 2050, les technologies de production d’hydrogène renouvelable devraient atteindre leur maturité et être déployées à grande échelle ». Mais, dans une Europe qui compte ses divisions sociale, économique ou monétaire, le futur de l’énergie est devenu un nouvel enjeu où parler d’une même voix n’est pas acquis. Un investissement massif, près de 470 milliards cumulés d’ici 2050, est déjà programmé, mais la définition de la stratégie générale et son déploiement restent à préciser et, au delà du choix des méthodes de fabrication entre un hydrogène « vert » ou « gris » (dépendant ou non des énergies fossiles pour sa production), plusieurs questions sont toujours à trancher.
Principaux consommateurs
Selon Clément Le Roy du cabinet Wavestone, « L'industrie, en particulier les industries pétrolières, chimiques et agroalimentaires, est aujourd'hui le principal consommateur d'hydrogène gris, produit à partir d'énergies fossiles, mais la production d'ammoniac et d'engrais représente 26% de la consommation d'hydrogène mondiale (soit le 2ème plus gros consommateur après la pétrochimie qui en consomme 59%). Mais, aujourd'hui, plus de 90% de l'hydrogène utilisé pour cette activité est gris, produit à partir de combustibles fossiles. Un des enjeux est donc de le décarboner, tout en maintenant un coût acceptable pour la filière agricole. » Aux échelons nationaux, en fonction de structures économiques dissemblables, le choix de privilégier la décarbonation de l’industrie ou de l’agriculture conduira sans doute à des options différentes, au risque d’une hétérogénéité au sein de l’UE. Pour Thierry Leperq, auteur de "Hydrogène, le nouveau pétrole" (Ed. Le Cherche Midi) et fondateur de Soladvent, « L'agriculture va être concernée au premier chef. Les engrais azotés sont produits avec de l'ammoniac, un produit chimique aujourd'hui issu du gaz naturel et fortement émetteur de gaz à effet de serre. La production d'ammoniac à partir d'hydrogène vert (issu des énergies renouvelables) permettra de disposer d'engrais zéro carbone et impactera massivement l'agriculture et la chaîne alimentaire. »
Développement de la filière
Une des conséquences, et l’un des objectifs, du développement de la filière hydrogène sera donc une moindre dépendance au gaz naturel. Toujours selon Thierry Leperq, « avec le pétrole et le gaz, l’Europe est à la merci de la Russie et de l'Arabie Saoudite, que ça lui plaise ou non. Avec l'hydrogène, cela sera différent. On pourra en produire une large part en Europe du Sud (solaire) et du Nord (éolien). Cela peut aussi permettre à l'Europe de refonder sa relation avec l'Afrique. C'est la démarche de l'Allemagne, qui vient de signer des accords relatifs à l'hydrogène avec le Maroc et d'autres pays africains. » La filière a d’ores et déjà pris une dimension diplomatique, « il est peu probable que l'hydrogène vert soit importé de Russie ou d'Ukraine. La ressource solaire et éolienne y est médiocre et ne permettra pas une production compétitive d'hydrogène. La disposition d'infrastructures gazières inutilisées en Ukraine n'y changera pas grand-chose. »
Redistribution des cartes
La politique de décarbonation va donc redistribuer les cartes au sein de l’Union, en donnant des atouts aux pays du sud, notamment l’Espagne où le développement de l’énergie solaire est prévisible, mais entrainera également une plus grande autonomie du continent. Clément Le Roy en est convaincu, « l'Europe comptera sur elle-même, en produisant localement de l'hydrogène et en l'échangeant entre les pays. Les principaux opérateurs de gaz européens travaillent actuellement sur un projet de "dorsale hydrogène européenne" qui permettra de transporter de l'hydrogène sur le continent. L'enjeu est bien de capitaliser autant que possible sur la ressource des pays européens. » Cette nouvelle donne, pour être efficace, nécessitera donc une bonne coordination des membres de l’Union, mais « une grande partie des pays membres s'organisent individuellement pour structurer leur stratégie hydrogène sur l'ensemble de la chaîne de valeur, malgré la volonté de l'Union Européenne de fédérer les initiatives et de mettre en place un plan transversal. Il est donc peut-être encore un peu tôt pour dessiner le paysage hydrogène européen. » Le futur énergétique donne dès aujourd’hui à l’Union l’occasion d’une véritable politique commune, reste à savoir si, enfin, cette opportunité sera saisie.